La Parole à Qing-Cun Zeng

03 mars 2015

Météorologue et universitaire réputé, Qing-Cun Zeng est un pionnier de la prévision numérique du temps, de la prévision dynamique du climat et de la théorie de la télédétection appliquée à l'exploitation des satellites météorologiques. 

  • Author(s):
  • Sylvie Castonguay, rédactrice en chef, Bureau de la communication et des relations publiques, OMM.

Par le Secrétariat de l'OMM[1]
 

Météorologue et universitaire réputé, Qing-Cun Zeng est un pionnier de la prévision numérique du temps, de la prévision dynamique du climat et de la théorie de la télédétection appliquée à l'exploitation des satellites météorologiques. Ses schémas semi-implicite (1961) et quadratique (1981), ainsi que sa méthode d'inversion variationnelle (1974) trouvent toujours une large application dans les études théoriques et pratiques de météorologie et de dynamique des fluides géophysiques. Par son engagement actif dans l'étude des variations du climat et de l'environnement à l'échelle de la planète, il a contribué à l'avancement des études des aléas météorologiques et de la réduction des risques de catastrophe y afférents. Sa carrière lui a valu de nombreuses distinctions et de nombreux prix. Il a notamment été nommé membre honoraire de l'American Meteorological Society (2014), membre de l'International Euro-Asian Academy of Sciences (1996), membre étranger de l'Académie russe des sciences (1994), membre de l’Académie chinoise des sciences (1980) et membre de l’Académie mondiale des sciences (TWAS) (1995). 

Dans la présente entrevue, l’accent est mis sur la contribution scientifique de M. Qing-Cun Zeng à la réduction des risques de catastrophe.
 

Q1: Qu'est-ce qui vous a poussé à faire de la météorologie votre métier?

R: Mon choix de carrière a été largement motivé par mes expériences de jeunesse, marquées par le souvenir des souffrances infligées à mes compatriotes par les événements météorologiques auxquels ils étaient insuffisamment préparés. Je viens d’une famille de paysans. J'ai grandi à la campagne et ai participé aux travaux des champs. Les effets du temps et du climat sur l'agriculture et sur les agriculteurs sont une réalité pour moi.

Lorsque j'étais étudiant au Département de physique de l'Université de Beijing, de 1952 à 1956, mon pays a été victime de nombreux phénomènes météorologiques extrêmes qui ont détruit les récoltes et nui à l'économie. Il fallait d'urgence mettre en place des services météorologiques et les services de recherche scientifique y afférents. Mes professeurs m'ont encouragé à étudier la «physique de l’atmosphère» – météorologie ou sciences de l'atmosphère – afin de poursuivre une carrière utile, au service du public.

À l'époque, il y a 60 ans, les prévisions du temps et du climat étaient fondées sur les observations et sur l'expérience personnelle. La possibilité de recourir à la physique et aux mathématiques pour améliorer l'exactitude des prévisions du temps excitait ma curiosité, et c'est pourquoi j'ai choisi la prévision numérique du temps comme sujet des études supérieures que j'ai poursuivies en ex-URSS.

Ma thèse, qui a été publiée en russe (1961) et en chinois (1963), portait sur l'application des équations baroclines primitives à la prévision des conditions météorologiques à courte échéance. Ma méthode et mon schéma de calcul numérique – le schéma semi-implicite – sont utilisés aux fins des prévisions opérationnelles par le Centre météorologique mondial de Moscou depuis 1963. Ces équations primitives servent de cadre dynamique aux prévisions numériques du temps à courte et à moyenne échéance que nous produisons aujourd'hui. À l'époque, il n'était possible de faire des prévisions régionales que 24 heures à l'avance.
 

Q2: Comment vos recherches ont-elles évolué au fil des ans?

