L’atmosphère de la planète: les gaz à effet de serre et la pollution urbaine

01 janvier 2009


par Euan Nisbet1 et Martin Manning2


Depuis 50 ans, époque où Dave Keeling a commencé à surveiller le dioxyde de carbone à Mauna Loa, Hawaï, et au pôle Sud, les scientifiques ont suivi l’évolution des gaz à effet de serre et d’autres gaz à l’état de traces dans l’atmosphère du globe. Les résultats ainsi obtenus ont révolutionné nos connaissances sur la biogéochimie et démontré que les activités humaines affectaient le changement climatique et la qualité de l’air. Les mesures précises des concentrations de gaz à l’état de traces, dont Dave Keeling fut le pionnier, ont conduit de ce qui était une recherche scientifique passionnante à ce que l’on pourrait considérer comme les défis socio-économiques et politiques les plus graves auxquels l’humanité ait jamais eu à faire face.

Ce n’est que par des mesures précises et étalonnées des gaz à l’état de traces réalisées en de nombreux endroits que nous avons été en mesure de dresser des bilans fiables pour les sources et les puits tant des gaz à effet de serre que des polluants qui déterminent la qualité de l’air. On a pu également identifier clairement des effets des activités anthropiques sur l’atmosphère. Dans le même temps, nous avons appréhendé dans une certaine mesure l’échelle des dommages que des changements atmosphériques pourraient provoquer si rien n’est fait. Ceci nous conduit à présent à repenser la direction et la conception de l’activité économique à l’échelle du globe.

... la surveillance de l’atmosphère nous fournit la vision la plus complète dont nous disposions sur les changements biogéochimiques dans un monde qui se réchauffe rapidement.

Les progrès technologiques nécessaires pour éviter les changements atmosphériques dangereux ont un coût mais il apparaît de plus en plus que le coût de l’inaction serait bien plus élevé. Les impacts de la qualité de l’air et du changement climatique sont susceptibles de se chiffrer en milliers de milliards de dollars (Burtraw et al., 2003; Metz et al., 2007; Sitch et al., 2007). Ironiquement, en dépit de l’attention internationale accordée au changement à l’échelle du globe, la surveillance précise et stratégique des gaz de l’atmosphère à l’état de traces —qui a permis d’identifier le problème au départ —reste très nettement sous-financée (Nisbet, 2007). Pourtant ce parent pauvre de la science reste encore le seul moyen de savoir si les mesures d’atténuation fonctionnent.

Si nous pouvions considérer le changement atmosphérique comme un fait acquis, une approche minimaliste de la surveillance pourrait se justifier. Toutefois, le trou d’ozone a montré que la chimie de l’atmosphère est susceptible de réserver des surprises. Qui plus est, la surveillance de l’atmosphère nous offre la vision la plus complète dont nous disposions sur les changements biogéochimiques qui se produisent dans un monde qui subit un réchauffement rapide. Ce n’est nullement le moment de considérer la surveillance atmosphérique comme un fait acquis.

Quels gaz à effet de serre surveille-t-on et où?

Les gaz à effet de serre doivent faire l’objet d’une surveillance pour bien des raisons. Tout d’abord, il s’agit là de science fondamentale, avec la respiration de la Terre. Dans son rapport initial, Keeling (1960) a documenté le cycle saisonnier de croissance et de décroissance de la biosphère de la planète et a montré l’effet que les masses continentales de l’hémisphère Nord exercent sur le sud. Par ailleurs, élément plus préoccupant, la surveillance a permis de relever l’augmentation régulière du dioxyde de carbone. Les mesures ont débuté à Hawaï, en mars 1958, où l’on enregistrait 316 parties par million (ppm) de dioxyde de carbone. En mars 2007, cette valeur était de 384 ppm. La courbe établie à Mauna Loa, simple et sans ambiguïté, a modifié notre regard sur le monde et sur nos actions.

De nombreux pays déclarent désormais eux-mêmes leurs émissions de gaz à effet de serre. Celles-ci sont estimées à partir de données économiques et statistiques, comme le nombre de tonnes de combustible fossile brûlées, les fuites des décharges ou les estimations des émanations de méthane des bovins (qui peuvent varier considérablement d’un pays à l’autre). Les données sont vérifiées sur papier mais, en dépit du potentiel d’erreurs dans le processus de rassemblement des données, il n’existe pas pour l’instant de vérification indépendante et complète des émissions. C’est là un défaut essentiel du processus de Kyoto car les émissions sont désormais associées dans la pratique à des coûts ou des avantages financiers.

