La composition chimique de l’atmosphère polaire — Contribution de l’API

01 octobre 2007
par Øystein Hov1, Paul Shepson2 et Eric Wolff3


L’atmosphère polaire, une atmosphère vierge?

L’atmosphère polaire est éloignée des sources de pollution par les substances chimiques à l’état de trace. Traditionnellement, on a toujours considéré que sa composition représentait une composition de fond pure par rapport à l’air plus pollué trouvé au dessus des continents et des zones maritimes adjacentes. Cette idée selon laquelle les régions polaires représentaient des régions à la fois propres et simples a peu à peu changé au cours des dernières décennies, notamment lorsque les pilotes d’aéronefs dont les routes passaient par le pôle ont commencé à observer de la brume et une visibilité restreinte. Dans le même temps, on découvrait il y a plus de 20 ans que la couche d’ozone stratosphérique s’appauvrissait dans les zones polaires et, particulièrement, dans l’Antarctique.

Au milieu des années 80 par ailleurs, on découvrit des phénomènes d’appauvrissement de l’ozone troposphérique d’une ampleur surprenante dans la couche limite de l’Arctique. On allait se rendre compte par la suite que ces phénomènes coïncidaient avec la réduction du mercure élémentaire gazeux. Autre découverte tout aussi inattendue, le fait que le manteau neigeux est source de plusieurs substances importantes au plan photochimique comme le brome, des oxydes d’azote, l’acide nitreux et le formaldéhyde et que, par endroit, ces substances dominent la chimie des couches inférieures de l’atmosphère. On observe les épisodes d’appauvrissement de l’ozone troposphérique et les émissions photochimiques de la neige au-dessus des deux pôles et ces événements indiquent une chimie inattendue qui n’est pas directement liée à la pollution mais dont les effets risquent d’être fortement modifiés par le changement de climat. Le climat est effectivement en train de changer dans la région arctique et dans certaines parties de l’Antarctique avec une variabilité et des tendances nettement plus affirmées que pour la moyenne de la planète. Dans l’Arctique, l’étendue des glaces de mer rétrécit depuis plus de 20 ans. Au sein des manteaux neigeux ensoleillés, la chimie dépend de la surface et la modification de la surface du pôle risque donc de modifier cette chimie.

L’Année polaire internationale offre l’occasion d’organiser, dans la perspective du système planétaire, une étude internationale de la composition chimique de l’atmosphère polaire dans les deux hémisphères. Les mécanismes et les facteurs d’échange des éléments chimiques à l’état de trace entre l’atmosphère, les surfaces continentales, les océans et les surfaces de neige et de glace, qui dépendent de l’état physique, chimique et biologique des composantes du système terrestre sont particulièrement importants. Il faut également se pencher sur les associations entre les échelles locale, régionale et globale et les mécanismes de couplage entre le climat, l’appauvrissement de l’ozone de la stratosphère et de la couche limite et les changements environnementaux liés au transport des polluants à longue distance (notamment les aérosols, y compris les polluants organiques persistants). Une bonne compréhension du système est nécessaire pour pouvoir quantifier les effets des futurs changements climatiques ainsi que les futures modifications de la part relative occupée dans la zone atmosphérique par les océans, les continents et les superficies enneigées.

La troposphère polaire est-elle véritablement éloignée?

La géographie et la dynamique de l’Arctique et de l’Antarctique sont assez différentes. La région arctique est composée d’un océan, souvent recouvert de glaces de mer, entouré de masses continentales à une latitude relativement élevée. Durant l’hiver, on peut y relever des concentrations assez fortes de polluants d’origine anthropique, transportés sur de longues distances, car nombre des mécanismes d’élimination sont dormants. L’Antarctique, pour sa part, est un continent polaire entouré par l’océan (également couvert de glaces de mer), mais il ne compte pas de terres habitées avant 55° S pour l’Amérique du Sud et d’autres continents bien plus au nord. L’importante distance de grandes sources de pollution, les flux sortants des vents catabatiques à basse altitude et la nature isolante de la circulation atmosphérique sont autant d’éléments qui se combinent pour maintenir l’isolation et la propreté relatives de l’Antarctique. Les mesures effectuées sur les carottes de glace montrent, par exemple, que, contrairement au cas de l’Arctique, il n’y a pas encore d’augmentation significative des concentrations de sulfate et de nitrate dans la neige arctique (et donc dans l’air), même si l’on a observé une augmentation du contenu en métaux, y compris en plomb, et si les carottes glaciaires de l’Antarctique se sont révélées une source d’information très riche en ce qui concerne l’augmentation globale de gaz à l’état de trace tels que le dioxyde de carbone, le méthane et l’oxyde nitrique (MacFarling Meure et al., 2006).

