Des centaines de milliers de vies - et les sources de revenus connexes - sont menacées et perdues chaque année en Afrique sous l’effet de la variabilité climatique et des phénomènes météorologiques violents. Or, certaines de ces pertes, si ce n’est la plupart, pourraient être évitées si les populations avaient accès en temps opportun à des informations météorologiques locales fiables.
De nombreuses activités économiques essentielles pourraient également être mieux planifiées, et la sécurité alimentaire améliorée, si les gens étaient mieux informés des prévisions climatiques saisonnières pour pouvoir prendre les mesures qui s’imposent. L’agriculture, par exemple, bénéficierait grandement du fait que les agriculteurs puissent disposer d’informations saisonnières sur les précipitations et les températures pour les aider à décider des semences à utiliser, ce qui améliorerait les rendements et, partant, les moyens d’existence de toute la communauté.
Les progrès technologiques importants et les percées analytiques en matière de prévision du climat mondial et du temps violent ont abouti à la conception de produits et de services d’informations météorologiques et climatiques fiables. Mais, parmi les pays en développement, où l’on a souvent le plus besoin de ces informations, rares sont ceux qui ont accès à des produits météorologiques et climatiques de qualité. Lorsque ces informations existent, rien ne garantit qu’elles parviennent jusqu’aux utilisateurs finals qui en ont le plus besoin et dont les moyens d’existence en dépendent. Et, si elles leur parviennent, il n’est pas certain que les utilisateurs soient en mesure de les comprendre et de prendre des décisions en conséquence.
Grâce à son réseau de Services météorologiques et hydrologiques nationaux dans le monde, l’OMM s’emploie à améliorer la situation en mettant en place «le dernier maillon». Avec l’appui du Gouvernement norvégien et de la Banque mondiale, le projet MWA d’alerte météo sur téléphone portable mis en oeuvre par l’OMM expérimente la diffusion d’informations météorologiques et climatologiques directement aux utilisateurs finals en Ouganda, en tirant parti de la généralisation de ces téléphones.
Ciblage des agriculteurs et des pêcheurs
Depuis 10 ans, l’Afrique connaît une véritable explosion de l’utilisation du téléphone portable. Selon l’Union internationale des télécommunications (UIT), l’Afrique est le marché de la téléphonie mobile qui connaît l’expansion la plus rapide – puisque sa croissance est double de celle du marché mondial – depuis cinq ans. En Afrique sub-saharienne, 9 habitants sur 10 qui ont accès à un téléphone utilisent la téléphonie mobile. En Ouganda, 13 millions de personnes, soit environ 38 % de la population, ont un téléphone portable. Et, là aussi, le nombre ne cesse d’augmenter.
Les projets pilotes d’alerte météo sur téléphone portable lancés par l’OMM en Ouganda ont deux volets, l’un qui cible les agriculteurs, et l’autre les pêcheurs du lac Victoria. Les deux insistent sur l’importance de relations suivies entre les fournisseurs de services et les utilisateurs finals. Dans un souci d’efficacité, il est indispensable que les fournisseurs de services comprennent les besoins effectifs, sur le terrain, des utilisateurs finals et s’assurent que ces derniers comprennent les informations météorologiques qui leur sont communiquées et peuvent s’en servir pour prendre des décisions avisées.
Va-t-il bientôt pleuvoir? C’est ce que nous voulons savoir!
Dans le district de Kasese, dans le sud-ouest de l’Ouganda à proximité de la frontière avec la République démocratique du Congo, la pluie commence généralement à tomber à la fin du mois de février ou au début du mois de mars, transformant un sol sec et rouge en champs verts luxuriants. Les agriculteurs planifient leurs activités de travail du sol et d’ensemencement en fonction de ce régime des précipitations en place de longue date. Mais la situation change.
