Gérer les risques à l’aide des produits et services de prévision climatique

04 décembre 2015
  • Author(s):
  • Chris Hewit[1] , Viviane B. S. Silva[2] , Nicola Golding[1], Rong Gao[3], Caio A. S. Coelho[4], Robyn Duell[4], Jonathan Pollock[5] , Kazutoshi Onogi[6] et le Secrétariat de l’OMM[7]

La demande de prévisions climatiques à échéance de quelques semaines à plusieurs décennies augmente car les décideurs du secteur public et du secteur privé se rendent mieux compte de leur utilité pour accroître la résilience et renforcer l’adaptation à l’égard du changement climatique. Différentes catégories d’utilisateurs souhaitent recevoir des services spécialisés qui facilitent la prise de décision et la planification à long terme, qui améliorent l’alerte précoce de dangers potentiels et qui favorisent l’adaptation et l’atténuation face à la variabilité et à l’évolution du climat. Le Cadre mondial pour les services climatologiques (CMSC) permet une collaboration plus étroite entre les fournisseurs de produits de prévision et les utilisateurs, dans le souci de mieux répondre à la forte demande de services spécialisés.

La mise au point des produits de prévision avance à grands pas. Les prévisions climatiques issues de modèles et les informations transmises par les parties prenantes permettent d’offrir des services spécialisés à diverses échelles temporelles. Les utilisateurs bénéficient de ces produits et services de nombreuses manières. 

Prévision du climat 

Les investissements réalisés à l’échelle nationale et internationale dans les observations, la recherche et la modélisation climatologiques ont amélioré grandement les prévisions et les projections depuis quelques décennies. Ils se sont également traduits par une avancée de la compréhension globale de l’évolution et de la variabilité du climat, progrès qui donne de solides bases scientifiques aux services climatologiques.

Les modèles du climat fondent leurs prévisions sur les conditions présentes et sur les hypothèses formulées quant aux processus physiques qui détermineront les changements futurs. Les produits obtenus sont des énoncés probabilistes concernant les conditions climatiques attendues à différentes échelles spatiales et temporelles. Les prévisions établies pour le globe, une région ou une localité portent sur diverses échelles de temps (voir Manuel du Système mondial de traitement des données et de prévision: volume I — Aspects mondiaux):

Prévision à échéance prolongée – Prévision à échéance de 10 jours à 30 jours décrivant les paramètres météorologiques, présentés habituellement sous forme d’une moyenne exprimée par rapport aux valeurs climatiques pour cette période. Exemples: prévisions à 10 jours et à 2 semaines, prévisions de la probabilité de phénomènes climatiques extrêmes, prévisions probabilistes des précipitations ou de la température selon trois critères (supérieure à la normale, normale, inférieure à la normale), etc.;

Prévision à longue échéance – Prévision à échéance de 30 jours à 1 an qui indique le plus souvent: l’évolution probable sur un mois, décrivant les paramètres météorologiques moyennés, exprimés sous forme d’écart, de variation ou d’anomalie par rapport aux valeurs climatiques pour le mois considéré (pas nécessairement le mois à venir); l’évolution probable sur trois mois ou 90 jours, décrivant les paramètres météorologiques moyennés, exprimés par rapport aux valeurs climatiques pour cette période (pas nécessairement les 90 jours à venir); l’évolution probable sur une saison, décrivant les paramètres météorologiques moyennés, exprimés par rapport aux valeurs climatiques pour la saison considérée. Exemples: prévisions du climat à partir de variables telles que les précipitations, la température (à 2 mètres au-dessus du sol), la pression au niveau de la mer et la hauteur géopotentielle à 500 hPa; prévisions des tempêtes tropicales dans le Pacifique et l’Atlantique; prévisions saisonnières de phénomènes de grande ampleur liés à la variabilité du climat, tels le phénomène El Niño/Oscillation australe (ENSO) ou l’oscillation de Madden-Julian (MJO);

Prévision interannuelle – Prévision à échéance d’une à plusieurs années décrivant l’état du climat à grande échelle. Elle part d’indicateurs du climat présent et détermine l’évolution des modes de variabilité interne du climat, tel le phénomène ENSO. Exemples: prévisions des tendances climatiques de variables telles que les précipitations, la température, la pression au niveau de la mer et la hauteur géopotentielle à 500 hPa;

Prévision décennale – Prévision des fluctuations du système climatique au cours des dix années à venir, compte tenu de la variabilité naturelle et des facteurs anthropiques. Dans les modèles utilisés, on part des observations du climat présent et on spécifie les modifications du forçage radiatif dû aux gaz à effet de serre, aux aérosols et à la variabilité du rayonnement solaire.

