par Harry F. Lins*
Introduction
La croissance démographique et l’expansion économique font que les ressources en eau sont de plus en plus âprement disputées lorsqu’il s’agit de répondre aux besoins des ménages, des collectivités, de l’agriculture et de l’industrie. On assiste par ailleurs à une multiplication des lois et des règlements régissant l’utilisation de l’eau des fleuves et des rivières à des fins environnementales et récréatives. Pour fournir l’eau nécessaire aux besoins fondamentaux et concilier l’ensemble des usages et des intérêts souvent conflictuels dans ce domaine, il est impératif d’instaurer sur la durée un contrôle de toutes les utilisations des ressources en eau et une évaluation de ces mêmes ressources. Cette évaluation est en effet la condition sine qua non d’une mise en valeur durable et d’une gestion rationnelle des ressources en eau partout dans le monde.
On entend par «évaluation des ressources en eau» la détermination continue de leur emplacement, de leur étendue, de leur disponibilité et de leur qualité ainsi que des activités humaines dont elles subissent l’influence (Young et al., 1994). Dans Batchelor et al. (2005), l’évaluation des ressources en eau est décrite comme étant l’«étude systématique de la situation actuelle et des tendances futures concernant tant les ressources en eau que les services d’approvisionnement en eau, l’accent étant mis en particulier sur la disponibilité, l’accessibilité et la demande». Qu’il s’agisse de l’irrigation, de la réduction des pertes causées par les inondations, de l’assainissement des eaux en milieu urbain et suburbain, de la production d’énergie, de l’approvisionnement en eau pour les besoins domestiques et industriels, de la santé, de l’atténuation des effets de la sécheresse ou de la protection des écosystèmes aquatiques, l’évaluation des ressources en eau est capitale pour la planification, la conception, la construction, l’exploitation et l’entretien de systèmes d’approvisionnement fiables.
Bien que la notion d’évaluation des ressources en eau semble relativement limpide, son application exhaustive est particulièrement complexe et difficile à mettre en œuvre. Young et al. (1994) énoncent plusieurs conditions indispensables pour asseoir l’évaluation des ressources en eau sur une base solide, à savoir un cadre institutionnel adéquat, un système efficace et peu coûteux de contrôle qualitatif et quantitatif des eaux de surface et des eaux souterraines, un système souple et moderne de stockage, d’extraction et de diffusion des données, la coordination et la hiérarchisation des activités de recherche-développement et, enfin, la constitution et le maintien d’une équipe d’experts qualifiés en la matière.
S’il y a de la magie sur Terre, c’est dans l’eau qu’elle se trouve.
Loren Eiseley
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Cadre institutionnel
Bien que l’évaluation nationale des ressources en eau soit du ressort des gouvernements, nombre d’activités d’évaluation sont entreprises à l’échelle régionale, voire locale. Dans la plupart des pays, cette responsabilité est répartie entre plusieurs ministères et agences régionales. Cet éparpillement complique le processus d’évaluation et met en évidence la nécessité d’une étroite coordination entre les divers organismes s’occupant de recueillir, de stocker et d’analyser les différentes données. Pour être menée à bien en bonne et due forme, l’évaluation des ressources en eau doit en principe s’inscrire dans un cadre législatif, administratif et financier approprié.
Dans l’idéal, et pour un maximum d’efficacité, le processus d’évaluation devrait comporter les éléments suivants (Conférence internationale sur l’eau et l’environnement, 1992): mise en place d’une politique nationale, d’un cadre juridique et réglementaire et d’instruments économiques; mise en place du cadre institutionnel requis pour que la collecte, le traitement, le stockage, l’extraction et la diffusion de données sur la qualité et le volume des eaux de surface et des eaux souterraines et sur l’utilisation de l’eau se fassent de la manière la plus efficace et la plus économique possible; instauration d’une étroite collaboration entre les divers organismes chargés de recueillir, de stocker et d’analyser les données hydrologiques; contrôle de la prise en compte des résultats des évaluations dans le cadre des activités de planification et de gestion des ressources en eau.
Collecte et stockage des données hydrologiques
Le contrôle qualitatif et quantitatif des eaux de surface et des eaux souterraines, à une fréquence et sur un laps de temps appropriés, est l’aspect le plus fondamental de l’évaluation des ressources en eau. Pourtant, comme l’a fait remarquer Lins (2008), la constitution et le maintien en exploitation de réseaux nationaux de qualité pour la collecte de données hydrologiques sont de plus en plus remis en cause par le recul généralisé du nombre de stations d’observation, notamment en ce qui concerne les stations qui disposent de relevés pour de longues périodes. En outre, la disparité des modes de stockage et de diffusion de l’information hydrologique peut compromettre les activités d’évaluation.
