Par Michel Béland[1] et Alan Thorpe[2]
Les nouvelles sources d'observations de l'atmosphère, les supercalculateurs plus puissants et les progrès de la science ont contribué ensemble à révolutionner la prévision du temps au cours de la dernière partie du XXe siècle. À l'échelle mondiale, nous sommes désormais capables de faire cinq jours à l'avance des prévisions aussi précises que celles qui étaient produites trois jours à l'avance il y a 20 ans. Les sociétés peuvent donc aujourd'hui recevoir bien plus tôt qu'avant des alertes aux aléas météorologiques qui leurs permettent de se préparer et de limiter ainsi les pertes humaines et matérielles. On attend beaucoup des progrès qui seront encore réalisés dans ce domaine au cours des années à venir.
Mel Shapiro (à droite), orateur principal à la cérémonie d'ouverture de la Conférence scientifique publique mondiale sur la météorologie, accompagné d'Alan Thorpe (à gauche)
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La première Conférence scientifique publique mondiale sur la météorologie (WWOSC-2014) a eu lieu à Montréal (Canada), du 16 au 21 août 2014. Ayant pour thème «La météo: quel avenir?», cette conférence était organisée conjointement par l'OMM, Environnement Canada, le Conseil international pour la science (CIUS) et le Conseil national de recherches du Canada.
L'évolution de la météorologie soulève des questions importantes, notamment en ce qui concerne les sources possibles de prévisibilité à l'échelle hebdomadaire, mensuelle, ou à plus longue échéance, la prévision continue et l'utilisation efficace des supercalculateurs massivement parallèles. Conscient du fait que des sources possibles de prévisibilité, encore mal comprises à ce jour, pourraient renforcer la capacité de prévision à toutes les échelles spatiales et temporelles, le milieu scientifique est prêt à passer à une étape supérieure. Le moment était donc venu d'organiser une conférence scientifique publique d'envergure qui se pencherait sur l'évolution rapide des moteurs scientifiques et socio-économiques de la météorologie.
La Conférence visait à réunir l'ensemble de la communauté scientifique pour faire le point sur l'état actuel des connaissances en météorologie et offrir un tremplin pour les progrès futurs de la discipline et des services environnementaux connexes à l'échelle mondiale. Il était particulièrement intéressant de réunir la communauté internationale – tant les novices que les chercheurs les plus chevronnés – pour examiner les progrès accomplis et établir un programme à long terme. La météorologie est parvenue à une étape cruciale de son développement et s'apprête à connaître des percées décisives. Elle est absolument indispensable à la société, qui est extrêmement vulnérable aux incidences des conditions météorologiques.
Le Secrétaire général de l'OMM, Michel Jarraud, interviewé par Radio-Canada
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La Conférence scientifique publique mondiale sur la météorologie 2014 avait pour premier objectif de passer en revue les connaissances acquises dans le domaine de la météorologie et de la prévision du temps afin d'élaborer une feuille de route pour l'application des retombées de l’Expérience concernant la recherche sur les systèmes d'observation et la prévisibilité (THORPEX), un programme décennal coordonné par l'OMM qui a pris fin en 2014, et de créer les conditions propices à une mise à jour du plan stratégique du Programme mondial de recherche sur la prévision du temps
Le deuxième objectif de la Conférence était d'examiner les nombreuses applications de la prévision météorologique à l'environnement naturel. On estime que l'étude des phénomènes météorologiques et environnementaux fondée sur la prévision du système terrestre permettrait d'assurer une prestation plus efficace de services météorologiques répondant aux besoins socio-économiques de la société.
Le troisième objectif était de mobiliser une nouvelle génération de scientifiques pour la mise au point de modèles nouveaux et perfectionnés de prévision du système terrestre (voir l'article portant sur les jeunes chercheurs dans le Bulletin 63(2) – 2014). Le quatrième et dernier était de renforcer la notoriété et l'importance de la recherche météorologique mondiale, un secteur très dynamique qui est en phase avec les besoins des Services météorologiques et de leurs parties prenantes des secteurs public et privé.
La Conférence avait pour thème principal «La Prévision continue des éléments du système terrestre: de quelques minutes à plusieurs mois». Elle s'articulait autour de deux programmes: le programme scientifique et le programme des utilisateurs, des applications et des sciences sociales. Les organisateurs de ces programmes – Gilbert Brunet, Sarah Jones et Brian Mills – ont abattu un travail considérable et contribué largement au succès de la Conférence. Le programme scientifique portait sur un éventail de sujets, de la recherche météorologique fondamentale, qui nous permet d'accroître nos connaissances des processus et des méthodes, à la recherche appliquée dont nous avons besoin pour mettre en place le système de prévision et évaluer les répercussions des phénomènes météorologiques et climatiques. Il abordait cinq thèmes : les observations et l'assimilation des données; la prévisibilité et les processus dynamiques, physiques et chimiques; les interactions entre les sous-systèmes; la synthèse de la prévision numérique du système terrestre; les répercussions des phénomènes météorologiques et climatiques. Les séances organisées dans le cadre du programme de sciences sociales se classaient en quatre catégories: l'économie des biens et services; les organismes gouvernementaux et leurs fonctions; la réduction et la gestion des risques de catastrophes; la communication des renseignements météorologiques par le biais de la radiodiffusion, des médias imprimés et des médias sociaux. La Conférence a réuni plus d'un millier de météorologistes, de prévisionnistes, de spécialistes des sciences sociales et de concepteurs d'applications des secteurs privé et public venant de plus de 50 pays; elle a connu un succès retentissant. La couverture médiatique dont elle a bénéficié a elle aussi donné la mesure de son succès. Pendant le déroulement de la Conférence, des représentants des médias venant de 9 pays ont réalisé 90 entrevues portant sur un éventail de sujets.