La ligne de démarcation entre les prévisions annuelles et les prévisions décennales n’étant pas claire, de nombreux centres climatologiques emploient ces deux termes indifféremment.

Transformer les produits de prévision en services climatologiques

Les produits des modèles – les prévisions – sont à la base des services climatologiques spécialisés, lesquels exigent une solide concertation entre les prestataires, dont les Services météorologiques et hydrologiques nationaux (SMHN), et les utilisateurs. Quand elles participent au processus d’élaboration, les parties intéressées reçoivent des informations qu’elles peuvent comprendre, interpréter et utiliser à de nombreuses fins, par exemple pour réduire les conséquences des catastrophes liées au climat, accroître la sécurité alimentaire, améliorer la santé ou affiner la gestion des ressources en eau.

Les Membres de l’OMM offrent un certain nombre de services de prévision climatique d’échelle mondiale, régionale et nationale à un éventail d’utilisateurs, parmi lesquels des décideurs, des responsables des politiques, des organisations diverses et des organismes humanitaires. Les centres mondiaux de production (CMP) de prévisions à longue échéance relevant de l’OMM jouent un rôle de premier plan dans la prévision du temps et du climat à ces différentes échelles et établissent des normes dans le domaine. Les prévisions qui en émanent sont soumises à un processus de réduction d’échelle dans les centres climatologiques régionaux (CCR) et les centres locaux de prévision, généralement au sein des SMHN. Les CMP aident les Membres à offrir de meilleurs services et produits climatologiques, y compris des prévisions régionales à longue échéance, et à renforcer leurs capacités de satisfaire les besoins nationaux en matière d’information climatologique. À partir des prévisions mondiales, régionales et locales, les CMP, les CCR, les SMHN et les autres intervenants élaborent des produits climatologiques spécialisés à l’intention du secteur public et privé. Un grand nombre de SMHN offrent de tels services à différentes échelles temporelles, qui vont des prévisions saisonnières aux projections à longue échéance des impacts du changement climatique.

Nous présentons ci‑après quelques uns des nombreux services de prévision climatique offerts par différents CMP.

Climate Champion Program – Le programme de gestion de la variabilité climatique (MCV) mis sur pied par le Bureau météorologique australien veut aider les agriculteurs à gérer les risques liés au climat en leur communiquant les meilleurs outils, produits, pratiques et indications de l’évolution probable sur une saison, ainsi qu’en leur expliquant comment utiliser cette information dans le cadre de leur exploitation. Il vise également à donner aux climatologues l’occasion d’échanger avec les agriculteurs afin de savoir ce qu’ils attendent de la recherche. Vingt exploitants, qui représentent les principales productions agricoles du pays, participent à ce programme qui leur permet ceci:

  • —       Parler aux chercheurs des outils et des informations dont ils ont besoin pour mieux gérer les risques climatiques;
  • —       Mettre à l’essai les produits et pratiques préliminaires issus de la recherche et orienter les travaux futurs;
  • —       Indiquer comment les résultats de la recherche devraient être transmis aux agriculteurs;
  • —       Aider les exploitants de leur région et de leur domaine à faire face à la variabilité et l’évolution du climat.

Gillian Taylor, de la ferme Bibbaringa en Nouvelle-Galles du Sud, en donne un parfait exemple. L’exploitation est spécialisée dans l’élevage de bovins de boucherie sur 990 hectares. Gillian explique comment sont utilisées les informations du Bureau météorologique australien: «Comme nous avons fait en sorte que la ferme soit facile à gérer, le bétail se nourrit seul sur les terres. Nous croyons fermement qu’il faut décharger les pâturages avant qu’il ne soit trop tard. Selon moi, il est trop tard quand la sécheresse dure depuis six mois, que tout le bétail est passé par les pâturages et qu’il faut acheter des aliments ou vendre les animaux sur le marché, alors que tout le monde est dans la même situation et que les prix sont bas. Retirer trop de têtes ralentit l’exploitation, mais nous savons au moins qu’il y a assez d’herbe dans les pâturages pour nourrir le bétail qui reste et nous obtenons un bon prix quand nous vendons.»