Il est nécessaire d’établir des systèmes intégrés de surveillance et d’information ainsi que de recueillir et d’archiver des données sur tout ce qui touche aux ressources en eau. On mentionnera, outre les données hydrologiques, géologiques, climatologiques, hydrobiologiques, hydrochimiques et topographiques, les données relatives à l’utilisation des sols, des terres et de l’eau et celles qui concernent les rejets d’eau usée, les sources de pollution, qu’elles soient ou non ponctuelles, et les matières fluviales déversées dans les eaux côtières.
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L’évaluation des ressources en eau vise à réunir les meilleures conditions possibles pour la planification, la conception, la construction, l’exploitation et l’entretien d’ouvrages utilisés pour l’irrigation et l’assainissement, entre autres applications. |
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Les capacités de collecte et de stockage de données hydrologiques varient beaucoup d’un pays à l’autre et aucun ne détient la formule idéale. Certains problèmes, toutefois, sont les mêmes partout: des réseaux d’observation trop clairsemés, des variables hydrologiques trop peu nombreuses à être mesurées ou des relevés portant sur des périodes trop courtes, sont autant d’obstacles aux activités d’évaluation. Dans certains cas, les données disponibles sont si rares que la planification d’un développement durable s’en trouve gravement compromise.
Diffusion des données et des informations
L’archivage et la diffusion des données hydrologiques sont tout aussi importants pour l’évaluation des ressources en eau que les activités de collecte. Ceux qui établissent les évaluations doivent pouvoir accéder au large éventail de données hydrologiques et connexes nécessaires pour évaluer les quantités d’eau disponibles et les tendances dans ce domaine et pour le faire d’une façon susceptible de simplifier le processus d’analyse des données.
Face à ces impératifs, les Services hydrologiques nationaux et les organismes apparentés sont de plus en plus nombreux à mettre sur pied des systèmes d’information hydrologique. Pour être aussi utiles que possible, ces systèmes doivent être géo-référencés et composés de sous-systèmes se rapportant à la qualité et à l’utilisation des eaux de surface et des eaux souterraines, permettre l’extraction des informations via l’Internet et offrir un accès libre et gratuit. Dans la plupart des pays, toutefois, l’ensemble des données hydrologiques n’est généralement pas stocké dans une base de données unique et n’est pas détenu par un seul organisme. Lorsque les données requises sont détenues par de multiples institutions, il conviendrait de centraliser l’accès à l’information hydrologique par la mise en place d’un portail permettant d’accéder rapidement aux données requises pour l’évaluation.
Sciences hydrologiques: recherche-développement
Les sciences et les techniques hydrologiques ont toujours joué un rôle déterminant pour la mise en place des infrastructures nationales nécessaires à l’approvisionnement en eau potable, l’irrigation, la production d’énergie hydroélectrique, la maitrise des crues et l’entretien des voies navigables. On mentionnera aussi l’amélioration de la qualité de l’eau par le traitement des eaux usées, la protection et l’amélioration de l’habitat des organismes aquatiques et la multiplication des loisirs liés à l’eau.
On a recours à des concepts scientifiques et à des moyens techniques pour mesurer l’approvisionnement en eau, élargir les possibilités d’utilisation de cette ressource et réduire les incertitudes afférentes aux quantités d’eau disponibles et à la qualité de l’eau. L’adoption de nouvelles technique de mesure, la modernisation des réseaux d’observation et l’amélioration de l’accès aux données et des prévisions relatives à l’approvisionnement en eau sont autant d’évolutions positives tout comme la prévision des quantités d’eau disponibles à plus ou moins longue échéance, en particulier lorsqu’elle est assortie d’un indice de fiabilité. Les possibilités qui s’offrent en matière de gestion de l’eau sont également multipliées par les progrès de la biotechnologie et de la nanotechnologie et les nouvelles utilisations de l’eau lorsqu’elle est de faible qualité.
