L’avenir de la mer d’Aral réside dans la coopération transfrontière

01 mars 2014

D’après le bulletin publié en janvier 2014 par le Service d’alerte environnemental mondial (GEAS) du PNUE 1 2

La mer d’Aral, en Asie centrale, s’est fortement asséchée depuis une cinquantaine d’années en raison du détournement des cours d’eau qui l’alimentaient. Elle s’est divisée en plusieurs mers de moindres dimensions, laissant derrière elle un vaste désert et une multitude de problèmes environnementaux, économiques et sociaux. Les mesures récentes de restauration ont permis une reprise de l’industrie de la pêche dans ce qui constitue désormais la Petite mer d’Aral (septentrionale); mais ce progrès apparent s’est fait au détriment de la Grande mer d’Aral (méri- dionale) qui a été coupée d’un apport d’eau après la construction du barrage de Kokaral. La mer d’Aral ne retrouvera peut-être jamais les niveaux qu’elle avait avant les années 1960, mais il est permis d’espérer que la coopération transfrontière nécessaire pour mettre en œuvre les politiques et activités de conservation et s’y conformer permettra sa survie et la pérennité des moyens de subsistance dans la région.

En quoi est-ce important?

La mer d’Aral, qui était le quatrième lac du monde par sa taille, ne couvre aujourd’hui que 10 % environ de sa superficie d’alors, a moins de 10 % de son volume et reçoit 10 fois moins d’eau que par le passé. Le bassin abrite au-delà de 60 millions d’habitants – population qui a plus que quadruplé depuis 1960. Il occupe 1,5 million de kilomètres carrés en Asie centrale, répartis essentiellement sur six pays: l’Afghanistan, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan.

La fonte de la neige et des glaciers du massif du Pamir au sud-ouest, dans le Tadjikistan, et des monts Tian Shan, en bordure de la Chine et du Kirghizistan, alimente l’Amou-Daria et le Syr-Daria. Ce sont les deux grandes rivières qui se déversaient dans la mer d’Aral, laquelle n’a pas d’émissaire. L’eau de fonte est très précieuse pendant l’été, chaud et sec. Le détournement du cours de ces rivières à des fins d’irrigation a modifié les débits et asséché la mer d’Aral. Les travaux de détournement ont commencé dès 1938, afin d’alimenter les réseaux d’irrigation. Certains événements naturels sont également survenus, telle la rupture des digues de l’Amou-Daria sous la pression des crues de printemps, mais ils n’ont pas modifié sensiblement le niveau des eaux.

Les rives chargées de sel de la mer d’Aral
Les rives chargées de sel de la mer d’Aral

De nouveaux programmes d’irrigation pour la culture du coton et du riz dans cette région aride ont accéléré les travaux de détournement pendant les années 1960. Le prélèvement dans les nappes souterraines a été envisagé, mais on a continué d’utiliser surtout les eaux de surface. Il est possible également que le changement climatique ait une incidence sur les débits qui parviennent à la mer d’Aral et aux alentours. Le recul des glaciers dans les montagnes environnantes, que l’on observe déjà, pourrait réduire à terme l’écoulement et soumettre la région à davantage de crues et de périodes de sécheresse.

La mer est maintenant composée de plusieurs formations aquatiques: la Petite mer d’Aral, qui a conservé à peu près le même niveau grâce à la construction d’un barrage, et la Grande mer d’Aral, elle-même constituée de deux parties indépendantes, une section assez profonde et stable à l’ouest et une section de moindre profondeur à l’est, dont la superficie a varié récemment. Il est crucial que les niveaux d’eau dans le lobe occidental de la Grande mer ne baissent pas si l’on veut garder le moindre espoir de préserver la mer en tant qu’écosystème naturel. Il faut en outre qu’un certain volume d’eau reste dans la partie orientale; si elle venait à s’assécher complètement, la zone couverte de poussière et de sable potentiellement dangereuse s’étendrait encore.

Le bassin de la mer d’Aral 3
Le bassin de la mer d’Aral 3

La diminution marquée de la taille et du volume de la mer (voir le graphique ci contre) a provoqué l’effondrement de la pêche commerciale, a réduit les sources d’eau potable et a entraîné la salinisation du sol et la multiplication des tempêtes de poussière due à la formation du désert artificiel appelé Aralkum. La coopération entre les pays situés en amont et en aval, la gestion concertée et la mise en valeur des ressources en eau sont indispensables pour répondre aux besoins futurs en matière d’eau, d’énergie, de nourriture et d’environnement. Plusieurs projets régionaux, telle la plantation d’arbres dans l’ancien fond marin, ont aidé au boisement de l’Aralkum et à la protection d’écosystèmes particuliers. La question est maintenant de savoir comment pérenniser ces activités afin d’améliorer la santé des écosystèmes et les moyens de subsistance de la population locale.

Impacts et interventions

La mer d’Aral a subi les effets de nombreux changements depuis 50 ans, dont une forte poussée démographique dans son bassin, le doublement des superficies irriguées et un déclin non viable des volumes d’eau qu’elle reçoit. Il en est résulté des modifications évidentes et navrantes, accompagnées d’impacts environnementaux, économiques et sociaux.