À l’heure actuelle, la surveillance mondiale des gaz à effet de serre et des espèces connexes, réalisées par de nombreux pays pour le bien public, commence à fournir une approche scientifique indépendante pour estimer les bilans de gaz à effet de serre. Pour l’instant, les données ne permettent que d’obtenir un éclairage global et un éclairage régional très large ou de quantifier les panaches de vastes sources localisées. À l’avenir, dans le cadre d’un traité de suivi du protocole de Kyoto, nous devrions faire bien davantage pour vérifier directement la conformité à tous les niveaux —le niveau local (comme les usines), le régional ainsi que le national et le continental.

Les principaux composants présents à l’état de traces dans l’atmosphère et qui font l’objet d’une surveillance à l’échelle mondiale sont les suivants:

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Les gaz de base du protocole de Kyoto: dioxyde de carbone (CO2), méthane (CH4), protoxyde d’azote (N2O), hydrofluorocarbones (HFC), perfluorocarbones (PFC) et hexafluorure de soufre (SF6);
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Les substances appauvrissant la couche d’ozone telles que les chlorofluorocarbones (CFC) et les hydrochlorofluorocarbones (HCFC) contrôlés dans le cadre du Protocole de Montréal;
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Les gaz à effet de serre indirect: hydrogène (H2) (qui risque d’augmenter fortement dans une économie basée sur l’hydrogène) et monoxyde de carbone (CO) (impliqué dans la chimie du méthane et la qualité de l’air);
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Le dioxyde de carbone isotopique (13 CO2), le méthane isotopique (13 CH4) et l’ozone
(O 3) (pour limiter les sources d’émission et les bilans du CO2).

À l’échelle locale et à l’échelle régionale, de nombreux polluants à durée de vie courte, tels que les composés organiques volatils (COV), les oxydes d’azote (NOx) et des particules sont surveillés, ainsi que les espèces générées par leurs réactions chimiques, comme l’ozone.

Ces gaz ne sont pas tous surveillés de la même manière et la couverture spatiale et temporelle des données disponibles varie considérablement. Toutefois, quel que soit le cas, la couverture restreinte et le caractère sporadique des programmes de mesure qui ne bénéficient pas d’un financement en continu restreignent notre capacité à identifier les changements, qu’ils soient d’origine naturelle ou humaine. La vérification des effets des politiques sur la lutte contre les émissions a depuis de nombreuses années été identifiée comme l’un des objectifs potentiels des programmes nationaux et internationaux sur les sciences de l’atmosphère, mais cette priorité ne s’est pas encore traduite dans la pratique.

La surveillance est effectuée par des groupes nationaux et multinationaux, certains gouvernementaux et d’autres liés à des universités. Le programme mondial le plus étendu est piloté par la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) des États-Unis d’Amérique, qui fournit également la plupart des normes d’étalonnage. Les travaux menés par la NOAA sur le dioxyde de carbone sont étroitement coordonnés avec les programmes nationaux de l’Australie, du Canada, de la Chine, du Japon, de la Nouvelle-Zélande, de l’Afrique du Sud et de nombreux autres pays. L’exception notable dans le cadre des pays développés est celle du Royaume-Uni.

Les programmes de l’Union européenne tels que Carbo-Europe et GEOmon apportent des contributions majeures et assurent la coordination d’efforts nationaux tels que le réseau français RAMCES (Réseau atmosphérique de mesure des composés à effet de serre), tout en aidant à la réalisation de mesures en Inde et en Afrique. Toutefois, de nombreux programmes de surveillance disposent d’un financement insuffisant ou risquent d’importantes coupes budgétaires (comme cela a été le cas pour les travaux de niveau international menés en Australie et au Canada et pour la surveillance du méthane au sein de l’Union européenne). Les principales lacunes du réseau de surveillance concernent les régions tropicales, et notamment l’Inde (où la France réalise quelques travaux de surveillance), l’Arabie, l’Afrique tropicale et le Brésil (d’où il est difficile d’expédier des flacons échantillons).