R: De retour à Beijing, au début des années 1960, il m'a fallu revenir aux prévisions empiriques et statistiques, puisque nous n'avions pas de gros ordinateurs. Cependant, j'ai profité de mon temps libre pour poursuivre mes recherches. Mon objectif était d'étendre l'échéance des prévisions météorologiques de 24 heures à plusieurs jours, et de produire des prévisions climatologiques mensuelles et saisonnières – encore plus importantes pour la prévention des catastrophes. Au lieu de m'attaquer directement aux problèmes de la prévision numérique mondiale du temps et du climat, j'ai décidé de me pencher sur les problèmes physiques et mathématiques fondamentaux que posent les équations différentielles ou à différences finies, ainsi que sur certaines caractéristiques générales des lois du mouvement concernant la rotation des liquides sous l'effet de la gravité.

Les résultats les plus importants de mes recherches – ceux ayant trait à la cohérence interne des modèles atmosphériques et des modèles couplés, à la définition correcte des conditions aux limites, à la soustraction de la stratification normale, à l'introduction de l'énergie disponible et à sa conservation, à l'introduction d'une approximation possible afin de simplifier les calculs, mais sans enfreindre les lois de la physique –sont appliqués dans le monde entier. Ils ont en outre servi, plus tard, à la conception du modèle chinois de système climatique et du Modèle de système Terre (MST). Depuis 1990, la Chine utilise le modèle de système climatique pour prévoir une ou deux saisons à l'avance les anomalies de précipitations estivales.

Lors de sa réunion de 1982, le Programme mondial de recherche sur le climat (PMRC) a désigné le changement climatique mondial et le développement durable comme des enjeux prioritaires de la recherche et de l'action, et j'ai donc décidé de prendre une part active aux efforts déployés dans ces domaines. J'ai participé à la rédaction des premier et deuxième rapports sur l’évaluation scientifique du changement climatique élaborés par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) à titre de coauteur principal du chapitre portant sur la validation des modèles. Le développement durable dépend de la fiabilité des prévisions sur la variabilité du climat et de l'évaluation des risques, ainsi que de la qualité des activités de planification mises en œuvre pour atténuer les risques atmosphériques et environnementaux.

Mes travaux sur l'élaboration d'une approche unifiée de la prévision ainsi que de la réglementation et de la surveillance du milieu naturel m'ont également conduit à proposer un cadre théorique de la «cybernétique naturelle» que je suis impatient de voir évoluer au fil des travaux des nouvelles générations de chercheurs. 
 

Q3: Pouvez-vous nous en dire plus sur vos activités dans le domaine de la télédétection par satellite et sur la façon dont elles ont contribué à la réduction des risques de catastrophe?

R: En Chine, les recherches en météorologie satellitaire entamées au cours des années 1970 ont d'abord porté sur les problèmes théoriques de la télédétection et sur ses applications pratiques plus générales. La Chine, qui a lancé son premier satellite météorologique en 1988, est aujourd'hui dotée de deux satellites géostationnaires (FY-2) et de deux satellites à défilement (FY-3). Ces engins font partie du Système mondial d’observation (SMO) de l’OMM et leurs données sont partagées avec l'ensemble des Membres de l'Organisation.

Vers 1970, j'ai intégré le programme chinois de météorologie satellitaire pour étudier certains des problèmes théoriques fondamentaux de la télédétection. J'ai transformé les équations du transfert radiatif en les adaptant à la télédétection. L'introduction des opérateurs pertinents permet d'harmoniser diverses méthodes et composantes de la télédétection – par exemple, température, gaz à l'état de traces, aérosols et autres caractéristiques de l'atmosphère – en un cadre théorique unifié, et d'en explorer les différentes caractéristiques. Nous avons ainsi découvert que bien que les résultats de la télédétection par satellite de la vapeur d'eau et des gaz atmosphériques à l'état de traces dans les couches inférieures de la troposphère risquent d'être peu fiables ou même inutilisables, ceux obtenus dans les couches supérieures sont en revanche fiables et utiles. Ces résultats théoriques ont influé sur la conception des satellites météorologiques chinois et ont été confirmés dans la pratique partout dans le monde.