«Nous sommes déjà en mai et il n’est tombé que 111 millimètres [de précipitations] cette année [2013], ce qui est nettement inférieur à la moyenne [250 mm]. Nous avons regardé les prévisions établies par Elders et par le Bureau météorologique et nous avons parlé à plusieurs amis qui sont dans le même domaine et qui consultent les prévisions de sociétés privées. Tout le monde dit qu’il ne pleuvra pas vraiment avant deux mois. Nous prenons soin de comparer ces informations aux prévisions saisonnières que diffuse le Bureau météorologique sur son site. Vu la situation, nous avons décidé la semaine dernière de vendre 100 vaches et 50 jeunes sevrées, ce qui nous laisse 350 têtes. S’il ne pleut pas assez au cours des six prochaines semaines, nous en vendrons d’autres.»

Services climatologiques pour la région des Trois-Gorges – Le bassin du Yang-Tsé subit depuis vingt ans des crues et des périodes de sécheresse de plus en plus catastrophiques qui mettent en péril le bon fonctionnement du réservoir et le contrôle scientifique des opérations. La situation compromet les avantages offerts par ce projet, achevé en 2009: maîtrise des crues, résistance à la sécheresse, production d’électricité, retenue des eaux, navigation, entre autres. Mais la menace est atténuée grâce aux services hydrométéorologiques spécialisés.

Precipitation anomaly predictions by percentage for June- August 2013 (top) and the observed results (bottom) Anomalies de précipitation, en pourcentage, prévues (en haut) et observées (en bas) entre juin et août 2013 - Au début du mois d’avril 2013, un bulletin de tendances climatiques a été émis pour la saison des crues, qui s’étend de juin à août. Les prévisions ont correctement dégagé la tendance générale à un déficit pluviométrique dans la majeure partie du bassin du Yang-Tsé, tout en signalant que des précipitations pourraient s’abattre sur les bassins des rivières Min-Tuo et Jialing. Effectivement, des pluies abondantes ont déclenché de graves crues en juillet. Les utilisateurs ont absolument besoin de tels services pour les périodes critiques (Bureau météorologique provincial de l’Hubei )

Ainsi, le Centre météorologique du bassin du Yang-Tsé a lancé une série de réunions consultatives en vue de déterminer le volume d’eau à emmagasiner dans le réservoir des Trois-Gorges, après avoir noté en août 2013 une baisse du débit total entrant par rapport à la même période de l’année précédente. Les réunions ont conduit à établir des prévisions détaillées des précipitations en amont du fleuve, pour le mois de septembre, et des tendances pluviométriques pour l’ensemble du bassin au cours de la période d’accumulation, soit de septembre à novembre. Les climatologues ont suggéré que le Centre de répartition en cascade des Trois-Gorges commence à retenir les eaux plus tôt que d’habitude afin de réduire la pression sur le réservoir pendant la période qui suit l’emmagasinement, d’assurer une évolution régulière des niveaux et d’utiliser les ressources en eau à la fin de la saison des crues. La retenue a donc débuté à la fin du mois d’août, deux semaines avant la date habituelle. Pendant l’accumulation, le Centre météorologique a suivi de près les tendances pluviométriques dans toute la partie amont du Yang-Tsé et a procuré en temps opportun des prévisions des précipitations pour la période prolongée. Les observations ont correspondu largement aux prévisions, selon lesquelles il devait pleuvoir du 8 au 11, du 13 au 16 et du 22 au 24 septembre. Ces produits de prévision ont procuré de bonnes indications pour procéder à l’emmagasinement et assurer la maîtrise des crues.

Perspectives d’évolution dans les secteurs où l’agriculture et l’élevage sont menacés[8] – La sécheresse est l’un des pires fléaux dans le monde en développement. La communauté internationale a créé le Système d’alerte précoce contre la famine (FEWS NET) en vue d’atténuer ses conséquences et d’apporter de la nourriture et de l’eau aux populations dans le besoin. L’attention se porte depuis quelques décennies sur la planification des mesures de réduction des risques dans les domaines de l’agriculture et des ressources en eau, ce qui exige une mise à jour fréquente des perspectives d’évolution du temps et du climat. Dans ce cadre, le Centre de prévision climatique de l’Administration américaine pour les océans et l’atmosphère (NOAA) diffuse des bulletins climatologiques mensuels, valides une semaine, qui montrent les secteurs d’Afrique, d’Amérique centrale, des Caraïbes et d’Asie centrale dans lesquels les crues ou la sécheresse pourraient réduire la production agricole ou accroître la vulnérabilité du bétail.