Dans l’Arctique, les températures en surface peuvent tomber très bas, notamment à la surface de la neige et de la glace durant l’hiver, ce qui conduit à une stratification stable, avec de fréquentes et persistantes inversions en surface qui diminuent l’échange d’air entre la surface et la troposphère qui la surplombe. Cela entrave l’élimination des polluants atmosphériques au sol et rallonge la durée de vie des espèces éliminées par dépôt sec. C’est notamment le cas des aérosols atmosphériques, de l’ozone, du dioxyde de soufre, du dioxyde d’azote et de l’acide nitrique.

Les faibles échanges avec l’atmosphère expliquent également en partie la raison pour laquelle les processus au sol, tels que les épisodes d’appauvrissement de l’ozone et la production photochimique dans la neige, ont un tel impact sur la chimie de la couche limite. La lenteur du mélange vertical a tendance à accélérer le rythme d’appauvrissement de l’ozone dans la couche proche de la surface étant donné que celle-ci est fonction du monoxyde de brome [BrO], lequel diminue rapidement avec l’augmentation de la turbulence. La lenteur du processus de mélange ralentit également le mélange d’air riche en ozone présent en altitude avec l’air appauvri de la couche de surface.

Dans la région arctique, la hauteur des précipitations est très faible (il tombe entre 150 et 300 mm de précipitations par an au Svalbard). Le lavage n’est donc pas efficace et la durée de vie d’espèces solubles comme les aérosols est plus longue que sur les continents plus au sud. Dans l’atmosphère arctique, l’élimination chimique en phase gazeuse des éléments à l’état de trace cesse quasiment durant la nuit polaire. En l’absence d’ensoleillement, le taux de production du radical hydroxyle, qui est le principal élément de piégeage en phase gazeuse, est faible. Par ailleurs, durant la partie de l’année où la région est éclairée par le soleil, la durée de vie chimique des éléments trace dans l’atmosphère polaire est relativement longue (excepté dans la couche proche de la surface touchée par les processus photochimiques du manteau neigeux), du fait de l’importante atténuation des rayons solaires visibles de courte longueur d’onde due à la faible hauteur du soleil et à l’humidité spécifique basse. Tous ces facteurs indiquent que la plupart des gaz et des aérosols ont un temps de résidence plus long dans l’atmosphère polaire qu’aux latitudes plus basses. Il y a, toutefois, des exceptions pour des espèces qui réagissent spécifiquement avec des atomes/radicaux halogènes, comme le mercure élémentaire gazeux.

L’élimination par les processus chimiques, par les précipitations ou par dépôt sec concurrence l’efficacité de l’échange d’air entre l’atmosphère polaire et l’air des latitudes plus au sud. En l’absence de réchauffement diabatique ou de dégagement de chaleur latente, les processus de transport sont de caractère adiabatique et suivent les surfaces isentropiques. Ces surfaces forment des dômes fermés au-dessus de l’Arctique, avec des valeurs minimales dans la couche limite arctique, comme l’ont expliqué Iversen (1984) et Stohl (2006). La plupart des régions qui sont sources de pollution sont trop chaudes pour permettre un transport isentropique des polluants vers l’Arctique le long de la surface.

En ce qui concerne l’Arctique, durant l’hiver, l’Eurasie septentrionale est la source la plus probable de polluants (dioxyde de soufre et aérosols sulfatés par exemple) et, dans ce cas, il peut également y avoir refroidissement diabatique durant le transport au-dessus des surfaces enneigées. Le transport entre l’Eurasie septentrionale et l’Arctique se produit lors de situations de blocage, lorsque la direction prévalente d’Ouest en Est des courants est remplacée par un transport méridien à forte composante Nord-Sud. Un tel transport est nettement épisodique.