La télédétection infrarouge de la teneur en vapeur d'eau des couches supérieures de la troposphère peut fournir des images très nettes des typhons, des zones de pluie intense, etc. Elle permet également de surveiller les catastrophes météorologiques, géologiques ou hydrologiques – par exemple, coulées de boue, chutes de pierres, inondations, etc. – et de prévoir, recenser ou évaluer ainsi les pertes qu'elles risquent de provoquer. Cette méthode est couramment utilisée par les météorologistes chinois à l’échelle provinciale et régionale pour la diffusion aux décideurs de messages d'alerte: un service particulièrement appréciée par la population. Par exemple, la télédétection par les canaux «vapeur d’eau» des satellites FY‑2 a permis aux météorologistes de prévoir avec précision, 24 heures à l'avance, le lieu et le moment où le super typhon Rammasun (2014) atteindrait la côte. Le typhon a touché terre à moins de 77 km du point prévu, et à moins de 30 minutes du moment prévu.

Les canaux dans le visible et l'infrarouge des satellites FY‑3 donnent des images claires des tempêtes de poussière et de la teneur en sable et en poussière de l'atmosphère. Je fais partie du groupe de météorologistes chinois qui ont élaboré un système opérationnel de surveillance des tempêtes de poussière à l'aide de la télédétection par satellite ou en surface et des réseaux d’observation classiques; de prévisions à l'aide de systèmes de prévision numérique du temps; d'évaluation des catastrophes à l'aide d'images obtenues par télédétection et de rapports d'observations in situ, et de mise en œuvre des politiques connexes de réduction des risques de catastrophe.
 

Q4: De quels types d'avancées aurions-nous besoin selon vous au chapitre des techniques de prévision numérique du temps pour mieux réduire les risques de catastrophe liés aux aléas météorologiques et climatiques?

R: Le défi consiste à bien prévoir l'évolution des systèmes météorologiques extrêmes et les catastrophes qu'ils risquent de provoquer. Les progrès en la matière ne dépendront pas uniquement de l’amélioration de la résolution des modèles. Notre connaissance des processus dynamiques, physiques et chimiques qui conduisent aux catastrophes reste à ce jour limitée. Nous aurons besoin de méthodes d'observation plus avancées et d'études théoriques supplémentaires pour combler ces lacunes et apporter aux modèles les améliorations requises. Nous devrons également apprendre à mieux assimiler les données – par exemple, nous n'arrivons toujours pas à obtenir, à partir des données de radars, un portrait complet des propriétés microphysiques des nuages. Il nous faudra formuler des hypothèses ou des lois semi-empiriques pour être en mesure d'intégrer ces propriétés dans les modèles de prévision numérique.

Ces enjeux ont principalement trait à la prévision du temps. Quant aux catastrophes elles-mêmes, nous devrions élaborer des modèles pour la prévision de leurs processus évolutifs et pour l'évaluation des risques. Il conviendrait également de procéder à la modélisation quantitative des activités d'atténuation de risques et des avantages qui en découlent.

Dans les cas où une catastrophe n'influe pas sur les mouvements atmosphériques, on peut réaliser une prévision météorologique et procéder ensuite à la modélisation des risques de catastrophe. Cependant, en cas d'interactions entre les catastrophes et les mouvements atmosphériques, il conviendra de recourir aux modèles couplés. Cette procédure relève du domaine de la cybernétique naturelle dont j'ai parlé tout à l'heure.
 

Q5: Qu'entend-on par «cybernétique naturelle» et comment peut-on l'appliquer à la réduction des risques de catastrophe?

R: La cybernétique naturelle est une approche qui a été proposée pour l'étude de l'autocontrôle et de la régulation et du contrôle artificiels de l'environnement naturel, y compris l'atmosphère. Elle diffère de la cybernétique technique en ce que les caractéristiques de l'objet du contrôle et de son environnement sont à la fois variables et inconnues, d'où la nécessité de les prévoir et l'impossibilité de les traiter séparément. Le cadre théorique de la cybernétique naturelle que j'ai proposé a pour objectif de combiner et d'unifier les exercices de prévision et de régulation pour en faire un problème couplé d'ingénierie système. L'approche que je propose consiste à traiter et à résoudre à l'aide de modèles mathématiques et de calculs la masse énorme de données d'observation en temps réel et d'expériences pratiques dont nous disposons, ainsi que la planification et la régulation en temps réel des opérations.