Il y a quelque temps, à la fin du mois de mars, lorsque Bithibanji Adidas, agriculteur à Kasese, a levé les yeux vers le ciel, il n’y avait toujours pas le moindre signe de pluie Au cours des semaines précédentes, des nuages s’étaient amoncelés dans le ciel à plusieurs reprises, mais seules quelques gouttes étaient tombées Les agriculteurs du voisinage commençaient à s’inquiéter et lui demandaient conseil, mais il n’avait rien à leur dire.
Bithibanji est le «travailleur du savoir communautaire» de la Fondation Grameen, laquelle s’emploie à aider les institutions locales de microfinancement à gagner en efficacité et à proposer aux plus pauvres des solutions novatrices fondées sur la téléphonie mobile. Il dispose d’un téléphone intelligent que lui a donné la Fondation Grameen et grâce auquel il a accès à toute une série d’informations précieuses sur l’agriculture. Il peut par exemple consulter son téléphone pour connaître les prix d’achat de divers produits agricoles sur les différents marchés de la région, informations qu’il communique aux agriculteurs locaux et qui les aident à déterminer le meilleur endroit où aller écouler leurs récoltes sur le marché. Ce téléphone lui donne également accès à d’autres informations pratiques, notamment sur la façon de faire face aux dégâts que les maladies et les insectes nuisibles causent aux cultures. L’équipe Grameen à Kampala collabore avec divers partenaires afin de mettre à jour les informations qu’il reçoit.
C’est ainsi que les amis et collègues de Bithibanji venaient le voir chaque fois qu’ils avaient besoin d’en savoir plus long que ce qu’ils pouvaient observer par eux-mêmes, afin de conforter les décisions à prendre sur leurs exploitations. Bithibanji se servait alors de son téléphone «magique» pour répondre à leurs questions. Ce faisant, il agissait comme un agent d’information chargé d’aider les autres agriculteurs de la communauté grâce au téléphone mobile dont la Fondation Grameen lui avait fait don.
Mais la question qu’on lui posait le plus fréquemment, «quand va-t-il pleuvoir?», demeurait sans réponse. Devant cette question de la plus haute importance, son téléphone magique restait muet.
Lancement du module d’alerte météo pour les agriculteurs
Près de 90 % de la population rurale ougandaise vit d’une agriculture de subsistance essentiellement pluviale, de sorte que Bithibanji et les agriculteurs de sa communauté ne sont pas les seuls à vouloir connaître les conditions météorologiques et climatiques auxquelles ils doivent s’attendre la saison suivante. Pour renforcer leur capacité d’adaptation à l’évolution des conditions climatiques et améliorer leurs moyens d’existence, tous les agriculteurs ougandais doivent avoir accès à ces informations pour prendre des décisions avisées.
C’est ainsi qu’en février 2012, le Service météorologique ougandais a lancé la composante agricole du projet pilote d’alerte météo sur téléphone portable dans le district de Kasese, en collaboration étroite avec la Fondation Grameen et l’OMM. Ce projet vise à améliorer le processus «de bout en bout» en ce qui concerne les services agro-météorologiques et à diffuser plus directement des bulletins agrométéorologiques parallèlement à des prévisions à 10 jours, mensuelles et saisonnières à l’intention des agriculteurs du district de Kasese par le biais des travailleurs du savoir communautaires.
Le succès du projet dépend de l’efficacité de la communication entre le fournisseur de services et les utilisateurs finals. Un atelier de formation, organisé pour les 21 travailleurs du savoir communautaires du district de Kasese lors du lancement du projet, a été l’occasion idéale de resserrer les liens entre les deux groupes. Au cours de cet atelier, un météorologue du Service météorologique ougandais a fourni des explications sur la façon d’interpréter les données météorologiques et climatiques et les avis agricoles, et les travailleurs du savoir communautaires ont ouvertement discuté des types de produits d’information qu’ils aimeraient recevoir et qui leur seraient les plus utiles.
Pour la première fois, Bithibanji s’est entretenu directement avec un «spécialiste de la météo». Il a réussi à mieux comprendre leur fonction ainsi que les différents paramètres mesurés à la station météorologique de l’aérodrome de Kasese.