La pollution nord-américaine subit souvent un réchauffement diabatique par advection frontale («tapis roulant chaud») et arrive dans la troposphère libre de l’Arctique bien au-dessus de la couche limite. Les sources du Sud-est asiatique s’observent à des températures potentielles encore plus élevées et l’on relève des phénomènes de pollution épisodiques, impliquant des émissions d’origine anthropique ou des poussières du désert, sous forme de couches de brume élevées dans l’atmosphère polaire. Une étude climatologique (Stohl, 2006) montre que les masses d’air au nord de 80° N et près de la surface y résident en moyenne environ une semaine en hiver et deux semaines en été, ce qui correspond à une probabilité de transport méridien plus élevée en hiver/au printemps qu’en été. Le temps moyen de résidence diminue rapidement avec la hauteur atteignant en moyenne trois jours dans la haute troposphère. Dans les parties les plus isolées de l’Arctique, l’air est exposé à l’obscurité permanente 10 à 14 jours en moyenne au mois de décembre.

Transport à longue distance de la pollution atmosphérique vers l’Arctique

La découverte de la pollution de l’atmosphère polaire et le début des études scientifiques poussées sur ce sujet ont coïncidé avec la décennie durant laquelle les émissions anthropiques de dioxyde de soufre atteignaient un maximum en Europe, en Amérique du Nord et dans l’ex-URSS (la décennie des années 80). C’est ce que reflétèrent les études de terrain sur la composition de l’atmosphère arctique menées il y a 25 ans. Au cours de la première moitié des années 80, une grande étude aérologique et de surface fut effectuée sur la charge polluante de l’atmosphère arctique en Norvège (Ottar et al., 1986). Cette étude s’est faite dans l’esprit du rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (1977) concernant la contribution des émissions de l’Europe continentale aux dépôts acides en Scandinavie. L’étude arctique a montré que la brume arctique hivernale, qui présente des niveaux de concentration de polluants d’origine anthropique comparables aux concentrations moyennes au-dessus des continents industrialisés, est due à des polluants émis par des sources provenant de la masse d’air arctique.

La figure 1 (Aas et al., 2006) présente les concentrations annuelles moyennes en aérosols autres que le sel de mer au cours des deux ou trois dernières décennies dans des sites ruraux de mesure dans un transect nord-sud de la Norvège et du Spitsberg, depuis Birkenes (58° N), Kårvatn (62° N), Tustervatn (65° N), Jergul (69° N) jusqu’à Ny Ålesund, au Svalbard (78° N). On observe une importante diminution de ces concentrations avec une chute d’un facteur de quatre dans la concentration annuelle moyenne à Ny Ålesund depuis le début des années 80, ce qui reflète la diminution des émissions européennes et eurasiennes de dioxyde de soufre (y compris les émissions volcaniques et les émissions marines naturelles), lesquelles proviennent de l’Europe et de la partie européenne de la Fédération de Russie, ainsi que la réduction du trafic maritime passé de près de 50 Mt en 1990 à 21 Mt en 2004. La figure 2 donne les courbes de tendance concernant la concentration moyenne de la somme d’aérosols de nitrate et d’acide nitrique. Les émissions d’oxydes d’azote sont passées de 28 Mt en 1990 (sous forme de dioxyde d’azote) à 22 Mt en 2004. A Ny Ålesund, on n’observe pas de tendance évidente dans les concentrations moyennes annuelles de nitrate dans l’air et la plus haute concentration annuelle enregistrée l’a été en 2005. Les tendances des concentrations reflètent l’importante diminution des émissions de dioxyde de soufre (due à une réduction des émissions des centrales de production d’énergie) alors qu’en ce qui concerne les émissions d’oxydes d’azote, les avantages apportés par les technologies permettant de réduire fortement les émissions ont été compensés, notamment par une augmentation de la circulation automobile.

fig_1_chemical_fr
Figure 1 — Concentrations annuelles moyennes en aérosols sulfatés autres que le sel de mer au cours des deux ou trois dernières décennies dans des sites ruraux de mesure dans un transect nord-sud de la Norvège et du Spitsberg, depuis Birkenes (58° N), Kårvatn (62° N), Tustervatn (65° N), Jergul (69° N) jusqu’à Ny Ålesund, au Svalbard (78° N) (Aas et al., 2006)..
fig_2_chemical_fr
Figure 2 — Concentrations annuelles moyennes de la somme des aérosols de nitrate et d’acide nitrique au cours des deux ou trois dernières décennies dans des sites ruraux de mesure dans un transect nord-sud de la Norvège et du Spitsberg, depuis Birkenes (58° N), Kårvatn (62° N), Tustervatn (65° N), Jergul (69° N) jusqu’à Ny Ålesund, au Svalbard (78° N) (Aas et al., 2006).

