ARISE - Une infrastructure de recherche européenne associant trois techniques de mesures

01 mars 2013


Les technologies initialement mises au point pour détecter les explosions secrètes de la bombe H pourraient être exploitées par les prévisionnistes et ainsi leur permettre de nous indiquer le temps qu’il fera dans un mois. Et tel est bien l’un des objectifs de l’extraordinaire projet de recherche internationale sur la dynamique de l’atmosphère lancé en janvier 2012 et baptisé ARISE (Atmosphere dynamics Research InfraStructure). Les études entreprises ont démontré que les couches supérieures de l’atmosphère terrestre pouvaient nous fournir des informations essentielles pour améliorer la précision des prévisions à long terme, sur des échelles pouvant atteindre quatre semaines. C’est ainsi que douze partenaires venant de huit pays européens et un pays associé ont uni leurs forces pour combiner mesures de la stratosphère et mesures de la mésosphère à l’aide de trois types différents d’instruments.

Le projet ARISE a pour ambition de réactiver les collaborations existantes entre chercheurs européens tout en développant et en intégrant, pour la première fois, un large éventail de thèmes complémentaires tels que les infrasons, les ondes de gravité et les ondes planétaires, les perturbations de la stratosphère et de la mésosphère, l’étude et la modélisation de l’atmosphère à partir de données transmises par satellite, ainsi que la dynamique atmosphérique. Ce projet devrait permettre d’accomplir d’importants progrès en matière de modélisation atmosphérique, de prévision météorologique et de surveillance des phénomènes extrêmes au service de la sécurité civile. Il fournira de nouvelles images en 3D de l’état de l’atmosphère et de sa variabilité tant dans l’espace que dans le temps.


Dynamique de l’atmosphère

L’atmosphère a longtemps été considérée comme un milieu stratifié où l’interaction entre les couches supérieures et la troposphère dans laquelle nous vivons demeure négligeable. Toutefois, des études récentes ont révélé l’influence importante que peut jouer la dynamique de la moyenne et de la haute atmosphère sur le temps et le climat de la troposphère. Les oscillations atmosphériques, en particulier les ondes de gravité et les ondes planétaires, gouvernent cette interaction et la plupart des systèmes de circulation générale de grande échelle dans la moyenne et la haute atmosphère, notamment la circulation de Brewer-Dobson et les Oscillations semi-annuelle et quasi-biennale.

Les ondes atmosphériques transportent l’énergie thermique et le moment cinétique d’une région à l’autre. L’origine et la dynamique des ondes planétaires et des ondes de gravité diffèrent significativement. Les ondes planétaires doivent leur existence au gradient équateur-pôles du tourbillon potentiel et sont induites par les courants circulant au-dessus des reliefs et les contrastes thermiques terre océan. Elles sont plus importantes aux latitudes moyennes et élevées et peuvent engendrer des écarts considérables d’écoulement par rapport à leur moyenne climatologique. Il est primordial de bien appréhender la localisation et la structure des zones de cisaillement de l’écoulement moyen, là où les ondes planétaires déferlent, pour comprendre et prévoir les phénomènes de réchauffement soudain de la stratosphère. Les observations à haute résolution de la stratosphère permettraient d’améliorer sensiblement notre compréhension de ce qu’il est convenu d’appeler «les couches critiques».

Les ondes de gravité sont plus répandues et s’observent à différentes échelles spatiales allant de quelques kilomètres à l’échelle planétaire. Elles sont engendrées à la fois par les courants circulant au dessus des reliefs et par une forte convection, par exemple par temps d’orage. Les ondes de gravité jouent un rôle important pour déterminer le climat moyen de la stratosphère et de la mésosphère et permettent de prévoir les oscillations de la vitesse moyenne du vent aux tropiques, et donc d’améliorer la prévisibilité du système climatique. Toutefois, les ondes de gravité à petite échelle, dans leur grande majorité, ne peuvent pas être simulées à l’aide de modèles climatiques types, seuls les modèles de prévision météorologique y parviennent partiellement. En conséquence, les modèles climatiques doivent paramétriser les ondes de gravité pour obtenir une simulation précise du climat moyen de la moyenne et de la haute atmosphère et de la variabilité de ce dernier. Nombre de paramètres obtenus par paramétrisation des ondes de gravité demeurent aléatoires en l’absence d’observations à haute résolution sur le long terme.

