par I. Allison1, M. Béland2, D. Carlson3, D. Qin4, E. Sarukhanian5 et C. Smith6
Introduction
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Les régions soumises au gel, en particulier les vastes étendues polaires qui sont le domaine du pergélisol, de la banquise et des calottes glaciaires, sont parmi les plus fascinantes et imposantes qu’il nous soit donné de voir sur Terre. Ces régions où les rayons du soleil sont toujours obliques, où le jour dure plusieurs mois et où la réflectivité du sol est exceptionnellement élevée livrent des images fascinantes, qui vont de la complexité des cristaux de glace aux arches élancées des icebergs et aux crevasses des glaciers en passant par les animaux au pelage ou au plumage immaculé. Nous nous apercevons pro gressivement que les régions polaires sont encore plus complexes sur le plan écologique qu’elles ne le sont sur le plan visuel. Les équilibres y sont si fragiles que le plus léger réchauffement peut faire fondre la glace, et la sensibilité de ces régions englacées aux effets du réchauffement climatique est telle que de petits changements peuvent avoir des conséquences dramatiques pour les écosystèmes et les habitants des régions polaires et bouleverser le système climatique planétaire.
La réalité des changements en cours et la nécessité urgente d’améliorer les modèles de climat et de confirmer les prévisions par des observations faites en milieu polaire ont amené la communauté scientifique internationale à s’intéresser de nouveau aux régions polaires et à tenter une nouvelle fois de parvenir à une compréhension globale des aspects géophysiques, écologiques et sociaux. Les conditions de vie dans les régions polaires restent difficiles, tant pour les résidents permanents que pour les scientifiques de passage, mais la recherche polaire peut s’appuyer sur une longue tradition de coopération scientifique et logistique internationale. Cette tradition, l’urgence qu’il y a à élucider les mystères de la cryosphère et l’occasion offerte par la célébration du jubilé de l’Année géophysique internationale (1957/58) ont débouché tout naturellement sur l’Année polaire internationale 2007/08.
Année polaire internationale 2007/08
Le Conseil international pour la science (CIUS) et l’OMM ont lancé récemment l’Année polaire internationale (API) 2007/08, à laquelle participeront des scientifiques de 63 pays et qui fera intervenir un large éventail de disciplines. La période d’observation officielle s’étend du 1er mars 2007 au 1er mars 2009 de façon à englober un cycle annuel complet d’observations dans l’Arctique et l’Antarctique. La présente année polaire vient couronner 125 années d’étude des régions polaires par la communauté scientifique internationale; les première et seconde API (1882/83 et 1932/33) étaient organisées sous les auspices de l’Organisation météorologique internationale, l’organisation qui a précédé l’OMM. L’API 2007/08 marque le 50e anniversaire de l’Année géophysique internationale (1957/58), qui était coparrainée par le CIUS et l’OMM.
En novembre 2004, un groupe de planification du CIUS a élaboré, avec la participation de l’OMM, un Cadre pour l’Année polaire internationale 2007/08 (Rapley et al., 2004), où étaient définis les objectifs scientifiques, les objectifs et les plans en matière de gestion des données, une politique en matière d’enseignement, d’information et de communication et une structure pour l’organisation et la mise en œuvre de l’Année polaire internationale 2007/08. Six thèmes, définis grâce à la précieuse contribution des spécialistes des régions polaires, permettent de fixer des objectifs généraux pour les diverses activités auxquelles donnera lieu l’Année polaire internationale (voir l’encadré ci-dessous).
La plupart des projets menés dans le cadre de l’API servent plusieurs objectifs. Par exemple, nombre d’entre eux qui s’articulent autour du thème N° 1 (La situation actuelle) consistent notamment à instaurer des observations de référence, ce qui rejoint le thème N° 2 (L’évolution). En fait, l’ensemble des projets approuvés pour l’Année polaire internationale reflète clairement l’ampleur et la diversité des activités scientifiques prévues pour l’occasion.