Épisodes de diminution rapide de l’ozone et du mercure

Au milieu des années 80, des épisodes de baisse rapide de l’ozone dans la couche limite polaire froide et stable furent découverts à Barrow (Alaska), à Alert (nord du Canada) et à Ny Ålesund (Svalbard) (cf. Simpson et al., 2007). Au cours d’épisodes survenus au printemps, les niveaux d’ozone chutèrent en quelques heures, passant des niveaux typiques de plus de 30 parties par milliard (ppb) à des niveaux très bas, en dessous même des limites de détection. On a également observé de tels épisodes d’appauvrissement dans des sites côtiers de l’Antarctique. On s’est aperçu que des halogènes étaient impliqués dans le processus d’appauvrissement, le cycle le plus important pour la réduction de l’ozone étant un cycle dans lequel le radical brome joue le rôle de catalyseur et qui implique le brome (Br) et le monoxyde de brome (BrO). Dans le cadre du processus de destruction catalytique, des niveaux de concentration Br+BrO de l’ordre de 40 parties par billion (ppt) (1 ppt = 1x10–12) peuvent être suffisants pour faire chuter l’ozone de 30 ppb ou plus à quasiment zéro sur une période de l’ordre de quelques heures (1 ppb = 1x10–9), même si la rapidité de nombreux épisodes peut également être imputée au transport de masses d’air appauvries en ozone depuis la zone surplombant les glaces de mer au site de mesure. La figure 3 présente une série chronologique de données sur la température de l’air et les concentrations totales de mercure gazeux et d’ozone à Alert, Canada, en 1995.

fig_3_chemical_fr
Figure 3 — Séries chronologiques de mesures de la température de l’air, du mercure gazeux total (MGT) et des concentrations d’ozone à Alert, Canada, en 1995. Adapté par A. Steffen à partir de Schroeder et al. (1998) avec la permission de Macmillan Publishers Ltd., Nature, 394, 331-332, copyright 1998.

On considère que la principale source de brome réactif (Br et BrO) est le bromure provenant du sel de mer émis par des réactions photochimiques considérées comme une série de réactions conduisant à l’explosion du brome:

HOBr + Br − + H+ → H2O + Br2
(réaction multiphase)
Br2 + hν → 2 Br
Br + O3 → BrO + O2
BrO + HO2 → HOBr + O2
net: H+ + Br − + HO2 + O3 → Br + H2O + 2 O2
(processus photolytique multiphase)

Cette chimie se rattache à la fois à la chimie du chlore et aux émissions de formaldéhyde et d’acide nitreux du manteau neigeux, lesquelles sont autant d’importantes sources d’HOx, élément nécessaire pour la propagation de l’explosion du brome, via la production d’acide hypobromeux (HOBr). Des modèles ont été élaborés en vue d’expliquer le rôle de la chimie du brome et de l’iode dans les épisodes de diminution du mercure. Le mercure élémentaire gazeux est converti en une forme de mercure soluble dans l’eau d’une durée de vie nettement plus courte que celle du mercure, ce qui augmente le dépôt de mercure dans les écosystèmes polaires de manière assez significative. Le mercure élémentaire est à nouveau émis à partir de la surface après réduction des produits déposés, ce qui peut restreindre l’ampleur de l’impact.

La neige et la glace éclairées par le soleil jouent un rôle important dans le traitement des espèces atmosphériques. Des éléments chimiques sont produits dans la neige/la glace par réaction photochimique et les espèces ainsi générées peuvent ensuite être rejetées dans l’atmosphère. Grannas et al. (2007) ont passé ce phénomène en revue. Les flux de composés carbonylés et d’oxyde d’azote ont été mesurés dans plusieurs environnements recouverts de neige et, dans certains cas, les émissions ont un impact significatif sur la couche limite sus-jacente. à titre d’exemple, on a observé une production photochimique de 3-4 ppbv/jour d’ozone au pôle Sud, due aux niveaux élevés d’hydroxyle et d’oxyde nitrique (allant même jusqu’à 1 partie par milliard en volume (ppbv)) présents dans une couche limite relativement peu profonde. Les expériences faites sur le terrain et en laboratoire ont déterminé que l’origine des flux d’oxydes d’azote observés était la photochimie du nitrate au sein du manteau neigeux. Les manteaux neigeux éclairés par le soleil émettent également des composés organiques de faible poids moléculaire dont la source peut être la photo-oxydation de matières organiques naturelles présentes dans la neige. La chimie fondamentale au sein des manteaux neigeux reste mal connue, notamment en ce qui concerne les composés organiques. Par exemple, le rôle des processus biologiques influant sur la chimie de l’iode reste encore mal défini.