Vers de nouveaux horizons
Alex Boissonneault, de la Société Radio-Canada
Gilbert Brunet, interviewé par Vincent Champagne, de Radio-Canada
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Les orateurs, experts et participants ont débattu de la possibilité de maintenir le rythme des avancées majeures réalisées dans le domaine de la météorologie au cours des 20 à 30 dernières années. Ils ont examiné divers scénarios pour la conception d'applications météorologiques dans divers champs d'activité, en mettant surtout l’accent sur la prévision des phénomènes météorologiques extrêmes.
L'objectif scientifique du développement de la prévision continue – parvenir à un système de modélisation commun (ou intégré) pour toutes les applications de prévisions météorologiques à courtes et longues échéances, allant de quelques minutes à plusieurs semaines, mois ou années – a reçu l'aval unanime et sans réserve des participants. L’établissement d'un continuum entre le temps et le climat dans le contexte des relations qu’entretiennent les scientifiques et les utilisateurs des prévisions et les pays eux-mêmes s’agissant de l’observation de l’atmosphère constitue un objectif important pour la prochaine décennie. La Conférence s'est penchée en particulier sur l'intégration des informations météorologiques et hydrologiques aux fins de la prévision des crues, et sur l'intégration des données sur le temps et sur la chimie de l'atmosphère aux fins de la prévision de la qualité de l'air.
Trois séances plénières ont été consacrées au renforcement de la collaboration entre les États, les universités, le secteur privé et les associations professionnelles s’agissant de l’avenir de l’entreprise météorologique.
Sur la voie de la modélisation du système terrestre
Les sociétés sont extrêmement vulnérables aux phénomènes météorologiques. La science et la prévision du temps contribuent à sauver des vies, réduire les dommages matériels et ouvrir des perspectives économiques. Les jeunes scientifiques et praticiens de la nouvelle génération sont impatients de faire progresser encore la science de la prévision. Ils ont participé activement à la Conférence et examiné la possibilité de former une association de jeunes chercheurs en météorologie, climatologie et science de l'environnement afin de mieux collaborer au perfectionnement des applications de la météorologie.
À la conclusion de la Conférence, il est apparu qu'au cours des 20 prochaines années, les prévisionnistes s'achemineront probablement vers la modélisation du système terrestre. Les prévisions météorologiques et climatiques sans discontinuité que nous connaissons aujourd'hui pourraient graduellement faire place à des services de prévision continue des phénomènes météorologiques et climatiques et de leurs incidences. Des modèles ultra-perfectionnés intégreront de plus en plus les composantes et les processus du système terrestre. En plus de l’atmosphère et des océans, ils incorporeront des informations de plus en plus précises sur la topographie, les changements d'affectation des terres, la végétation, les cours d'eau, les lacs, les nuages, ainsi que les tendances socio-économiques pour fournir des services spécifiques d’aide à la décision qui seront utiles pour pratiquement tous les aspects de la vie quotidienne.
La publication validée par les milieux scientifiques d'un document qui fera une synthèse des résultats des débats et des conclusions des présentations des deux programmes comptera au nombre des retombées concrètes de la Conférence. Certains des résultats obtenus pourraient également faire l'objet d'une communication à l'occasion du Congrès météorologique mondial qui se tiendra en mai-juin 2015.
Comment structurer la prévision continue?
Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord offre un excellent exemple: les prévisions du temps et du climat de très haute qualité diffusées par le Service météorologique britannique (Met Office) ont une seule et même source, et le Met Office poursuit l'intégration de ses recherches sur le temps et le climat.
Comment procède-t-il? En plaçant l'ensemble de ses activités de recherche et de développement sous la responsabilité d'un seul directeur, en créant une nouvelle direction des sciences fondamentales et en mettant sur pied un programme d'activités novatrices conjointes. «Notre nouvelle direction appelée Foundation Science Directorate sert de point d'appui à l'ensemble de nos activités axées sur le temps et le climat», explique Julia Slingo, Scientifique en chef du Met Office responsable de la recherche scientifique et du développement.
La distinction qu'on établissait dans le passé entre la prévision du temps et la prévision du climat était compréhensible, mais elle est de moins en moins pertinente aujourd'hui. L'aggravation des dangers que posent les phénomènes météorologiques extrêmes compte parmi les conséquences les plus graves de la variabilité et de l’évolution du climat. De plus, les décideurs portent aujourd'hui plus d'attention aux prévisions infrasaisonnières à décennales, d'où l'importance d'adopter une approche plus homogène de la modélisation et de la prévision. Julia Slingo a présenté une allocution à ce sujet à la Conférence scientifique publique mondiale.
[1] Président sortant de la Commission des sciences atmosphériques de l'OMM et coprésident du Ccomité international d'organisation du WWOSC.
[2] Directeur général du Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT) et coprésident du Ccomité international d'organisation du WWOSC.