La conception des activités de recherche pour l’Année polaire internationale s’inscrit dans une démarche participative qui fait intervenir des chercheurs motivés dans un grand nombre de pays. La supervision et la coordination requises sont assurées par un Comité mixte CIUS-OMM pour l’API, qui est constitué des plus grands spécialistes internationaux des régions polaires et qui a remplacé en 2004 le groupe de planification créé au départ. Un total de 228 projets, dont 57 ont trait à la sensibilisation et à l’éducation, ont été officiellement approuvés par le Comité mixte en tant qu’activités participant à l’API à compter de juin 2007 (http://www.ipy.org/).
Les principaux participants à l’Année polaire internationale sont des groupes de chercheurs auto-constitués, des organisations internationales et des consortiums d’organismes gouvernementaux et non gouvernementaux.
La publication intitulée «the Scope of Science for the International Polar Year 2007-2008»
(Allison et al., 2007) donne un aperçu des activités prévues par le Comité mixte CIUS/OMM pour l’API sur la base des plans scientifiques et des objectifs afférents aux projets approuvés.
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Les six thèmes de l’API1.
1. La situation actuelle: déterminer l’état de l’environnement des régions polaires.
2. L’évolution: quantifier et mieux comprendre les changements environnementaux et sociaux qui se sont produits et se produisent dans les régions polaires, et mieux prévoir les changements à venir.
3. Les interactions au niveau plané-
taire: améliorer notre compréhension, à toutes les échelles, des relations réciproques entre les régions polaires et le reste du globe ainsi que des processus à l’œuvre.
4. Aux confins de la science: faire progresser la connaissance des régions polaires.
5. Un cadre propice: mettre à profit ce poste d’observation privilégié que constituent les régions polaires pour mieux sonder le globe terrestre, le système solaire et le cosmos.
6. Le facteur humain: étudier les processus culturels, historiques et sociaux qui permettent la survie des groupements humains vivant aux abords des pôles et mettre en évidence la singularité de leur contribution à la diversité culturelle et à la citoyenneté mondiale.
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L’Année polaire internationale 2007/08 sera l’occasion de mettre en place des stations et des systèmes d’observation qui serviront aux activités de recherche et de surveillance menées dans les régions polaires et, partant, à l’observation et à la prévision des changements. Elle permettra de mieux coordonner les activités de recherche à l’échelle internationale et de renforcer la coopération entre les pays dans les régions polaires, notamment entre les scientifiques, les autochtones et les organismes s’occupant d’enseignement, de santé ou de protection de l’environnement.
Les projets conçus pour l’API, par leur pouvoir d’attraction, favoriseront la constitution d’une nouvelle génération de chercheurs et d’experts. L’API contribuera aussi à sensibiliser les habitants et les collectivités des régions polaires ainsi que les enseignants, les étudiants, le grand public et les décideurs du monde entier à l’intérêt que revêtent les activités de recherche et d’observation dans ces régions et à leur faire comprendre les buts poursuivis. Grâce aux diverses sources de financement, actuelles et prévues, les projets mis au point dans le cadre de l’Année polaire permettront à la communauté internationale de tirer le meilleur parti possible des systèmes d’observation, des moyens logistiques et des infrastructures en place et de se doter de nouvelles capacités techniques et logistiques.
Recherche polaire: les priorités
Les activités scientifiques menées dans le cadre de l’API recouvrent un immense éventail de questions et de disciplines. Chaque projet représente un enjeu important et obéit à la nécessité d’élucider les changements qui se produisent dans les régions polaires. Les objectifs scientifiques de l’API évolueront avec le temps, au gré des découvertes et des éclairages nouveaux qu’elles jetteront sur notre savoir. Quatre questions clefs méritent une attention immédiate.
Recul accéléré de la neige et de la glace dans les régions polaires
En raison d’un phénomène de rétroaction positive par lequel la diminution de la couverture de neige et de glace entraîne l’accroissement de l’absorption de la chaleur du soleil, l’atmosphère et l’océan se réchauffent beaucoup plus vite dans certaines régions polaires que dans d’autres parties du globe. Les preuves du changement abondent: diminution de l’étendue et de l’épaisseur des glaciers et des calottes glaciaires, diminution du manteau neigeux et de la durée de l’enneigement et diminution de l’étendue et de l’épaisseur de la banquise. D’après le quatrième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, il apparaît clairement que, durant la décennie écoulée, de nombreuses masses de neige et de glace se sont mises à fondre à un rythme accéléré (Lemke et al., 2007).