Changements chimiques à long terme dans l’atmosphère polaire

L’API est une période d’étude intensive qui doit aider à mieux comprendre les processus du système terrestre contrôlant les échanges d’espèces chimiques à l’état de trace au sein de l’atmosphère polaire ainsi que leur interaction avec le système terrestre global et la communauté humaine. La composition chimique de l’atmosphère polaire est également un bon reflet de la variabilité et des changements à long terme induits par les changements climatiques et les changements sous-jacents de la biosphère, de la cryosphère et des océans.

Pour certains gaz à effet de serre présents dans l’Arctique on utilise l’expression «tipping point» ou point de basculement (Article dans Nature, 15 juin 2006, Vol. 441, 802-805), cette expression représentant le moment auquel la dynamique interne commence à induire un changement préalablement déterminé par des forces extérieures. L’un de ces points de basculement concerne le rétrécissement des glaces de mer de l’été arctique à un taux moyen de 8 % par décennie au cours des 30 dernières années (Stroeve et al., 2007) avec un amincissement d’environ un mètre sur la période 1987-1997.

La mer libre reflète bien moins le soleil que la glace et, à mesure que la couverture de glace se rétrécit, une plus grande part de l’énergie solaire incidente est absorbée par l’océan Arctique en été, le flux thermique de l’océan vers l’atmosphère s’en trouve alors accru, ce qui entraîne une rétroaction climatique positive et une diminution de la probabilité d’inversions au sol stables dans l’avenir. Des modifications s’ensuivent dans des processus qui sont d’une importance de premier ordre pour la structure physique de l’atmosphère polaire et sa composition chimique et biologique: l’interaction glace-atmosphère, y compris le plancton photosynthétique dépendant de la glace; la stabilité de l’air près du sol; et la présence de glace de mer en tant que source d’halogènes.

La diminution de l’étendue de glace semble également réchauffer l’atmosphère, entraînant une augmentation des températures de surface dans la région arctique, notamment au printemps. En 2006, le Svalbard a connu une vague de chaleur sans précédent, avec un record de chaleur absolu pour le mois de janvier et un mois d’avril aux températures plus de 12 °C supérieures à la moyenne à long terme. En avril-mai 2006, un épisode de pollution extraordinaire a été enregistré au Svalbard, la station du mont Zeppelin située à Ny Ålesund, sur la côte ouest de l’archipel (latitude 78° N), mesurant des niveaux records de pollution (Stohl et al., 2007). La concentration horaire d’ozone a atteint 83 ppb, alors que la concentration la plus élevée enregistrée jusqu’alors sur la période 1989-2006 était de 61 ppb.

La concentration totale en nombre des particules a montré une augmentation des particules en mode dit «accumulation» et une absence totale de particules d’Aitken, alors que dans des circonstances normales la distribution de la concentration en nombre des aérosols signifierait la formation de nouvelles particules selon le mode d’Aitken. La masse de matière particulaire a atteint 29 μg/m 3 sur une base de 24 heures, ce qui représente une progression de plus d’un ordre de grandeur par rapport à la valeur mesurée juste avant ou après l’épisode et avec une fraction organique dominante (60 % par masse contre 4-9 % au cours des semaines précédentes), ce qui montre que la principale contribution à l’épisode de pollution est venue de fumées provenant de brûlages agricoles en Europe de l’Est.

Deux autres points de basculement sont étroitement liés à l’Arctique: la perte possible de l’inlandsis groenlandais et la modification du niveau de la mer qui lui est associée, ainsi que des changements dans la circulation thermohaline, qui pourraient être partiellement liés à des modifications de l’eau douce de l’Arctique. Ces deux points auraient des effets planétaires, y compris des rétroactions au niveau de la chimie atmosphérique dans l’Arctique.

