Comprendre le cycle de l’eau, condition sine qua non du développement durable

01 juillet 2008

par Angel Luis Aldana Valverde*


Introduction

L’expression «développement durable» fait référence au développement économique et social tel qu’il est défini dans le «rapport Brundtland» présenté, en 1987, à l’Assemblée générale des Nations Unies par la Commission mondiale de l’environnement et du développement (voir http://www.un.org/documents/ga/res/42/ares42-187.htm), à savoir un développement économique et social qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. Le développement durable établit un lien entre les trois aspects fondamentaux du développement—économique, social et environnemental—de telle manière que le développement économique, couplé aux nouvelles technologies et aux systèmes d’organisation sociale, garantisse un certain niveau de bien-être social compatible avec la préservation de l’environnement. Cette définition suppose que les ressources naturelles sont limitées (quantité) et leurs possibilités d’utilisation restreintes (qualité).

L’eau douce est sans doute la plus précieuse des ressources; en tout état de cause, elle est indispensable. La demande d’eau augmente avec la croissance démographique et le développement. Or, la progression de la population peut avoir une incidence considérable sur la qualité de l’eau alors même que les quantités disponibles n’augmentent pas et sont même, dans de nombreuses régions, d’ores et déjà insuffisantes. Que les changements climatiques entraînent ou non une diminution des ressources en eau susceptible d’aggraver la pénurie d’eau affectant certaines régions, le taux de croissance rapide de la population renvoie à un scénario pessimiste, à moins que les modes d’utilisation et de gestion de l’eau soient modifiés en profondeur.

L’eau ne constitue pas seulement une ressource naturelle, c’est aussi un facteur de risque connu si l’on se réfère aux énormes dégâts matériels et aux pertes en vies humaines que peuvent causer les inondations. Les phénomènes naturels que sont les crues constituent, dans les zones densément peuplées (exposition à un risque) ou renfermant de nombreux biens et services (vulnérabilité), un danger pour la société.

Le présent article examine le concept de développement durable par rapport au concept hydrologique de base qu’est le cycle de l’eau.

Description sommaire du cycle de l’eau

La Terre est recouverte en grande partie d’une couche d’eau salée. Le processus d’évaporation qui se produit au-dessus de la mer élimine une partie des sels dissous dans l’eau qui sont intégrés dans l’atmosphère à l’état gazeux. Une quantité considérable d’énergie solaire est nécessaire pour opérer cette transformation. L’humidité est transportée par le vent et passe à l’état liquide ou solide pour former des nuages et, parfois, tomber sous forme de précipitations sur les terres émergées. L’eau à l’état liquide provenant de la fonte des neiges et du ruissellement pluvial forme des rivières et des lacs, dont les eaux vont se jeter dans la mer, achevant ainsi le cycle.

Derrière cette description théorique simplifiée du cycle de l’eau se cache une réalité beaucoup plus complexe. Le processus d’évaporation à la surface des masses d’eau douce (cours d’eau et lacs), à la faveur duquel d’énormes quantités d’eau se transforment à nouveau en vapeur, doit être dûment pris en considération. Une partie de l’eau présente à l’état liquide (celle qui tombe sous forme de pluie ou qui se trouve en contact avec le sol—rivières, lacs et couverture nivo-glaciaire) pénètre dans le sol, saturant une partie de celui-ci et créant ainsi des réservoirs souterrains appelés aquifères. Les eaux souterraines circulent elles aussi, une partie se jetant directement dans la mer et le reste venant alimenter les rivières à leur source ou par le biais d’un affluent. Enfin, l’eau peut retourner directement à sa phase liquide dans l’atmosphère par la transpiration des végétaux qui éliminent ainsi une partie de l’eau contenue dans le sol et conservent une partie de l’eau de pluie dans leur feuillage.

Qualité et écoulement des eaux

Le cycle hydrologique doit également être considéré dans le contexte de l’analyse ou de la gestion de la qualité de l’eau, c’est-à-dire de son adéquation aux besoins de l’homme et des autres êtres vivants. Solvant très puissant, l’eau est en contact avec des substances qu’elle entraîne et transporte, en suspension ou en solution. Sa qualité est donc très variable et subit l’influence de facteurs naturels ou anthropiques. L’eau de crue est généralement impropre à la consommation humaine. C’est pourquoi elle doit être soumise à des processus naturels de décantation, de filtrage ou de biodégradation, reproduits dans les stations de traitement de l’eau (préalablement à sa consommation) ou les stations d’épuration des eaux usées (avant leur rejet dans l’environnement).

personnes et chameaux au bord d'un fleuve  
Que les changements climatiques entraînent ou non une diminution des ressources en eau, le taux de croissance rapide de la population renvoie à un scénario pessimiste, à moins que les modes d’utilisation et de gestion de l’eau soient modifiés en profondeur.  