L’amplitude des marées atmosphériques est importante dans la moyenne atmosphère. Les marées engendrées par l’ozone stratosphérique et la vapeur d’eau présente dans la haute troposphère peuvent entraîner un écart systématique entre les résultats de mesures non simultanées et constituent un véritable problème pour la validation par satellite et l’évaluation de la variabilité à long terme lorsque les horaires de mesure varient. Même si, à ce jour, la théorie des marées est bien établie, l’amplitude exacte et les caractéristiques de phase n’ont pas encore été définies en raison du faible nombre de mesures d’observation disponibles. Les mesures ARISE permettront de valider la simulation des marées à l’aide de modèles numériques exploités pour effectuer une correction systématique des résultats des analyses comparées de données satellites et des estimations de tendance.

Dynamique des échanges entre la troposphère, la stratosphère et la mésosphère, notamment rôle des ondes de gravité et des ondes planétaires
Dynamique des échanges entre la troposphère, la stratosphère et la mésosphère, notamment rôle des ondes de gravité et des ondes planétaires


Concept du projet

L’étude ARISE vise à concevoir une nouvelle infrastructure capable d’intégrer différents réseaux d’observation atmosphérique afin d’obtenir une image en 3D de chaque couche de l’atmosphère, du sol à la mésosphère, avec une résolution spatio-temporelle exceptionnelle. Le projet couvrira l’Europe et des régions externes, notamment les régions polaires et équatoriales.

L’infrastructure englobera les réseaux infrasons de vérification du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires, le réseau pour la détection des variations de la composition de l’atmosphère (observations LIDAR - détection et télémétrie par ondes lumineuses) et le réseau pour la détection des changements atmosphériques au niveau de la mésopause, destiné à mesurer la luminescence dans la mésosphère. Elle comprendra en outre les stations infrasons auxiliaires de divers pays, des stations infrasons spécialisées implantées à proximité des volcans pour étudier la source volcanique et des antennes de mesures ionosphériques pour déterminer le couplage avec l’espace proche de la Terre.

Les données collectées par ces multiples réseaux seront analysées pour en déduire une estimation optimale des changements d’état des différentes couches de l’atmosphère, ce qui permettra de contraindre la paramétrisation des ondes de gravité et d’améliorer l’initialisation des prévisions relatives à la moyenne et la haute l’atmosphère.

 
Spectromètre de luminescence déployé à Schneefernerhaus près du sommet de la Zugspitze
Spectromètre de luminescence déployé à Schneefernerhaus près du sommet de la Zugspitze
 

Les retombées attendues sont une description plus fine de l’atmosphère et une plus grande précision des prévisions météorologiques à courte et moyenne échéance. Les mesures ARISE seront également exploitées pour améliorer la représentation des ondes de gravité dans les modèles climatiques destinés à expliquer le comportement de la stratosphère, ce qui primordial pour pouvoir évaluer les effets des divers agents de forçage du système climatique stratosphérique sur la troposphère. Ces données seront utilisées dans le cadre de la surveillance du climat dans la moyenne atmosphère en vue d’analyser les tendances climatiques moyennes à long terme et l’évolution des phénomènes extrêmes à ce niveau. Ces recherches pourraient également déboucher sur des applications civiles relatives à la surveillance des aléas naturels.

Carte des stations participant au projet ARISE
Carte des stations participant au projet ARISE


L’objectif de l’étude ARISE est de réunir des équipes de chercheurs n’ayant jamais travaillé ensemble auparavant, de coordonner leurs travaux et de concevoir une grande infrastructure destinée à apporter une haute valeur ajoutée à la compréhension de l’atmosphère. Le projet vise en grande part à définir les caractéristiques de paramètres d’observation nouveaux, à haute valeur ajoutée, en mettant en oeuvre différentes techniques de mesure. Il comporte également des études et des simulations basées sur les données utilisées dans le cadre de la modélisation de l’atmosphère et la prévision météorologique et climatique.


Impacts sociétaux et applications

La surveillance de l’atmosphère terrestre s’appuie sur des données obtenues grâce à la mise en oeuvre de technologies d’avant-garde faisant appel aux infrasons, à la télédétection LIDAR et aux mesures de luminescence. Elle offre ainsi une large palette d’applications au service de la sécurité civile, applications susceptibles de contribuer à la sécurité et au bien-être de l’humanité. Les données de pointe, collectées par le projet ARISE dans les domaines ci-dessous, seront exploitées dans le cadre de la surveillance des phénomènes extrêmes ainsi qu’à des fins de sécurité civile.