La fréquence accrue des feux de forêt aux latitudes élevées dans la zone de la forêt boréale, où les stocks de carbone sont importants, peut avoir une incidence sur la composition de l’atmosphère polaire et le climat sur le long terme. La fréquence et l’intensité des incendies sont extrêmement sensibles au changement climatique et à la variabilité du climat ainsi qu’aux pratiques en matière d’utilisation des terres. Au cours du dernier siècle, les tendances concernant les zones brûlées ont été largement motivées par les habitudes en matière d’utilisation des terres, avec des politiques de lutte contre l’incendie dans les régions tempérées des latitudes moyennes et un recours accru au feu pour éclaircir la forêt dans les régions tropicales (cf. Quatrième rapport d’évaluation du GIEC, 2007, page 527, Denman et al., 2007). Le Quatrième rapport d’évaluation étudie également les indices montrant que le changement climatique a contribué à l’augmentation de la fréquence des feux au Canada. La diminution de fréquence des feux dans des régions comme les états-Unis et l’Europe a contribué au puits de carbone continental dans ces régions alors que la fréquence accrue des feux dans les régions comme l’Amazonie, l’Asie du Sud-est et le Canada a, pour sa part, contribué à la source de carbone. Aux latitudes élevées, le rôle des feux semble s’être accru au cours des dernières décennies : les perturbations des forêts boréales dues aux incendies ont été plus importantes au cours des années 80 qu’au cours des décennies précédentes pour lesquelles des données sont disponibles. à l’avenir, le dioxyde de carbone ayant les feux pour source pourrait augmenter (Quatrième rapport d’évaluation du GIEC, 2007, Chapitre 7). Aux latitudes élevées, la combustion de la biomasse est particulièrement importante pour l’atmosphère polaire, la fumée ayant un fort contenu en carbone noir. Une fine couche d’aérosols foncés absorbant la lumière peut réchauffer le système Terre-atmosphère, notamment au-dessus des surfaces où l’albédo solaire est élevé, comme la glace et la neige. En hiver, les couches de brume sont importantes pour le bilan radiatif du fait de leur contrôle direct et indirect sur la partie infrarouge du spectre. Les dépôts de carbone noir sur les surfaces de glace et de neige ont le même effet. Les émissions dues aux feux de forêts peuvent donc non seulement modifier la composition de l’atmosphère polaire par épisodes mais également déclencher des changements de caractère plus durable dans le bilan radiatif et la stratification de l’atmosphère polaire inférieure, tout en ayant un impact sur l’albédo de la surface. Outre ces points de basculement majeurs, certaines modifications chroniques de l’environnement peuvent exercer des rétroactions sur l’atmosphère. L’augmentation du dioxyde de carbone, jointe à l’augmentation du bicarbonate océanique et à un pH en diminution, a des impacts significatifs sur les biotes marines. à titre d’exemple, il a été démontré que des modifications du dioxyde de carbone ont un impact significatif sur le développement du coccolithophore (Riebesell et al., 2000). On ne sait pas encore clairement comment ces impacts affectent les émissions biogéniques dans l’Arctique, comme celles du diméthylsulfure. Mais, à mesure que la superficie de la glace de mer continue à diminuer, il est probable que les émissions biogéniques de l’Arctique prendront davantage d’importance dans la composition et la chimie de l’atmosphère.

En résumé, la chimie de l’atmosphère polaire réagit de manière significative aux principaux processus qui contrôlent le changement climatique: l’étendue des glaces de mer de l’Arctique, la stabilité de l’inlandsis groenlandais, le ruissellement d’eau douce vers l’océan arctique et d’autres changements des propriétés de l’océan, ainsi que la prévalence de combustion de la biomasse, notamment aux latitudes élevées.

Études de la chimie de l’atmosphère polaire durant l’API

L’API offre l’occasion d’organiser une étude internationale sur la composition chimique de l’atmosphère polaire dans les deux hémisphères, dans la perspective du système terrestre. Le projet POLARCAT (étude polaire du climat, de la chimie, des aérosols et du transport, par aéronefs, télédétection, mesures de surface et modèles) comprendra une campagne d’expériences effectuées à l’aide d’aéronefs à différents moments de l’année pour suivre les panaches de pollution de différentes origines dans leur transport vers l’Arctique et observer la chimie, les processus relatifs aux aérosols et les effets radiatifs de ces panaches. Ce projet permettra également d’observer la composition atmosphérique dans des régions relativement plus propres hors des principaux panaches. Les expériences tireront avantage des longs temps de résidence des polluants dans l’atmosphère arctique stratifiée de manière stable pour étudier les processus de vieillissement en ciblant les masses d’air qui ont passé un temps considérable dans l’Arctique. L’Arctique servira ainsi de laboratoire naturel pour étudier les processus qui ne peuvent pas être étudiés ailleurs de manière aussi isolée. Pour plus de détails, voir http://www.polarcat.no/polarcat.