Le pergélisol, c’est-à-dire le sol gelé en permanence, recouvre environ 25 % des terres émergées de l’hémisphère Nord et laisse apparaître des changements substantiels, le plus souvent sous la forme d’une décomposition thermique sous l’effet du réchauffement climatique. Au niveau local, la dégradation du pergélisol se répercute sur l’environnement et l’hydrologie et compromet la stabilité des côtes et des sols. Les changements concernant la répartition du manteau neigeux sur les terres émergées, la période de la fonte des neiges et le volume de l’écoulement qui en résulte ainsi que le recul des glaciers polaires et de montagne ont une incidence sur le cycle hydrologique et la distribution du couvert végétal, et ce tant à l’échelle locale qu’à l’échelle mondiale.
La banquise de l’Arctique rétrécit, laissant entrevoir la perspective d’une navigation transarctique. Les ours polaires, les phoques, les morses et autres animaux marins dont le mode de vie est lié à l’existence de la glace voient leur survie menacée par la disparition de leur habitat, qui met aussi en péril les cultures et les économies traditionnelles des peuples autochtones. L’étendue de la banquise diminue aussi autour de la péninsule Antarctique tandis qu’elle reste stable autour de l’Antarctique oriental.
L’évolution de la banquise, le réchauffement observé en surface et, dans le nord, la modification de l’écoulement fluvial auront des répercussions sur plusieurs espèces marines d’importance planétaire. On a désormais la preuve que les populations de krill, dont se nourrissent baleines, phoques et oiseaux de l’océan austral se sont considérablement réduites près de la péninsule Antarctique, là où la banquise hivernale revêt une importance capitale pour le développement des larves de krill. On a aussi observé une diminution des populations de certaines espèces de manchots, mais il est difficile de brosser un tableau exact de la situation vu que d’autres espèces ont tendance à migrer vers le sud à mesure que l’océan se réchauffe et que la banquise recule.
Les programmes d’observation et de modélisation engagés pour l’API permettront de décrire et de quantifier l’étendue des couvertures de neige et de glace dans les deux régions polaires, le rythme auquel elles évoluent et les diverses conséquences.
Téléconnexions planétaires: interaction des pôles avec le reste de la Terre
Les températures de l’air relevées en surface sur de vastes régions de l’Arctique et sur la péninsule Antarctique ont augmenté beaucoup plus vite que la moyenne mondiale, à cause de l’effet de rétroaction de l’albédo de la glace qui amplifie le changement climatique dans les régions polaires. Au-dessus de l’Antarctique, les températures troposphériques ont nettement augmenté, alors que la stratosphère s’est refroidie, aggravant ainsi la destruction de l’ozone dans l’hémisphère austral. Le réchauffement du climat a aussi entraîné une intensification des vents d’ouest dans les régions polaires. Ces vents viennent renforcer le courant circumpolaire antarctique, contribuent au réchauffement de l’océan austral, modifient l’ampleur des apports nutritifs qui sont réinjectés dans les écosystèmes de l’océan austral ainsi que la profondeur et la période auxquelles ce phénomène se produit, et, bien sûr, se rattachent à la circulation atmosphérique planétaire et hémisphérique et aux régimes de transport. La dégradation du pergélisol dont il est question plus haut risque par ailleurs de libérer de grandes quantités de carbone gelé dont certains composés, comme le méthane, entraîneront une augmentation de l’effet de serre planétaire.
D’autres changements observés dans le même temps dans les océans polaires se rattachent eux aussi aux changements qui se produisent à l’échelle du globe. Le tapis roulant océanique (circulation thermohaline) qui transporte la chaleur autour du globe et relie l’Arctique et l’Antarctique via la circulation océanique est régi par le glissement des eaux froides et denses dans les profondeurs aux alentours des pôles. Devenant progressivement moins froides et moins salées, en raison du recul de la banquise et de l’augmentation des apports fluviaux (dans le cas de l’Arctique), les eaux polaires ont davantage tendance à rester en surface, ce qui entraîne un bouleversement des régimes de circulation océanique modérateurs du climat.