La composante agricole du projet d’alerte météo sur téléphone portable dans le district de Kasese fait pendant à une initiative qui a déjà fait ses preuves en Afrique de l’Ouest, à savoir la distribution de pluviomètres en plastique aux travailleurs du savoir communautaires pour qu’eux aussi – à l’instar des météorologues – puissent relever les hauteurs de précipitation journalières et prendre part à la collecte des données. Les travailleurs du savoir communautaires ont appris à utiliser les pluviomètres et à envoyer les informations obtenues au Service météorologique ougandais sur leurs téléphones portables. Les données ainsi recueillies devraient améliorer la qualité des produits d’information météorologiques et climatiques que leur fournit en retour le Service météorologique ougandais.
Alors, quand pleuvra-t-il? Les travailleurs du savoir communautaires de Kasese ont reçu la première prévision saisonnière et le premier bulletin agrométéorologique lors de la première semaine de mars 2012. Aujourd’hui, Bithibanji est en mesure de dire à ses collègues agriculteurs quand il devrait commencer à pleuvoir.
Le projet pilote de Kasese durera jusqu’à la fin de 2012, date à laquelle il devrait être étendu à l’ensemble du territoire ougandais.
Les pêcheurs du lac Victoria
Le lac Victoria, le plus grand lac du continent africain, chevauche le Kenya, la Tanzanie et l’Ouganda. Environ 200 000 pêcheurs en tirent leurs moyens d’existence. La pêche se pratique généralement dans de petites embarcations en bois, souvent surchargées. Le lac Victoria est aussi beaucoup utilisé pour les transports et le commerce. Mais la plupart de ceux qui naviguent sur le lac ne savent pas nager et ne disposent pas de gilets de sauvetage. De ce fait, les coups de vent violents, qui provoquent des vagues qui font chavirer les bateaux en bois, causeraient la mort d’environ 5 000 pêcheurs chaque année.
C’est pourquoi des informations météorologiques à jour, exactes et d’accès facile revêtent une importance cruciale pour les millions de personnes qui vivent du lac Victoria et habitent le long de ses rives. L’utilisation de téléphones portables pourrait améliorer la diffusion d’avis de tempêtes et empêcher les pertes de vie inutiles sur le lac. Les pêcheurs pourraient décider de manière plus avisée du moment et du lieu où ils peuvent pêcher s’ils recevaient des informations et des avis météorologiques sur leurs téléphones cellulaires. Et même si ces informations leur parvenaient alors qu’ils naviguent déjà, ils pourraient s’en servir pour décider de rester sur le lac ou de chercher refuge en lieu sûr. Les informations météorologiques pourraient contribuer à épargner bien des vies et à améliorer les moyens d’existence des communautés disséminées autour du lac, où de nombreux pêcheurs sont les seuls pourvoyeurs de ressources pour des familles très nombreuses.
Le Service météorologique ougandais et l’OMM, conjointement avec Ericsson Communications, MTN Mobile et le National Lake Rescue Institute, ont lancé à titre expérimental le service d’alerte météo sur téléphone portable pour les pêcheurs du district de Kalangala dans le sud-ouest de l’Ouganda en mai 2011. Depuis cette date, un millier de pêcheurs de diverses communautés des îles Ssese se sont abonnés à ce service.
Dans le cadre du projet pilote, des prévisions météorologiques locales sur mesure ont été transmises chaque jour par SMS (système de messagerie textuelle) aux pêcheurs abonnés. Les prévisions émanent du Service météorologique ougandais, qui est aussi chargé de fournir des avis de phénomènes météorologiques violents pour le secteur des îles du lac Victoria. Le Service météorologique ougandais est relié à MTN Mobile par une application conçue par Ericsson, qui garantit que les prévisions sont saisies comme il se doit et diffusées par la plate-forme SMS aux pêcheurs des îles.