La mission OASIS (Océan-atmosphère-glace de mer-manteau neigeux) (voir http://www.oasishome.net/Docs/Science%20Plan%2 0version%202.2.pdf) a pour but de déterminer l’importance des processus d’échange chimiques, physiques et biologiques dans le système océan-atmosphère - glaces de mer-manteau neigeux pour la chimie de la troposphère, la cryosphère et l’environnement marin ainsi que leurs mécanismes de rétroaction, dans le contexte d’un climat en changement. Les principales questions sont les suivantes:

  • Quelle est la nature des boucles de rétroaction entre les processus d’échange atmosphère-glaces de mer-manteau neigeux et le changement climatique global?
  • Quels sont, dans les processus d’échange atmosphère-glaces de mer-manteau neigeux, les mécanismes fondamentaux d’origine physique, chimique et biologique impliquant les halogènes, le diméthylsulfure, les oxydes d’azote, l’ozone, les composés organiques volatils, les polluants organiques persistants, le mercure, les constituants du soufre, les matières particulaires et le dioxyde de carbone dans les régions polaires?
  • Quels sont les impacts des processus d’échange atmosphère-glaces de mer-manteau neigeux sur la cryosphère marine (glace/neige) et l’océan polaire sous-jacent?
  • Quelle est la relation entre les processus d’échange atmosphère-glaces de mer-manteau neigeux et la chimie, la physique et la biologie des gaz de l’air, des particules en suspension dans l’air et de la formation des nuages/de la neige?
  • Pollution environnementale: quel est l’impact de cette pollution sur les échanges atmosphère-glaces de mer-manteau neigeux et inversement et quel est le rôle des changements à long terme?

    La Figure 4 montre de quelle manière le projet OASIS doit permettre d’étudier les processus qui modifient les flux biogéochimiques entre l’atmosphère, les glaces et la surface des océans.
fig_4_chemical_fr
Figure 4 — Illustration de la manière dont OASIS est organisé pour étudier les processus modifiant les flux biogéochimiques entre l’atmosphère, les surfaces de glace et la surface de l’océan. (http://www.oasishome.net/Docs/Science%20Plan%20version%202.2.pdf).

Le projet AICI (Interactions chimiques air-glace): (http://classic.ipy.org/development/eoi/proposal-details.php?id=20) est conçu pour pouvoir définir de quelle manière le manteau neigeux des régions polaires contrôle la chimie de l’atmosphère inférieure: la chimie des halogènes au-dessus de la zone de glaces de mer épuise l’ozone de la couche limite et provoque le dépôt de mercure. La production photochimique de la neige modifie la chimie de l’oxyde d’azote et, dans certains cas, l’état d’oxydation de vastes portions de la couche limite polaire. Les composés organiques persistants subissent une distillation qui entraîne leur dépôt dans les régions polaires. Les processus biochimiques dans les passages libres de glace jouent un rôle majeur dans la formation de la condensation nuageuse et des noyaux glacigènes. Par la formation de nuages, ce processus peut jouer un rôle vital dans les processus de rétroaction climatiques de l’albédo de la glace. Le projet AICI va contribuer à l’évaluation de la manière dont ces processus risquent de se modifier dans une situation de climat en réchauffement et de cryosphère en cours de rétraction. Dans ce contexte, l’API est l’occasion de déterminer le schéma spatio-temporel de la chimie et des processus de la surface de glace à travers la couche limite, y compris la formation nuageuse, en reliant différentes activités de terrain menées sur une même année dans les deux régions polaires. Le projet AICI-API constituera un cadre d’ensemble et permettra d’organiser les études de laboratoire et de modélisation connexes ainsi que l’intégration des données de télédétection et l’organisation des réunions de synthèse. L’AICI-API coordonnera également la publication d’études majeures sur les processus d’échange entre l’air polaire et sur les processus chimiques et démontrera dans quelle mesure l’API a amélioré nos connaissances sur les liens entre un climat en changement, une surface en évolution et l’atmosphère.

Références

Aas, W., S. Solberg, T. Berg, S. Manø et K.E. Yttri, 2006: Overvåking av langtransportert forurenset luft og nedbør. Atmosfærisk tilførsel 2005. NILU OR 36/2006, ISBN 82-425-1759-2.