L’OMM assure la coordination des mesures et des analyses mondiales, par exemple avec l’appui fourni (depuis 1975) à une réunion biennale d’un groupe d’experts sur la mesure du dioxyde de carbone et des gaz à l’état de traces. Par le biais de son programme de la Veille de l’atmosphère globale (VAG), l’OMM doit apporter un soutien aux partenaires internationaux qui gèrent et maintiennent les principales composantes du réseau VAG de surveillance du dioxyde de carbone et du méthane, lequel fait partie du Système mondial d’observation du climat. Un engagement de haut niveau de la communauté internationale qui assure la recherche sur le cycle du carbone a permis d’arrêter des normes et méthodologies analytiques. Cette communauté aide l’OMM à publier un bulletin annuel sur les gaz à effet de serre qui décrit le consensus sur la composition et les tendances des gaz à effet de serre. Chose importante, les groupes d’experts de la VAG mènent des études internationales de comparaison, qui ne plaisent pas aux institutions de financement mais sans lesquelles la collaboration et la plus grande partie de la modélisation des bilans seraient quasiment sans intérêt. Quelque 25 programmes nationaux participent à ces travaux (nombre qui est en augmentation). Il s’agit d’un travail d’ampleur mondiale, et la NOAA et RAMCES, notamment, utilisent les îles océaniques de manière stratégique. De nombreuses lacunes subsistent néanmoins dans la couverture (figure 1), notamment dans les zones tropicales.

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Figure 1 — Sites de surveillance du dioxyde de carbone global en novembre 2008 (reproduit avec l’autorisation d’A.C. Manning). Les stations présentées sont celles des programmes suivants: NOAA (USA), Scripps (USA), Princeton (USA), Commonwealth Scientific and Research Organization (Australie), National Institute of Water & Atmospheric Research (Nouvelle-Zélande), National Institute for Environmental Studies (Japon), South Africa Weather Service and CarboEurope-IP (UE, y compris le programme français RAMCES)

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La surveillance par satellite des gaz à l’état de traces en est encore à un stade préliminaire mais elle devrait permettre de disposer d’une vision plus large, fort utile. Les systèmes satellitaires, tels que l’instrument Sciamachy (spectromètre imageur et balayeur pour la cartographie atmosphérique) à bord d’Envisat pour l’Union européenne, utilisent le proche infrarouge pour mesurer la quantité totale de dioxyde de carbone et de méthane dans la colonne atmosphérique. Prochainement, l’observatoire orbital du carbone de la NASA pour les États-Unis et le satellite IBUKI (GOSAT) d’observation des gaz à effet de serre de l’Aerospace Exploration Agency du Japon offriront une couverture supplémentaire sur une grande partie de la planète. Sur le principe, la couverture quasi mondiale assurée par les techniques de télédétection pourrait améliorer considérablement notre capacité à relier les empreintes des concentrations de gaz à l’état de traces à la répartition des sources et des puits qui les provoquent (Rayner et O’Brien, 2001). Ceci n’est toutefois pas encore démontré. Pour ce qui est de l’avenir proche, nous dépendons clairement du réseau au sol. Par ailleurs, sur le long terme, nous continuerons à avoir besoin de la vérité terrain apportée par des mesures de surface et des mesures ascendantes de la colonne totale.

Le dioxyde de carbone varie d’un endroit à l’autre de la planète. Keeling a montré qu’il présentait un bon mélange à échelle pluriannuelle mais il existe des variations considérables selon les saisons et les latitudes. La figure 2 montre le «tapis de carbone» ou «tapis volant» de dioxyde de carbone dans la couche limite de l’atmosphère maritime en fonction du temps et de la latitude. Il s’agit là d’un fantastique compte rendu de la respiration de la biosphère de notre planète et de l’augmentation de l’activité humaine. La topographie fine des variations du dioxyde de carbone supporte la comparaison avec les variations globales de la température absolue. Au même moment, dans un anticyclone vernal, le dioxyde de carbone au niveau du sol dans une grande région industrialisée peut dépasser les 450 ppm alors que cette valeur peut être de 100 ppm inférieure dans une forêt bourgeonnante située à 1000 kilomètres de là. Ceci peut se comparer avec une température au mois de juillet qui atteint 330 K au Sahara et 230 K au pôle Sud. Il existe de vastes cycles saisonniers et un gradient atmosphérique important.