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Matt Godbold, Australian Antarctic Division
(© Commonwealth of Australia) |
L’évolution des grandes calottes glaciaires aura un impact général sur le niveau de la mer et, partant, sur les populations qui habitent les régions côtières ou de basse altitude. Durant le XXe siècle, le niveau de la mer s’est élevé au rythme moyen de 1 à 2 mm par an du fait de l’expansion thermique des océans et de la fonte des glaciers de montagne et des calottes de glace. Ces dernières années, le rythme s’est accéléré, passant à 3 mm par an, ce qui traduit probablement la fonte accélérée des glaces polaires.
Les régions polaires sont généralement exemptes de sources majeures — industrielles ou commerciales — de pollution. Il n’empêche que l’on retrouve des polluants dans les écosystèmes tant de l’Arctique que de l’Antarctique, souvent en fortes concentrations (sous l’effet de la bioamplification) chez les animaux qui se trouvent au sommet de la hiérarchie des écosystèmes polaires. Ce sont ces mêmes animaux (ours, phoques, poissons et caribous) dont se nourrissent traditionnellement les populations autochtones. On peut affirmer avec certitude que les polluants rejetés dans l’atmosphère en n’importe quel lieu de la Terre ont et continueront d’avoir une incidence sur les populations de l’Arctique. Les oiseaux, poissons et autres animaux migrateurs favorisent la propagation de certains de ces polluants ainsi que de maladies. Leurs migrations saisonnières mettent en liaison biologique les régions polaires et les régions tempérées. Les itinéraires empruntés par les polluants pourront changer, tout comme les polluants eux-mêmes, au gré de l’évolution des conditions météorologiques et climatiques dans les régions polaires et des écosystèmes polaires. L’accumulation des polluants dans les régions polaires reflète ces inéluctables interconnexions planétaires.
Les activités de recherche entreprises dans le cadre de l’API nous permettront de mieux comprendre ces interconnexions et leur impact sur les sociétés humaines, et de mieux prévoir les transformations de la planète Terre.
Nos voisins du nord
Les peuples nordiques sont confrontés à des changements qui concernent les conditions météorologiques, les sols, la végétation et l’accès à la nourriture. Les changements sont exacerbés par les nouvelles contraintes et perspectives économiques, par l’évolution des systèmes d’information, par les nouvelles possibilités que laisse entrevoir l’autodétermination et par les questions à caractère urgent que sont le logement, la formation et l’emploi. Les changements climatiques ne se contentent pas de mettre en péril la diversité biologique dans les régions polaires et ailleurs mais constituent aussi une menace pour la diversité culturelle, tant dans les régions polaires que dans le reste du monde.
Les recherches menées dans le cadre de l’Année polaire internationale sous la supervision des populations locales et de leurs institutions et en partenariat avec elles portent sur les facteurs complexes qui déterminent le bien-être individuel et la capacité de récupération des autoch- tones face à des bouleversements sociaux et environnementaux sans précédent. Elles seront axées sur le bien-être des peuples nordiques, et plus particulièrement sur les effets de la pollution et des parasites sur les nourritures tradition nelles et la santé humaine, et notamment sur l’apparition ou la recrudescence de maladies infectieuses ou chroniques et l’instauration de modes de vie néfastes à la santé. L’étude des régions polaires suppose que l’on s’intéresse aux activités humaines, tant dans l’Arctique que dans l’Antarctique, qu’il s’agisse de l’exploitation des ressources naturelles (minerais et sources d’énergie notamment), des transports, du tourisme ou de la
production/dispersion de polluants.
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La chasse, la pêche et l'élevage, qui revêtent une grande importance pour l'économie et la culture des peuples arctiques, subissent les contrecoups de l'évolution du climat et des bouleversements géopolitiques. Les projets menés au titre de l'API abordent un large éventail d'activités humaines traditionnelles dans le contexte des transformations que connaît l'Arctique.
(Bryan and Cherry Alexander)
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Pour se faire une image complète et précise de l’Arctique et brosser un tableau qui intègre tous les éléments pertinents, il est nécessaire de collaborer avec les peuples nordiques en les considérant comme des partenaires à part entière, en particulier lorsqu’il s’agit de planifier et d’organiser des travaux de recherche, d’en évaluer les résultats, de diffuser informations et évaluations et de constituer des patrimoines.