Denman, K.L., G. Brasseur, A. Chidthaisong, P. Ciais, P.M. Cox, R.E. Dickinson, D. Hauglustaine, C. Heinze, E. Holland, D. Jacob, U.Lohmann, S Ramachandran, P.L. da Silva Dias, S.C. Wofsy et X. Zhang, 2007: Couplings between changes in the climate system and biogeochemistry. Dans: Climate Change 2007: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Fourth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Solomon, S., D. Qin, M. Manning, Z. Chen, M. Marquis, K.B. Averyt, M.Tignor et H.L. Miller (eds)]. Cambridge University Press, Cambridge, Royaume-Uni et New York, États-Unis d’Amérique.

Grannas, A.M., A.E. Jones, J. Dibb, M. Ammann, C. Anastasio, H.J. Beine, M. Bergin, J. Bottenheim, C.S. Boxe, G. Carver, G. Chen, J.H. Crawford, F. Dominé, M.M. Frey, M.I. Guzmán, D.E. Heard, D. Helmig, M.R. Hoffmann, R.E. Honrath, L.G. Huey, M. Hutterli, H.W. Jacobi, P. Klán, B. Lefer, J. McConnell, J. Plane, R. Sander, J. Savarino, P.B. Shepson, W.R. Simpson, J.R. Sodeau, R. von Glasow, R. Weller, E.W. Wolff et T. Zhu, 2007: An overview of snow photochemistry: evidence, mechanisms and impacts. ACPD 7, 4329-4373.

Iversen, T., 1984: On the atmospheric transport of pollution to the Arctic, Geophys Res Lett 11, 457-460.

MacFarling Meure, C., D. Etheridge, C. Trudinger, P. Steele, R. Langenfelds, T. van Ommen, A. Smith et J. Elkins, 2006: Law Dome CO2, CH4 and N2O ice core records extended to 2000 years BP, Geophys. Res. Lett., 33, L14810, doi:10.1029/12006GL026152.

Organization for Economic Cooperation and Development, 1977: The OECD Programme on Long Range Transport of Air Pollutants. Measurements and Findings. OECD Report, Paris, 1-318.

Ottar, B., Y. Gotaas, Ø. Hov, T. Iversen, E. Joranger, M. Oehme, J. Pacyna, A. Semb, W. Thomas et V. Vitols, 1986: Air pollutants in the Arctic. Final report of a research programme conducted on behalf of British Petroleum Ltd. NILU OR 30/86.

Riebesell, U., I. Zondervan, B. Rost, P.D. Tortell, R.E. Zeebe, F.M.M. Morel, 2000: Reduced calcification of marine plankton in response to increased atmospheric CO2, Nature, 407, 364-367.

Schroeder, W.H., K. G. Anlauf, L.A. Barrie, J.Y. Lu, A. Steffen, D.R. Schneeberger et T. Berg: Arctic springtime depletion of mercury, Nature, 394, 331–332, 1998.

Simpson, W.R., R. von Glasow, K. Riedel, P. Anderson, P. Ariya, J. Bottenheim, J. Burrows, L. Carpenter, U. Frieß, M. E. Goodsite, D. Heard, M. Hutterli, H.-W. Jacobi, L. Kaleschke, B. Neff, J. Plane, U. Platt, A. Richter, H. Roscoe, R. Sander, P. Shepson, J. Sodeau, A. Steffen, T. Wagner et E. Wolff, 2007: Halogens and their role in polar boundary-layer ozone depletion. ACPD 7, 4375-4418.

Stohl, S., 2006: Characteristics of atmospheric transport into the Arctic troposphere, J Geophys Res 111, D11306, doi: 10.1029/2005JD006888.

Stohl, S., T. Berg, J.F. Burkhart, A.M. Fjæraa, C. Forster, A. Herber, Ø.Hov, C. Lunder, W.W. McMillan, S. Oltmans, M. Shiobara, D. Simpson, S.Solberg, K. Stebel, J. Strøm, K.Tørseth, R. Treffeisen, K. Virkkunen et K. E. Yttri, 2007: Arctic smoke – record high air pollution levels in the European Arctic due to agricultural fires in Eastern Europe. ACP 7, 511-534.

Stroeve J., M.M. Holland, W. Meier, T. Scambos et M. Serreze, 2007: Arctic sea ice decline: faster than forecast, Geophys. Res. Lett., 34, Art. No. L09501: MAI 1 2007.

 


1. Institut norvégien de météorologie, PO Box 43 Blindern, NO-0313 Oslo, Norvège
2. Purdue Climate Change Research Center, 503 Northwestern Ave., West Lafayette, IN 47907, États-Unis d’Amérique
3. British Antarctic Survey, High Cross, Madingley Road, Cambridge CB3 0ET,
Royaume Uni


    Partager :