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Figure 2 — Distribution moyenne mondiale du dioxyde de carbone atmosphérique dans les conditions de fond de l’atmosphère marine, dans le temps et par latitude (donnée par le réseau coopératif d’échantillonnage de l’air du Laboratoire de recherche sur le système terrestre de la NOAA (Earth System Research Laboratory) (www.esrl.noaa.gov))


La serre planétaire

La figure 3 montre l’évolution des moyennes mondiales des principaux gaz à effet de serre depuis 1978, mesurée par le réseau coopératif d’échantillonnage de l’air du Laboratoire de recherches sur le système terrestre (Earth System Research Laboratory) de la NOAA ( États-Unis d’Amérique). En ce qui concerne le dioxyde de carbone, l’augmentation semble inexorable, notamment au cours de la dernière décennie. On notera le changement d’inclinaison au moment du ralentissement de l’augmentation et du phénomène El Niño au début des années 90. Le protoxyde d’azote augmente aussi régulièrement: ce gaz, dégagé par la fabrication du nylon et par les activités agricoles, pourrait être une cible d’un très bon rapport coût-efficacité en matière de mesures de réduction.

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Figure 3 — Moyennes mondiales des concentrations des principaux gaz à effet de serre, bien mélangés et à longue durée de vie: dioxyde de carbone, méthane, protoxyde d’azote, CFC-12 et CFC-11 données par le réseau coopératif d’échantillonnage du Laboratoire de recherche sur le système terrestre de la NOAA (Earth System Research Laboratory) depuis 1978 (www.esrl.noaa.gov/gmd/aggi/)

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Plus encore que le protoxyde d’azote, le méthane est une première cible attirante pour les efforts de réduction étant donné qu’un grand nombre d’émissions de méthane, comme celles des décharges et des gazoducs, outre le fait d’endommager l’environnement, constituent un gaspillage économique. Le bilan méthane était quasiment à l’équilibre au début des années 90 mais il semblerait que le méthane soit à nouveau en train d’augmenter, notamment dans la région arctique (résultats non publiés de la NOAA et Rigby et Prinn, 2008). Les causes de cette évolution ne sont pas encore connues et, tant qu’il en va ainsi, il s’agit là d’une mise en accusation révélatrice de notre capacité à diagnostiquer le changement de l’atmosphère. Par le passé, l’Union européenne apportait son appui à la surveillance des isotopes du méthane de l’Arctique, qui pourrait, en principe, permettre de différencier les données par source. Cet appui a pris fin et les travaux menés sur les isotopes dans l’arctique reposent désormais largement sur les programmes des États-Unis et d’autres programmes nationaux. Enfin, toujours sur la figure 3, les chlorofluorocarbones présentent des diminutions encourageantes, ce qui reflète le succès du processus du protocole de Montréal. Ce résultat est un indicateur prometteur qui plaide pour le suivi du Protocole de Kyoto.

À quoi sert la mesure des gaz à effet de serre?

Études régionales

L’étude de la répartition détaillée du dioxyde de carbone fournie par le réseau de surveillance permet d’aborder un vaste éventail de questions scientifiques telles que la quantification comparative des puits de dioxyde de carbone au-dessus des continents et au-dessus des océans, l’évaluation de l’impact exercé sur le dioxyde de carbone de l’atmosphère par la vague de chaleur qui a frappé l’Europe en 2003, l’étude de l’impact du cycle El Niño/Oscillation australe ou le suivi des impacts plus larges des épisodes volcaniques.