De nouveaux cadres conceptuels ont été adoptés pour tenter de cerner la complexité des questions relatives aux aspects qualitatifs et quantitatifs de la gestion de l’eau eu égard à l’interaction de divers facteurs physiques, chimiques, biologiques et sociétaux. Pour réussir à concilier les multiples usages de l’eau qui se font concurrence, il convient de comparer les diverses options par des méthodes quantitatives permettant d’en évaluer les avantages et les inconvénients respectifs. À condition de se doter d’outils adéquats pour modéliser ces systèmes complexes, les responsables seront à même d’évaluer les conséquences de politiques et de décisions données, et ce pour un large éventail de conditions potentielles. Les pays pourront ainsi faire un usage plus rationnel des infrastructures existantes et s’attacher à développer ces infrastructures, qu’elles soient naturelles ou artificielles, là où c’est le plus nécessaire.
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L’évaluation des ressources en eau est la condition sine qua non d’une gestion et d’une exploitation rationnelles et durables des ressources en eau dans toutes les régions du monde. |
Développement des sciences et des techniques nécessaires à l’évaluation des ressources en eau: principes directeurs
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Les progrès des sciences et des techniques hydrologiques devraient être mis à profit à l’échelon national, provincial et local, tenir compte des avancées réalisées dans le secteur privé et contribuer à assurer un approvisionnement en eau fiable et durable;
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Ceux qui gèrent l’eau, ceux qui l’utilisent et les hydrologues doivent collaborer au développement des sciences et des techniques nécessaires à l’évaluation de cette ressource;
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Pour les prélèvements d’eau douce, ainsi que pour l’utilisation et l’évacuation de cette ressource, scientifiques et gestionnaires doivent adopter une approche globale qui prenne en considération les aspects physiques, chimiques, biologiques, sociaux, comportementalistes et culturels;
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Une législation adaptée, des mesures économiques incitatives et des campagnes d’information et de sensibilisation sont les conditions sine qua non d’une gestion efficace des ressources en eau.
Mise en valeur des ressources humaines
L’évaluation des ressources en eau repose sur l’existence de spécialistes ayant reçu la formation requise et suffisamment nombreux et motivés pour entreprendre les activités décrites dans le présent article. Il est donc nécessaire, d’instaurer des programmes de formation dans le domaine de l’eau—ou de renforcer les programmes existants—qui mettent l’accent sur l’environnement et le développement, qui s’adressent à toutes les catégories de personnel participant aux activités d’évaluation des ressources en eau et qui fassent appel à des techniques de pointe. Qu’ils soient nationaux ou locaux, les services des eaux doivent par ailleurs se doter de politiques rationnelles de recrutement, de mise en valeur et de rémunération de leur personnel. On peut aussi favoriser une utilisation plus efficace de l’eau à l’échelle locale en renforçant les compétences des consommateurs en matière de gestion, qu’il s’agisse des femmes, des jeunes, des peuples autochtones ou des collectivités locales. Enfin, il est important de préciser que l’évaluation des ressources en eau nécessite un cadre propice à tous les niveaux.
Conclusion
L’évaluation des ressources en eau est une condition préalable indispensable au développement durable et à une gestion rationnelle de l’eau dans le monde. Elle est capitale pour la planification, la conception, la construction, l’exploitation et l’entretien de systèmes d’irrigation et de drainage et revêt également une importance essentielle pour la réduction des pertes causées par les inondations, l’approvisionnement en eau pour les besoins domestiques et industriels, l’assainissement des eaux en milieu urbain et suburbain, la production d’énergie, les secteurs de la santé, de l’agriculture et de la pêche, l’atténuation des effets de la sécheresse et la protection des écosystèmes aquatiques. Qu’on l’appelle mesure de la quantité d’eau, contrôle des ressources en eau ou recensement des ressources en eau, pour ne citer que quelques exemples, elle est en train de devenir une composante fondamentale de la gestion intégrée des ressources en eau.
Bibliographie
Atchelor, C., P. Moriarty et P. Laban, 2005: Using water resources assessments within the EMPOWER IWRM planning cycle, EMPOWERS Working Paper No. 5, 30 p.
ICWE, 1992: Rapport de la Conférence internationale sur l’eau et l’environnement, Dublin.
Lins, H.F., 2008: Les observations hydrologiques: quels sont les problèmes? Bulletin de l’OMM, 57 (1), p. 55-58
Young, G.J., J.C.I. Dooge et J.C. Rodda, 1994: Global Water Resource Issues, Cambridge, Cambridge University Press, 194 p.
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* Hydrologue, Office of Surface Water, US Geological Survey, Reston, Virginie, États-Unis d’Amérique