Repousser les limites
La science polaire fera des percées sur de multiples fronts. Les chercheurs s’intéresseront à des questions telles que le patrimoine génétique des régions polaires, naguère aussi mystérieux qu’inaccessible, et aux régions de la croûte terrestre qui dissimulent les glaces. Les limites auxquelles se heurte la science polaire sont situées au croisement de plusieurs disciplines et ce sont les nouvelles techniques d’observation, les analyses interdisciplinaires et les progrès de l’informatique et des télécommunications qui permettront de les repousser.
Quels secrets, quelles informations sur le passé de la planète recèle la glace? La vie peut-elle trouver sa place dans le froid extrême et la longue nuit polaire? Quels processus d’adaptation structurelle ou physiologique ont pris naissance dans les eaux froides avant de se propager à tous les océans? Quels miracles photochimiques les premiers rayons du soleil printanier déclenchent-ils lorsqu’ils viennent éclairer le manteau neigeux? Quelle influence les populations microbiennes présentes dans les couches supérieures de l’océan exercent-elles sur la nébulosité? Quelle richesse, quelles subtilités du comportement, du langage et du savoir ont permis à des communautés humaines de survivre dans l’Arctique pendant des milliers d’années? Est-il possible que les glaces anciennes puissent détenir les clefs de notre passé dans leurs entrailles silencieuses et connaître dans le même temps des transformations si rapides? L’API est une occasion unique pour l’humanité d’agir collectivement et dans le cadre de partenariats internationaux pour repousser les frontières du savoir, explorer des contrées inconnues, mettre au point de nouveaux concepts et de nouvelles théories, élaborer des prévisions et des évaluations et formuler des recommandations tout en ouvrant la voie aux futurs explorateurs.
Héritage de l’API
L’API 2007/08 nous aidera à bien mieux comprendre les processus à l’œuvre dans les régions polaires et leurs interconnexions planétaires. Elle nous lèguera un riche héritage, notamment une moisson de données de référence recueillies à grande échelle et permettant de mesurer les changements à venir, des systèmes d’observation nouveaux ou améliorés et une nouvelle génération de scientifiques et de décideurs soucieux de transmettre cet héritage.
Jeux de données
La constitution d’un jeu global de données résultant du vaste éventail d’activités de recherche menées dans le cadre de l’Année polaire internationale représente l’un des plus formidables défis auxquels soient confrontés les acteurs de cette campagne polaire. Un jeu de données conçu sur la durée, accessible aux scientifiques et au grand public durant l’API et pendant les dizaines d’années à venir, représentera l’un des plus précieux héritages de l’Année polaire.
Une politique très claire a été élaborée pour l’Année polaire internationale, selon laquelle «les données de l’API, y compris les données d’exploitation fournies en temps réel, sont mises à la disposition des intéressés dans leur intégralité, gratuitement et sans restriction, et dans les délais les plus brefs». Des exceptions n’existent que pour préserver la confidentialité des informations relatives à des êtres humains, pour respecter les particularités et les droits de ceux qui, à l’échelle locale, détiennent un savoir traditionnel et pour faire en sorte que la diffusion de données ne porte pas préjudice à des ressources menacées ou protégées.
Un Service de données et d’information sera mis en place sur la base des stratégies conçues par le CIUS et l’OMM pour les futurs systèmes de données. Son organisation et sa mise en œuvre seront coordonnées avec les activités liées à l’Année géophysique électronique (AGé), contemporaine à l’Année polaire internationale. Les techniques nécessaires à l’instauration de ce service de données et d’information devront être conformes aux normes internationales les plus récentes concernant la compatibilité et les métadonnées. Pour que l’entreprise réussisse, il faudra mettre à contribution et relier entre eux un grand nombre de centres de données nationaux et internationaux et encourager la mise au point de formes de présentation communes, de systèmes de référence améliorés et de navigateurs géographiques. Les acteurs de l’API, de concert avec leurs homologues de l’AGé, s’emploient à promouvoir des principes et des mécanismes incitant tous les utilisateurs de données à citer systématiquement et avec précision leurs sources. L’application de cette politique pour l’ensemble des disciplines et des jeux de données afférents à l’API mettra en évidence la nécessité de prévoir, pour les activités scientifiques, un système qui permette de passer en revue les différents jeux de données et d’y faire expressément référence.