Les applications préliminaires de ce cadre dans les domaines de la lutte contre la pollution et de la protection de la qualité de l'air, de la modification artificielle du temps, de la lutte contre l'envasement et de l'irrigation ont donné de bons résultats. Les modèles de système Terre pourraient permettre de recourir à la cybernétique naturelle pour étudier les problèmes locaux ou régionaux liés au climat, tels que le boisement ou le déboisement.

La cybernétique naturelle peut servir à la gestion des risques météorologiques, qui sont essentiellement des problèmes de cybernétique. Comme je l'ai déjà mentionné, s'il existe une interaction entre les catastrophes et les mouvements de l'atmosphère (par exemple, un incendie de forêt de grande envergure peut influer sur le vent, la température et la convection atmosphérique), il est nécessaire d'utiliser les modèles couplés pour déterminer le seuil optimal ou acceptable d'activités humaines qui permettra de réduire les pertes.
 

Q6: Quelle est l'importance de la prévision des variations de la mousson et des risques météorologiques et climatiques que posent ces variations en Chine? 

R: Plus de 60 % de la population mondiale vit dans régions touchées par la mousson. Les variations de la mousson peuvent avoir de graves conséquences sur l'agriculture, la production alimentaire, l'approvisionnement en eau douce et la disponibilité de certains matériaux industriels – domaines qui concernent tous les aspects de la vie humaine. Les systèmes de mousson sont liés aux typhons, aux anomalies froides («cold surges»), aux inondations et aux sécheresses qui peuvent provoquer des catastrophes et entraîner des pertes de vies humaines et de biens. La prévision de la variabilité de la mousson – dates du début et de la fin de la mousson, intensité et volume des précipitations – constitue donc un immense défi.

Plus de la moitié du territoire chinois se situe dans la zone des moussons d'Asie et d'Australie – le plus vaste et le plus puissant des systèmes de mousson du monde – ou en subit directement l'influence. Les météorologistes chinois portent une attention particulière à la prévision de la variabilité de la mousson, tant à courte échéance qu'à l'échelle décennale, ainsi qu'à la prévision des phénomènes météorologiques extrêmes qui leur sont associés. Ils utilisent des modèles dynamiques du climat, des modèles statistiques et des modèles empiriques, et tirent également parti de l'expérience des populations locales. Ils obtiennent des résultats satisfaisants, mais tout doit être fait pour les améliorer.


Q7: You are one of the organizers of the joint Chinese Academy of Sciences/The World Academy of Sciences/WMO Forum on Climate Science. Could you tell us more about the goal and activities of this Forum?

R: Mis en place en 2001, ce forum a pour objectif de stimuler la recherche climatologique dans les pays en développement par le biais d'échanges scientifiques entre les pays industrialisés et les pays en développement. Les conférences internationales, les ateliers et les cours de formation organisés sous son égide abordent les enjeux brûlants des sciences climatologiques et se penchent sur des applications très pratiques – par exemple, les problèmes physio-mathématiques de la modélisation et des prévisions climatiques, les prévisions climatiques à courte échéance, les phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes, leur dynamique et leur prévision, les modèles climatiques des surfaces continentales et leurs applications, l’assimilation des données océaniques, l'océanographie opérationnelle pour les pays en développement, la mise au point de modèles dynamiques du système Terre, les aérosols minéraux et leurs incidences sur le climat et l'environnement, les changements climatiques et environnementaux et l'évaluation de leurs incidences, et bien d'autres encore.

Le Forum accueille chaque année de 70 à 120 participants venant de partout dans le monde. Des scientifiques et des experts renommés des pays développés présentent des exposés. Des chercheurs des pays en développement présentent des exposés oraux ou par affiches au sujet desquels des scientifiques plus expérimentés sont invités à formuler des suggestions ou des observations. Des sondages ont démontré que les chercheurs des pays en développement apprécient ce genre de manifestation, et que les chercheurs d'expérience apprécient l'occasion qui leur est donnée de s'entretenir et d'interagir avec eux.

L’Académie chinoise des sciences finance la majeure partie des activités du Forum. 
 

[1] Sous la direction de Sylvie Castonguay, rédactrice en chef, Bureau de la communication et des relations publiques, OMM.

  
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