Détection des infrasons sur le volcan Yasur, île de Tanna, Vanuatu
Détection des infrasons sur le volcan Yasur, île de Tanna, Vanuatu


Surveillance des volcans et sécurité aérienne

La mesure des ondes atmosphériques infrasonores présente un grand intérêt pour la surveillance de l’activité des volcans et des phénomènes extrêmes. Elle offre des informations utiles sur le rejet de cendres à l’atmosphère lorsqu’on ne peut accéder aux informations satellitaires en raison de la couverture nuageuse. Le Groupe de l’exploitation de la Veille des volcans le long des voies aériennes internationales, appuyé par l’Organisation de l’aviation civile internationale, encourage l’amélioration des outils de détection et de prévision des nuages de cendres volcaniques. Dans ce contexte, le Groupe est pleinement conscient de l’intérêt que représente la technologie infrasons.

La densité des stations de détection des infrasons à l’échelle de la planète augmente de façon constante et les signaux d’activité sismique sont régulièrement enregistrés. Les caractéristiques des signaux détectés, et la plage maximale d’observation de ces signaux, dépendent du type d’éruption, qui peut être soit effusive soit explosive. Les éruptions importantes peuvent parfois libérer une grande quantité de cendres dans la haute atmosphère. La région géographique couverte par le projet ARISE englobe des volcans d’Europe (Italie, Islande) et d’Afrique (Tanzanie, République démocratique du Congo, les Comores et la Réunion). En outre, le déploiement temporaire d’antennes portatives de détection des infrasons à proximité du cratère de volcans actifs permettra de réaliser d’importantes observations et mesures. Les données ainsi relevées permettront aux chercheurs de mieux appréhender la spécificité de chacun des volcans observés et de renforcer la participation de l’Europe aux systèmes d’alerte en cas d’éruption volcanique.

Une fois achevée la mise en place du réseau infrasons du Système de surveillance international (SSI), appuyé par des installations nationales, il sera plus facile d’atteindre l’objectif fixé, à savoir l’envoi, dans des délais courts, de notifications de détection d’une explosion volcanique aux Centres d’avis de cendres volcaniques. Ces systèmes d’alerte précoce permettront de prévenir les catastrophes liées aux éruptions et d’atténuer les conséquences des nuages de cendre sur la navigation aérienne.

Mouvements de masse à la surface de la Terre

Les données infrasonores ARISE, exploitées dans l’étude des catastrophes naturelles liées aux mouvements de terrain massifs (séismes, glissements de terrain et avalanches), trouvent également des applications dans le domaine de la sécurité civile.

La technologie infrasons permet de détecter et de localiser les mouvements à la surface de la Terre. Les cartes d’intensité des infrasons destinées à caractériser les séismes de grande magnitude peuvent nous aider à recenser les régions habitées exposées à un risque élevé de catastrophe. Dans certains cas, on pourra réaliser une analyse détaillée des signaux afin de localiser les sources de couplage sol-air et de comparer les résultats obtenus avec les cartes d’intensité sismique.

L’évaluation des risques d’avalanche de neige comporte essentiellement une étude des conditions météorologiques et de la couverture neigeuse. La prévision des risques d’avalanche fondée sur la modélisation des conditions neigeuses n’en est qu’à ses balbutiements et requiert une observation objective du phénomène pour pouvoir être validée. La plupart du temps, cette observation est visuelle, mais depuis plusieurs années déjà, est venue s’ajouter la détection sismique à titre expérimental. En conséquence, l’observation des avalanches pourrait grandement tirer profit de la technologie infrasons dans la mesure où il s’agit de la seule technologie capable de détecter les transitoires de pression produits par les avalanches. ARISE analysera des centaines de signaux détectés par les ensembles de capteurs infrasons déployés dans les Alpes afin de déterminer s’il est possible de repérer de manière formelle une avalanche. Ceci pourrait avoir une grande incidence sur les travaux des chercheurs du monde entier en matière de modélisation des prévisions et de gestion des risques.

Dans le cadre du projet ARISE, des équipements portatifs peuvent également être déployés dans les Alpes pour mesurer les caractéristiques des signaux infrasonores produits par les avalanches de neige, qu’elles soient naturelles ou artificielles. Des expériences sont menées chaque année sur différents sites d’essai en Suisse et en Autriche. On pourrait alors s’appuyer sur ce projet pour renforcer les travaux des équipes de génie civil spécialisées dans la gestion des dangers liés aux avalanches. La détection et la localisation des avalanches peuvent venir en complément des observations humaines et ainsi confirmer la survenue d’un évènement lorsque les conditions de visibilité sont mauvaises, par exemple dans une zone montagneuse reculée, par mauvais temps ou la nuit. Mieux comprendre la signature infrasonore d’une avalanche pourrait aussi nous aider à déterminer les séquences non observables liées à l’instabilité de la couverture neigeuse, signes précurseurs d’épisodes de plus grande ampleur, et de lancer des alertes, comme c’est déjà le cas pour les secousses prémonitoires observées avant les grands tremblements de terre.