Les bulletins préliminaires d’évolution des dangers sont préparés chaque semaine et transmis aux partenaires au sein de FEWS NET. Par ailleurs, des téléconférences sont organisées avec des correspondants sur place qui connaissent parfaitement les conditions locales. Ces échanges permettent d’affiner les perspectives d’évolution avant de les diffuser par courrier électronique et par Internet. L’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) utilise cette information pour planifier les mesures d’aide humanitaire en cas de famine. Les perspectives d’évolution du climat axées sur la sécurité alimentaire permettent d’élaborer des plans de secours afin d’apporter sans délai et sans risque de la nourriture aux populations confrontées à une sécheresse ou une inondation catastrophique.

Évolution probable des conditions hydrologiques au Royaume‑Uni – Le Service météorologique du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord met au point des produits climatologiques opérationnels à valeur ajoutée sur l’évolution probable des conditions hydrologiques. À partir de l’état de l’écoulement fluvial et du niveau des eaux souterraines, plusieurs techniques servent à anticiper les conditions au cours des prochains mois. Parmi les produits offerts figurent une carte mettant en relief des secteurs particuliers, complétée par un texte qui explique en détail les prévisions, ainsi que des prévisions brutes des précipitations, de la température, des eaux souterraines et de l’écoulement fluvial.

Les spécialistes de la météorologie et de l’hydrologie préparent les premières perspectives d’évolution en collaboration avec les parties prenantes – représentants de services publics et d’entreprises du secteur de l’eau. Le Service météorologique peut ainsi comprendre la manière dont sont prises les décisions et la nature des informations requises. Un large éventail d’utilisateurs consultent aujourd’hui ces bulletins, que l’on peut obtenir facilement par courrier électronique (inscription sur le site Web: Hydrological Outlook UK).

Prévision des risques de dengue pendant la Coupe du monde de la FIFA[9] – Le service de prévision des risques de dengue a été mis au point dans le cadre de l’initiative euro-brésilienne d’amélioration des prévisions saisonnières en Amérique du Sud (EUROBRISA) pendant la Coupe du monde de 2014. Les prévisions saisonnières des précipitations fournies par le système multimodèle EUROBRISA pour les mois de mars à mai et les prévisions des températures issues d’un modèle empirique ont été introduites dans un modèle des risques de dengue afin d’obtenir des prévisions probabilistes de la prévalence de la maladie au Brésil pendant la Coupe du monde, en juin.

Une collaboration resserrée pour des services élargis

Les services d’information et de prévision climatique sont utiles dans des domaines très divers. Il importe que leur élaboration repose sur une étroite coopération entre les fournisseurs et les parties prenantes, comme l’a mis en relief cet aperçu des services actuellement offerts et des avantages qu’ils procurent. Grâce à la collaboration qui règne au sein du CMSC, le secteur public comme le secteur privé peuvent lancer des projets qui favorisent la mise en place de services climatologiques, notamment dans les régions et les pays les moins avancés.

Définitions

Données climatologiques: Observations climatologiques d’archive et en temps réel et sorties directes de modèles couvrant des périodes passées et futures. Il convient de préciser comment ces observations ont été réalisées et les sorties de modèles obtenues (métadonnées) pour chaque donnée climatologique fournie.

Produit climatologique: Synthèse de données climatologiques. Un produit associe données climatologiques et connaissances sur le climat pour apporter une certaine valeur ajoutée. Information climatologique: Données climatologiques, produits climatologiques ou connaissances sur le climat.

Service climatologique: Providing climate information in a way that assists decision making by individuals and organizations. A service requires appropriate engagement along with an effective access mechanism and must respond to user needs. 

Centres mondiaux de production de prévisions à longue échéance relevant de l’OMM 

1 Met Office, United Kingdom
2 Climate Prediction Centre / National Oceanic and Atmospheric Administration
3 Beijing Climate Centre, China Meteorological Administration
4 Centre for Weather Forecasts and Climate Studies / National Institute for Space Research, Brazil
5 The Australian Bureau of Meteorology
6 Climate Prediction Division, Earth Environment and Marina Department, Japan Meteorological Agency
7 Filipe Lucio, C. Tamara Avellán and Zhiqiang Gong, Global Framework for Climate Services Office and Sylvie Castonguay, Communications and Public Affairs Office


[8]    Centre de prévision climatique, NOAA

[9]    Lowe R, C. Barcellos, C.A.S. Coelho, T.C. Bailey, G.E. Coelho, R. Graham, T. Jupp, W.M. Ramalho, M.S. Carvalho, D.B. Stephenson et X. Rodó, 2014: «Dengue outlook for the FIFA World Cup in Brazil: an early warning model framework driven by real-time seasonal climate forecasts», THE LANCET Infectious Diseases (version imprimée), vol. 14, p. 619‑626

    Partager :