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Boréales ou australes, les aurores sont la manifestation la plus éclatante de l'interaction de la magnétosphère terrestre et de la haute atmosphère dans les régions polaires. Ces régions sont en effet des observatoires idéaux de l'atmosphère; on voit sur cette image le radar Super-DARN (Dual Auroral Radar Network) basé en Antarctique et utilisé pour l'étude de l'ionosphère terrestre en combinaison avec des radars similaires implantés dans l'Arctique.
(British Antarctic Survey)
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Maintes solutions novatrices seront mises en œuvre, dans le cadre du Service de données et d’information, pour regrouper et sauvegarder les données fort diverses, que léguera l’API grâce à l’amélioration des techniques de stockage et de télécommunication, des méthodes d’assimilation des données en temps réel et des systèmes de regroupement et d’échange des informations. En plus de ces solutions techniques et infrastructurelles, l’API jettera les bases d’un nouveau modèle de coopération scientifique dans la mesure où l’échange rapide et sans restriction des données deviendra peu à peu la norme pour les activités quotidiennes des chercheurs.
Systèmes d’observation
L’infrastructure et les systèmes complexes d’observation mis en place durant l’API 2007/08 fourniront l’assise nécessaire aux réseaux d’observation qui seront utilisés durant les décennies à venir pour la recherche polaire. Ce sera là l’un des principaux héritages de l’API vu que les changements survenant dans les régions polaires, tels qu’ils seront observés et quantifiés, laisseront présager des changements à venir dans le reste du monde. Cette période d’observation intensive se traduira par une moisson de données très complètes qui, une fois regroupées et assimilées par des modèles numériques perfectionnés, nous aideront à concevoir des systèmes d’observation efficaces et peu onéreux pour l’avenir.
Parmi les systèmes d’observation perfectionnés prévus dans le cadre de l’API, on peut citer: les systèmes d’observation de l’océan, y compris des glaces de mer, dans l’Arctique et l’Antarctique, les composantes polaires des systèmes mondiaux d’observation de l’atmosphère, les réseaux améliorés de surveillance de la pollution et les réseaux circumpolaires d’observation du pergélisol. S’y ajoutent les observations géophysiques et géodésiques portant sur les calottes glaciaires et les processus à l’œuvre sous la glace, et la collaboration inter-agences visant à fournir des produits satellitaires essentiels. Un accent particulier sera mis sur les systèmes de surveillance de la biodiversité marine et terrestre dans les deux hémisphères et sur la modernisation ou le renouvellement des systèmes d’observation de l’espace à travers l’atmosphère polaire, particulièrement limpide et dépourvue d’humidité. Tout aussi importants, et sans doute plus complexes, sont les réseaux collectifs de surveillance et les systèmes d’échange d’informations pan-arctiques que chercheurs et autochtones mettront sur pied pour acquérir et partager des données essentielles sur les conditions qui règnent dans les régions polaires et les changements qui s’y produisent.
Les systèmes d’observation conçus pour la campagne polaire feront partie intégrante des grands systèmes d’observation que sont, par exemple, le Système mondial des systèmes d’observation de la Terre, la Veille météorologique mondiale, la Veille de l’atmosphère globale et les systèmes mondiaux d’observation du climat et de l’océan, auxquels ils apporteront leur contribution. Les acteurs des projets de l’API et les organisations partenaires prévoient d’ores et déjà d’implanter des systèmes permanents d’observation de l’Arctique — notamment des paramètres géophysiques, écologiques et sociaux — et de l’océan circum-Antarctique.