Les diverses utilisations de l’eau (pour la consommation humaine, l’agriculture, l’élevage, l’industrie et l’exploitation minière, par exemple) entraînent sa pollution, sous une forme ou une autre, et, par conséquent, une forte baisse de sa qualité. La façon dont l’eau est restituée au milieu naturel a une grande importance pour ses usages ultérieurs. Une atteinte à la qualité de l’eau dans le cycle hydrologique peut conduire, de manière prévisible, à l’apparition de diverses contaminations et à leur propagation, principalement dans le sens de l’écoulement des eaux. L’eau de mauvaise qualité rejetée dans les rivières peut ainsi polluer les aquifères ou fortement contaminer les lacs et les mers et, en particulier, les ressources piscicoles. En outre, certaines formes de pollution des eaux peuvent être transportées par les courants marins ou les vents vers des lieux très éloignés.

Un équilibre complexe, sensible aux changements

Le cycle hydrologique s’inscrit dans le cadre d’un équilibre complexe où l’eau intervient sous diverses formes et dans diverses proportions. Il est soumis aux variations naturelles et anthropiques. L’évolution vers un autre type d’équilibre (si le cycle est actuellement en équilibre ou si ce dernier est capable de perdurer) peut influer non seulement sur la quantité d’eau présente dans le cycle hydrologique, mais également sur la qualité de l’eau sous ses diverses formes.

Le cycle de l’eau est étroitement lié au climat en raison des propriétés physico-chimiques particulières de l’eau et de sa présence en très grande quantité (dans les océans et l’atmosphère et sur les continents). Il n’est pas possible d’expliquer le climat sans se référer à l’eau contenue dans l’atmosphère, aux courants océaniques ou au cycle hydrologique. Malgré la forte interdépendance du climat et du cycle de l’eau, il demeure extrêmement difficile de quantifier les différents processus en jeu.

Les activités humaines, notamment celles qui consistent à réglementer les différents usages de la ressource eau et l’utilisation des sols, modifient le cycle hydrologique, tout comme les mesures visant à réduire les débits de pointe de manière à limiter les dégâts causés par les inondations. Ces changements sont de plus en plus importants en raison de la croissance démographique et de l’augmentation du niveau de vie, et doivent, par conséquent, être pris en compte du fait des modifications de l’environnement qu’ils entraînent et des incertitudes liées à la possible diminution des ressources et à l’aggravation des phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les sécheresses et les inondations.

Limites géographiques et échelles temporelles

L’étendue géographique des phénomènes hydrologiques est une notion que le grand public a souvent du mal à saisir. Une des théories dominantes actuelles, étayée par la logique et la pratique, est que la gestion des ressources en eau ou des crues doit être fonction de la géographie des bassins versants, séparés les uns des autres par la disposition du relief. On a ainsi une vision assez générale des problèmes liés à la gestion de l’eau et la prise de décisions s’en trouve facilitée. Le cycle de l’eau devrait toutefois être replacé dans une perspective encore plus large. En premier lieu, la prise en considération des eaux souterraines fait entrer en ligne de compte un nouvel ensemble de frontières naturelles qui peuvent être indépendantes des bassins hydrographiques (concept intrinsèquement lié aux eaux de surface) et vont généralement au-delà des limites géographiques de ces derniers. En outre, compte tenu de ce qui précède, les phénomènes naturels ne peuvent pas être considérés hors du contexte planétaire.

Pour tâcher de comprendre le monde et d’en gérer les ressources, nous établissons des limites géographiques dont le caractère artificiel devient plus manifeste sur de longues périodes.