Aux États-Unis d’Amérique, la NOAA surveille le dioxyde de carbone en procédant à des observations en continu depuis des tours de grande hauteur et à des échantillonnages réalisés par de petits aéronefs. Les données permettent d’obtenir des gradients régionaux dans l’espace et dans le temps qui sont insérés dans un système de modélisation du cycle du carbone par assimilation de données, appelé Carbon Tracker. Sur cette base, Peters et al. (2007) ont estimé les échanges nets de dioxyde de carbone entre le sol et l’atmosphère entre 2000 et 2005. Ils ont remarqué que la biosphère continentale d’Amérique du Nord constituait un puits de carbone majeur, qui absorbe quelques 0,65 x 1 015 grammes de carbone par an (on notera que la variabilité est importante, entre 0,4 et 1,01 x 1 015 g/an). Ceci compense partiellement les émissions dues aux combustibles fossiles, estimées à 1,8 x 1 015 g/an. En Europe, une surveillance analogue à partir de tours de grande hauteur a été entreprise dans le cadre du programme Chiotto de Carbo-Europe et d’un Système intégré d’observation du carbone en cours de mise en place.

Stephens et al. (2007) ont utilisé des profils verticaux tirés des mesures d’aéronefs pour déduire le fait que l’absorption septentrionale était d’environ 1,5 x 1 015 g/an, moins que ce qui avait été estimé précédemment, et que les émissions tropicales nettes étaient faibles (0,1 x 1 015 g/an), de sorte que la forte absorption tropicale compensait largement les émissions majeures dues au déboisement de la forêt tropicale et aux feux de broussailles. Piao et al. (2008) ont également tiré une sonnette d’alarme, en s’appuyant à la fois sur les relevés d’observation de la NOAA et sur la modélisation pour conclure que le réchauffement automnal pourrait avoir un impact significatif sur les bilans du dioxyde de carbone.

La surveillance des isotopes est particulièrement précieuse. étant donné que les émissions provenant de sources différentes ont généralement des rapports isotopiques différents, il est possible d’estimer l’intensité des sources. À titre d’exemple, si des vents soufflant depuis un gisement de charbon sont enrichis en 13CH4, cet incrément peut alors être relié au méthane total émis. En utilisant l’analyse de trajectoire inverse, il est possible de déduire des sources sur de grandes distances: le méthane des incendies canadiens peut être «reniflé» en Irlande, le méthane d’Afrique atteint la Nouvelle-Zélande. Les isotopes se mélangent finalement comme les marqueurs de couleur dans les traînées de fumée.

Levin et al. (2007) ont utilisé les observations du14C radiogénique réalisées dans des stations régionales en Allemagne et les ont comparées aux mesures réalisées dans la troposphère libre au Jungfraujoch, dans les Alpes suisses, pour estimer les excédents régionaux de dioxyde de carbone par rapport à la composition de fond.

De manière plus générale, Bakwin et al. (2004) ont montré qu’il était possible, en utilisant les mesures du dioxyde de carbone, d’évaluer les émissions de dioxyde de carbone à l’échelle d’une région (de l’ordre d’un million de kilomètres carrés, à condition que le réseau de surveillance soit adéquat). En utilisant des instruments modernes relativement peu onéreux et quelques échantillonnages d’appui par aéronef, il devrait être possible de quantifier les émissions et d’en donner la quantité et les sources des isotopes. Les efforts supplémentaires que cela requiert ne sont pas très importants par comparaison aux programmes existants. En principe, il devrait être possible de vérifier directement le respect de tout accord futur de type Kyoto, au moins pour les grandes régions industrielles telles que la Chine, l’Europe, l’Inde et les États-Unis d’Amérique.

Impacts sur l’air urbain

Dans le monde développé, la qualité de l’air en milieu urbain s’est nettement améliorée au cours des 10 dernières années. La figure 4 montre les données concernant la moyenne mensuelle de monoxyde de carbone, qui est un bon indicateur de la qualité générale de l’air, pour la ville d’Egham, au sud-ouest de Londres (Royaume-Uni). Les journées où l’on enregistre de grandes quantités de monoxyde de carbone sont désormais chose rare. Cette amélioration a débuté en 1997, avec la réduction des émissions des voitures due à l’introduction des pots catalytiques, à un régime fiscal rendant le combustible sans plomb moins cher que le combustible au plomb (et réduisant ainsi l’empoisonnement dû à l’agent de catalyse) et à un régime d’inspection annuelle plus strict. L’air londonien est désormais souvent scintillant de propreté et Londres n’est pas seule dans ce cas, la plupart des villes d’Europe et des États-Unis ont en effet enregistré une amélioration similaire de la qualité de l’air. Bien que d’importants risques subsistent pour la santé, le tableau d’ensemble est nettement plus positif qu’il y a 10 ans.