Conditions météorologiques extrêmes

Les données transmises par les réseaux infrasons, les lidars et les réseaux de mesure de la luminescence atmosphérique devraient nous permettre de mieux comprendre les propriétés de la haute atmosphère et leur variabilité dans le temps. Ces informations, enregistrées dans une base de données centralisées, constitueront un ensemble unique de données pour la surveillance continue et à long terme de l’intensité et de l’évolution des phénomènes extrêmes, des fortes tempêtes aux tornades en passant par les cyclones.

Les campagnes Eurosprite, lancées en 2005 dans plusieurs pays, font appel à des caméras optiques et des instruments auxiliaires pour détecter les phénomènes lumineux transitoires (farfadets) qui se produisent dans la moyenne atmosphère au-dessus des nuages d’orage. Dans le cadre de ces campagnes, les installations d’observation au sol du projet ARISE mettent en oeuvre des techniques complémentaires destinées à mesurer la signature des farfadets et utilisent les ultrasons pour étudier les mécanismes à l’origine des éclairs et des farfadets.

ARISE se propose de déterminer les paramètres les plus adaptés pour caractériser ces phénomènes météorologiques extrêmes. Dans les applications à long terme, les observations réalisées par le réseau ARISE pourraient être incorporées aux modèles météorologiques existants afin d’améliorer la précision des prévisions à brève et moyenne échéance.

Dakota du Sud, États Unis d’Amérique, orage, 28 mai 2006
Dakota du Sud, États Unis d’Amérique, orage, 28 mai 2006


La surveillance des phénomènes extrêmes tels que les orages et les cyclones joue également un rôle important lorsque l’on cherche à déterminer l’évolution de ces évènements en lien avec le changement climatique.

Météorites

L’explosion de grosses météorites dans l’atmosphère, même si ces dernières entrent rarement en collision avec la Terre, est souvent signalé par des témoins oculaires ou enregistrées par des cameras ultra-grand-angulaire. Le réseau infrasons ARISE permet d’assurer une surveillance continue de l’entrée d’objets célestes importants dans l’atmosphère.

On recourt de plus en plus souvent à la technologie infrasons pour obtenir des données d’observation de chute de météorites. À l’échelle de la planète, la récurrence des explosions de météorites est d’environ un à deux phénomènes par mois pour des corps d’un mètre de diamètre et un par décennie pour des corps de dix mètres de diamètre. Il est possible de détecter les phénomènes les plus importants à une distance de plusieurs milliers de kilomètres, comme l’illustre le phénomène observé à Sulawesi et détecté par le réseau infrasons du SSI en octobre 2009.

La densité de couverture du réseau infrasons ARISE doit permettre de détecter et de caractériser toute explosion de grosse météorite dans la région Europe. Les détections infrasonores, à elles seules, fournissent des informations statistiques sur la chute de bolides et contribuent à alimenter les bases de données relatives aux objets extraterrestres entrés en collision avec la Terre. Les résultats peuvent s’avérer encore plus intéressants lorsque l’on peut disposer d’observations transmises par d’autres réseaux régionaux, permettant ainsi de contraindre et de reconstruire la trajectoire des météores sources.


Une véritable réussite

Le projet ARISE est manifestement une réussite si l’on s’en réfère au nombre croissant de membres associés et aux nombreux liens établis avec des groupes internationaux impliqués dans la recherche climatologique et environnementale. Certains phénomènes récents ont été observés par des partenaires au projet ARISE, démontrant la pertinence des mesures réalisées dans le cadre de ce projet. Le premier concerne un épisode important de réchauffement soudain de la stratosphère, intervenu entre décembre 2012 et janvier 2013: trois instruments ARISE installés à l’observatoire de Haute Provence ont révélé que l’on pouvait enregistrer un écart de température de 20° C entre les modèles et les observations.

L’autre concerne la recrudescence de l’activité du volcan Etna en janvier 2013, pour laquelle les données d’observation sont actuellement soigneusement étudiées afin d’améliorer la surveillance des infrasons dans des régions volcaniques reculées. Les résultats issus de l’analyse des observations ARISE permettront de décrire la dynamique planétaire de ces phénomènes complexes de grande ampleur et donc de renforcer le recours aux données et aux résultats ARISE pour modéliser les mécanismes impliqués et leur incidence sur le temps.

L’extension du système ARISE en Afrique offrira également une couverture exceptionnelle de l’Équateur aux pôles.

Pour plus ample information sur ce projet consultez le site ARISE: http://arise-project.eu

Traversée d’une météorite dans l’atmosphère
Traversée d’une météorite dans l’atmosphère


 

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