Un autre point qui reste mal compris, même par les experts, étant donné que les connaissances scientifiques et techniques présentent encore de grosses lacunes, concerne les différentes échelles temporelles sur lesquelles se déroulent les divers processus naturels. Il peut en résulter une mauvaise gestion, en particulier sur les longues périodes. Par exemple, les précipitations ont souvent pour effet de faire augmenter le niveau des cours d’eau au bout de quelques heures voire dans un laps de temps plus court, alors que dans les grands bassins hydrographiques, le décalage entre la cause et l’effet peut être de plusieurs jours, semaines ou mois. Malgré ce décalage, la relation de cause à effet pour ce type de phénomène ne fait aucun doute. D’autres phénomènes, tels ceux liés aux eaux souterraines, à l’accumulation de polluants ou au transport de sédiments, se développent sur des périodes beaucoup plus longues. On ne peut certes pas généraliser, les cas d’espèce variant sensiblement, mais si les conséquences de certains phénomènes tardent parfois à se manifester, ce peut être parce que nous ne sommes pas assez attentifs. Dans ces cas-là nous disposons heureusement de plus de temps pour intervenir ou nous adapter mais, d’un autre côté, les mesures correctives sont plus longues à mettre en œuvre.

Surveillance et étude des processus

Les développements précédents visent à expliquer la complexité et l’importance des questions relatives au cycle de l’eau. Ces deux aspects incitent à approfondir l’étude des processus et des sous-processus en jeu pour jeter les bases d’une gestion rationnelle durable. L’acquisition des connaissances reposera à la fois sur les résultats des études réalisées et sur l’observation, c’est-à-dire sur la surveillance continue de l’ensemble des phénomènes naturels et des phénomènes sociaux connexes. Nous touchons ainsi à un autre aspect, exposé ci-après, qui nécessite une prise de conscience plus grande et une vision véritablement planétaire.

Les séries chronologiques de données d’observation dont on dispose actuellement ne nous renseignent que sur une petite partie de la planète, et pour de vastes zones, il n’existe aucun programme de mesure qui permette de réaliser des analyses quantitatives. Or, tout phénomène, où qu’il se produise dans le monde, peut avoir des répercussions ailleurs, les pays n’étant absolument pas, pour ce qui concerne les problèmes liés à l’eau, indépendants les uns des autres. Cette réalité justifie la mise en place d’une approche qui tienne également compte du principe éthique fondamental de solidarité. Les pays riches ont besoin des mesures et des observations réalisées dans les pays pauvres pour renforcer leur compréhension des phénomènes. Ils ont aussi intérêt à ce que l’on gère de façon optimale les ressources en eau tout en réduisant le plus possible les dommages causés par les inondations, vu que la mondialisation favorise la propagation des risques.

Enseignement et formation professionnelle

Étant donné la complexité croissante de la société et la nécessité d’une gestion plus rigoureuse et prudente des ressources naturelles ainsi que d’une plus grande clairvoyance lors de la prise de décision et de l’élaboration de politiques visant à garantir des processus participatifs, il est plus que jamais nécessaire de mettre l’accent sur la formation de spécialistes et l’éducation du public.

La complexité des problèmes est telle qu’il faut pouvoir disposer de professionnels dûment qualifiés et possédant l’expérience requise. Il est nécessaire aussi de pouvoir compter sur des institutions suffisamment solides et indépendantes pour garantir un travail rigoureux.

L’éducation et l’information du public ainsi que la transparence constituent le fondement des politiques conçues conformément aux principes démocratiques. La compréhension de la complexité de la réalité par la population rendra cette dernière moins perméable aux idées simplistes voire démagogiques qui, à terme, ont des conséquences néfastes. Parler de développement durable équivaut à parler de l’avenir de nos enfants et de leurs descendants; aussi faut-il mettre davantage l’accent sur la formation dans le domaine de l’eau, laquelle devra s’accompagner, sans que cela nécessite beaucoup plus d’efforts, d’une plus grande sensibilisation aux problèmes connexes.

Résumé et conclusions

L’auteur du présent article s’est efforcé d’expliquer la complexité et l’importance du problème de l’eau, la dépendance de la société à l’égard de cette ressource et les différents liens entre l’un et l’autre dans le but de favoriser une mise en perspective aussi large que possible. La solution aux problèmes actuels et futurs devra passer par un renforcement des programmes d’observation, d’enseignement et de formation, par une gestion véritablement intégrée et par l’adoption et la concrétisation d’idées-force répondant aux principes de transparence, de solidarité et de développement durable.

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* Ingénieur en génie civil, membre de l’Association internationale d’ingénierie et de recherches hydrauliques (AIRH), membre du Groupe de travail d’hydrologie appliquée de l’AIRH, directeur de projet, Centre d’études hydrographiques (CEDEX)

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