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Figure 4 — Relevé du monoxyde de carbone sur 10 ans pour Egham, à l’ouest de Londres. Moyenne mensuelle du rapport de mélange. Le relevé détaillé du méthane présente également une diminution soudaine lors des épisodes de pollution survenus depuis 1997. Entre 2006 et 2008 on a enregistré de nombreuses journées de vents d’ouest chargés avec une concentration en carbone à peine supérieure aux niveaux de fond contemporains (saisonniers) de l’Atlantique et des niveaux de méthane proches des mesures effectuées de dans le même temps à Mace Head, à l’ouest de l’Irlande (données préliminaires non publiées du Royal Holloway Group: il convient de noter que la ligne n’a qu’une valeur indicative).

La qualité de l’air urbain de nombreuses villes de pays en voie d’industrialisation, notamment en Chine et en Inde, reste très mauvaise. Toutefois, là encore des améliorations commencent à se faire sentir. À Beijing, la qualité de l’air est le reflet de ce mouvement: les efforts héroïques déployés pour améliorer les conditions en vue des Jeux Olympiques de 2008 ont conduit le public à souhaiter un air de meilleure qualité dans l’ensemble du pays. En Inde également, la pression du grand public pourrait conduire à des améliorations. L’expérience nord-américaine et européenne, tant récemment avec la qualité de l’air et au cours de la décennie précédente pour les pluies acides, a montré qu’avec des efforts et de la détermination, il était possible d’améliorer considérablement la qualité de l’air en l’espace d’une décennie.

Si la qualité de l’air autour des grands centres urbains est assez bien comprise, la croissance attendue des mégapoles risque de poser de nouveaux problèmes, notamment avec l’émission de nouvelles espèces de gaz de synthèse dans l’atmosphère à un rythme poussé avant d’avoir compris toutes les conséquences de ces rejets sur l’environnement. Chose plus préoccupante, on ne sait pas encore grand-chose sur les grands changements de fond de la chimie de l’atmosphère qui sont peut-être en train de se produire à des échelles plus importantes. Des éléments probants montrent par exemple qu’il pourrait y avoir d’importantes fluctuations dans la concentration de l’espèce oxydante dominante, le radical hydroxyle (OH) (Manning et al., 2005) et il est révélateur de voir qu’une grande partie de ces hypothèses relatives à l’hydroxyle provient des modèles de la chimie de l’atmosphère plutôt que des observations (Jöckel et al., 2003; Spivakovsky et al., 2000).

Chose ironique, la pollution de la Chine et de l’Inde par les aérosols agit comme un forçage négatif des gaz à effet de serre à l’échelle du globe. Fort normalement, ces pays tentent d’assainir leur air, mais ce faisant ils améliorent la situation au niveau local mais accélèrent le réchauffement de la planète. Par ailleurs, les pots catalytiques alourdissent les voitures et les rendent moins efficaces. La consommation globale de carburant des véhicules des nations occidentales est plus élevée que si l’air était plus sale. L’amélioration de l’environnement local pourrait entraîner une augmentation transitoire du réchauffement de la planète.

Conclusion

Avec le soutien de l’OMM au plan international, la surveillance et l’analyse des gaz à effet de serre atmosphériques ont peu à peu constitué un système mondial intégré qui remonte sur 50 ans, jusqu’aux mesures d’avant-garde effectuées par Dave Keeling à Mauna Loa (Hawaï) et au pôle Sud. Les implications scientifiques et socio-économiques considérables de ces travaux ont trop souvent été considérées comme implicites. L’augmentation du réchauffement dû à l’effet de serre à l’échelle globale et les points chauds de dégradation de la qualité de l’air sont assez bien connus. Il importe désormais de disposer d’une surveillance plus complète et plus détaillée (et relativement peu onéreuse), conçue pour appuyer les modèles pertinents et permettre de définir les bilans régionaux et locaux de gaz à l’état de traces. Ceci permettra un audit indépendant des émissions, par source, par emplacement et par période. Un outil efficace de poursuite du carbone est désormais chose possible.


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1. Département des sciences de la Terre, Royal Holloway, Université de Londres,
Royaume-Uni
2. Climate Change Research Institute, Université Victoria de Wellington, Nouvelle-Zélande

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