Futurs chercheurs
L’apport de ressources financières supplémentaires durant l’Année polaire internationale 2007/08 se traduira par de nouvelles activités de formation et de nouveaux recrutements. Des centaines d’étudiants suivront une formation universitaire supérieure, dont des dizaines au niveau postdoctoral, et de nouveaux postes de chercheur pourraient même être créés. Il s’agit maintenant de transformer en héritage durable cette flambée d’enthousiasme. Tout d’abord, outre les systèmes d’observation et leur moisson de données, l’Année polaire internationale devra déboucher sur un financement accru de la recherche polaire pour qu’il soit possible de recruter et de retenir durablement une nouvelle génération de chercheurs. Ces nouveaux chercheurs spécialisés dans les régions polaires devront représenter un large éventail de pays et de disciplines, vu que la diversité culturelle et intellectuelle imprégnera les sciences de l’avenir et tout particulièrement les sciences polaires. Enfin, les jeunes chercheurs de l’API 2007/08, représentatifs des deux sexes et de diverses cultures, devront instaurer des réseaux intellectuels, universitaires et professionnels qui leur permettent d’échanger des idées, de partager leur enthousiasme et de concevoir des projets d’avenir communs, dans le but exprès d’organiser et de diriger les futures activités de recherche sur le changement global. L’essor rapide de l’APECS, association qui regroupe des spécialistes de la recherche polaire en début de carrière, augure bien de l’avenir des sciences polaires et de la science en général.
Résumé
La période qui s’étend du 1er mars 2007 au 1er mars 2009 sera riche d’enseignement et fera date dans l’histoire. L’Année polaire internationale 2007/08 devrait nous aider à relever les grands défis scientifiques que posent les régions polaires et nous léguer un riche patrimoine de données, de moyens et de compétences. Pour le grand public auquel elle s’adresse également et qui est déjà captivé par l’imagerie et la faune polaires, elle se doit de répondre, de par sa finalité scientifique, aux questions cruciales relatives à la santé de la planète à une époque où l’humanité commence à prendre conscience de son impact sur l’environnement. Axée sur les régions glacées de la Terre, cette campagne sera triplement bénéfique: elle nous permettra de tester les limites de notre savoir, elle nous mettra en garde contre les dangers que nous faisons courir à notre planète et elle nous donnera l’occasion d’instaurer un nouveau type de partenariat associant scientifiques et populations locales, pour le plus grand profit de la planète et de l’humanité tout entière.
Références
Allison, I., M. Béland, K. Alverson, R. Bell, D. Carlson, K. Danell, C. Ellis-Evans, E. Fahrbach, E. Fanta, Y. Fujii, G. Glaser, L. Goldfarb, G. Hovelsrud, J. Huber, V. Kotlyakov, I. Krupnik, J. Lopez-Martinez, T. Mohr, D. Qin, V. Rachold, C. Rapley, O. Rogne, E. Sarukhanian, C. Summerhayes, C. Xiao, 2007: The scope of science for the International Polar Year 2007-2008, WMO/TD-No.1364, 79 p.
Lemke P. et coauteurs, 2007: Changements dans la cryosphère. Dans: Bilan 2007 des changements climatiques: les bases scientifiques physiques. Contribution du Groupe de travail I au quatrième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat [S. Solomon, D. Qin et autres (ed.)], Cambridge University Press, Cambridge, Royaume-Uni et états-Unis d’Amérique, 43-46
Rapley C., R. Bell, I. Allison, R. Bindschadler, G. Casassa, S. Chown, G. Duhaime, V. Kotlyakov, M. Kuhn, O. Orheim, P.C. Prandey, H.K. Petersen, H. Shalke, W. Janoschek, E. Sarukhanian, Z. Zhang, 2004: A Framework for the International Polar Year 2007-2008, ICSU, 38 p.
1. Ice, Ocean, Atmosphere and Climate Program, Australian Antarctic Division et Antarctic Climate and Ecosystems Cooperative Research Centre, coprésident du Comité mixte pour l’API
2. Direction des sciences et de la technologie atmosphériques, Environnement Canada, coprésident du Comité mixte pour l’API
3. Directeur du Bureau international du programme de l’API
4. Administration météorologique chinoise, président de l’Équipe spéciale intercommissions pour l’API et membre du Comité mixte pour l’API
5. Conseiller spécial du Secrétaire général de l’OMM pour l’API et membre de droit du Comité mixte pour l’API
6. Directeur exécutif adjoint du CIUS et membre de droit du Comité mixte pour l’API