Un élément important du projet d’alerte météo sur téléphone portable a été, là encore, la création d’un dispositif d’échange entre les communautés pilotes et les fournisseurs de ce service pour connaître les différents points de vue sur le service en question. Le National Lake Rescue Institute a joué un rôle appréciable à cet égard, compte tenu de ses relations de longue date avec les communautés de pêcheurs. Outre le retour constant d’informations sur les possibilités d’utilisation du service, deux sondages ont été réalisés pour mieux comprendre la façon dont le service est accueilli et utilisé par les communautés concernées ainsi que la façon de l’améliorer à l’avenir.
Les pêcheurs apprécient beaucoup l’exactitude et la spécificité des informations qui sont diffusées sur leurs téléphones portables. Le service est fourni dans la langue locale, le luganda, et les messages sont faciles à comprendre. Voici ce qu’en dit Abubakar Mutyaba, pêcheur de l’île de Bubeke: «Le projet d’alerte météo sur téléphone portable a amélioré notre existence sous bien des rapports. Il nous est fort utile, puisqu’il nous informe des conditions météorologiques qui règnent sur le lac et qu’il contribue à réduire le nombre d’accidents».
«Le service d’alerte météo sur téléphone portable a donné des résultats très concluants» fait également remarquer Robert Ssebalamu, pêcheur et négociant du district de Kalangala. Voici ce qu’il dit à ce sujet: «Auparavant, nous nous aventurions sur le lac sans savoir si la météo allait changer ou non, mais aujourd’hui, il me suffit de regarder mon téléphone dans la matinée pour savoir quelles conditions prévaudront durant la journée et je peux alors décider de partir ou non avec mon bateau sur le lac ». Ce projet pilote a mis en évidence la demande, et le besoin, de ce type de services en Ouganda.
Améliorer la prestation des services météorologiques et climatologiques
Le projet d’alerte météo sur téléphone portable se fonde sur des initiatives régionales comme le Forum sur l’évolution probable du climat dans la région de la corne de l’Afrique, établi de longue date et qui diffuse des perspectives consensuelles d’évolution saisonnière du climat deux fois par an, et le Projet concernant la prévision des conditions météorologiques extrêmes (SWFP) pour l’Afrique de l’Est, dont le but est de renforcer la capacité des Services météorologiques nationaux de la région et d’améliorer le niveau de confiance des prévisionnistes à l’égard des phénomènes météorologiques violents.
Le projet d’alerte météo sur téléphone portable vise par ailleurs à renforcer le réseau ougandais d’observation du temps afin de faciliter la fourniture de produits d’information météorologique et climatique de qualité. Pour le volet agricole du projet, outre la station météorologique actuellement en service à l’aérodrome de Kasese, deux nouvelles stations ont été installées dans le district de Kasese, qui seront intégrées dans le réseau national d’observation.
Les observations de la température à la surface du lac revêtent une importance toute particulière pour prévoir le temps violent dans la région du lac Victoria. Les écarts de température entre la surface du lac et la surface des terres avoisinantes engendrent des processus convectifs qui provoquent des orages, lesquels s’accompagnent de fortes précipitations et de vents violents. Le Met Office du Royaume-Uni participe à l’installation de stations d’observation sur le lac et apporte son appui à l’équipe de prévisionnistes en Ouganda pour améliorer la prévision du temps violent.
Même si le manque d’informations météorologiques est particulièrement criant en Afrique, les solutions fondées sur la téléphonie mobile peuvent être appliquées dans d’autres régions. La conception même des services fournis par le projet d’alerte météo sur téléphone portable permet de recourir à ces services dans n’importe quelle communauté et de les adapter de manière à répondre aux besoins d’autres usagers, qui peuvent ainsi s’appuyer sur les prévisions météorologiques pour prendre des décisions.
L’atelier sur le projet d’alerte météo sur téléphone portable qui a eu lieu au mois de février a facilité le dialogue entre les fournisseurs de services et les utilisateurs finals. Les uns et les autres ont ainsi pu mieux comprendre leurs activités et leurs besoins d’informations respectifs. ©Clare Wise de Wet