Aujourd’hui, le niveau d’eau dans les deux lobes de la Grande mer d’Aral varie selon les saisons, la pluviosité annuelle et les débits de l’Amou-Daria d’une année à l’autre, comme le montre la série temporelle d’images satellitaires, page 8. Une extension générale du lobe oriental apparaît de juin 2009 à juin 2013, tout comme la rétention d’eau dans le delta de l’Amou-Daria. On voit également l’ampleur des fluctuations du lobe oriental: il disparaît presque en 2012 mais s’étend sur plus de 10 000 km2 l’année suivante. La superficie de la Petite mer d’Aral est restée à peu près la même et certaines variations sont visibles dans le delta du Syr-Daria. Le volume total de la mer d’Aral était estimé à 98,1 km3 en 2010 (22,6 km3 pour la partie Nord, 75,5 km3 pour la partie Sud), chiffre qui devrait diminuer encore pour s’établir à 75,4 km3 d’ici à 2031, d’après les tendances observées dans les précipitations, les débits et l’évaporation.4 L’écoulement fluvial est passé de 47-70 km3/an avant les années 1960 à 3-20 km3/an. D’où l’importance des eaux souterraines pour alimenter le réseau fluvial et la population locale.

La réduction de superficie et de volume de la mer d’Aral a eu de profondes incidences sur l’environnement, les moyens de subsistance et les ressources économiques de la population établie dans cette partie de l’Asie centrale.

Variation de la superficie totale de la mer d’Aral au cours de certaines années entre 1960 et 2013 5
Variation de la superficie totale de la mer d’Aral au cours de certaines années entre 1960 et 2013 5
Images du spectroradiomètre MODIS à bord du satellite Terra de la NASA montrant l’évolution de la superficie de la mer d’Aral entre 2009 et 2013
Images du spectroradiomètre MODIS à bord du satellite Terra de la NASA montrant l’évolution de la superficie de la mer d’Aral entre 2009 et 2013

Des dizaines de milliers de personnes ont perdu leur emploi lorsque la pêche commerciale a décliné, dans les années 1980. Une partie de ces emplois, et des volumes de pêche, a été récupérée grâce à la stabilisation des niveaux dans la Petite mer d’Aral depuis une dizaine d’années et à la reconstitution des lacs environnants. À la fin des années 2000, la pêche produisait entre 2 650 et 3 000 tonnes de poissons, contre 52 tonnes seulement en 2004. Le détournement des eaux s’est avéré assez bénéfique d’un point de vue économique puisque les superficies irriguées, qui ne représentent que 10 % des terres agricoles en Ouzbékistan, sont à l’origine de plus de 95 % du produit agricole brut. Ce pays est l’un des plus grands producteurs de coton au monde. Quels qu’aient été les bienfaits, ils ont eu des répercussions sur la population locale et sur l’environnement.

Aridification et tempêtes de poussière

L’Aralkum est un désert de sable et de sel propice à la formation de tempêtes de poussière; il s’étend sur près de 60 000 km2, dont une grande partie est contaminée par les engrais provenant des terres agricoles.

La superficie des terres dénudées et salines autour de la mer d’Aral, type de surface qui présente le plus grand risque de tempêtes de poussière, est passée de 40 % en 2000 à 54 % en 2008. Cette expansion a aussi favorisé l’apparition d’un climat local plus aride, marqué par des étés plus chauds et des hivers plus froids.

On estime que les vents forts qui soufflent sur la région charrient entre 15 et 75 millions de tonnes de poussière et de sable contaminé chaque année. Les études ont montré que 13 tempêtes de poussière environ ont balayé la région de la mer d’Aral chaque année au cours de la période 2000-2009, transportant la poussière dans toutes les directions. Les nuages de sel et de poussière mesurent parfois 400 km de longueur et les particules les plus fines peuvent parcourir 1 000 km.

Les régions à forte densité de population situées dans le delta de l’Amou-Daria, au sud de la mer d’Aral, sont particulièrement vulnérables car elles se trouvent sous le vent par rapport à l’Aralkum. Les tempêtes de poussière nuisent à l’agriculture et à l’élevage. Les troubles respiratoires et rénaux augmentent au sein de la population locale et le manque de visibilité gêne la circulation aérienne et routière. Il convient d’étudier plus avant les conséquences de la modification de la couverture terrestre et de la hausse des teneurs en sel et en poussière, y compris les effets conjugués des tempêtes sur la santé des populations humaines et des écosystèmes. La multiplication des observations et des modèles des conditions météorologiques dans la région permettrait également de mieux quantifier les impacts.

Le boisement d’une grande partie de l’Aralkum atténuerait le stress écologique au sud de la mer d’Aral. L’expansion de la couverture végétale aiderait à réduire le nombre de tempêtes de poussière. Depuis une dizaine d’années, plusieurs organisations internationales ont lancé des projets de boisement dans la région, afin de stabiliser le sol de l’ancien fond marin asséché qu’occupe désormais l’Aralkum. Le Fonds international pour le sauvetage de la mer d’Aral (IFAS) mène actuellement un projet qui devrait accroître de 10 à 14 % le couvert forestier (40 000 ha environ) sur une partie du Kazakhstan, de l’Ouzbékistan et du Turkménistan. La poursuite des projets de boisement serait bénéfique pour l’environnement. La participation de la population locale rendrait ce genre de projets plus durables et moins coûteux à réaliser.

Eau potable

L’expansion de l’agriculture a accru l’emploi d’engrais et de pesticides, pratique qui a compromis la qualité des eaux souterraines et des eaux de surface, a contaminé les sédiments du fond marin et a provoqué une hausse des niveaux de la nappe. Selon les relevés effectués, les eaux souterraines se sont élevées de 2,5 mètres dans certains secteurs, y compris au Turkménistan, phénomène susceptible d’accentuer la salinisation du sol. La qualité de l’eau, en particulier l’eau potable, s’est détériorée en raison de l’augmentation de la salinité, de la contamination bactérienne et de la présence de pesticides et de métaux lourds. Des techniques de dessalement peu coûteuses et peu énergivores destinées à améliorer la qualité de l’eau potable n’ont toujours pas été mises au point ou largement adoptées en Ouzbékistan.

Diversité biologique

Le détournement du cours de l’Amou-Daria et du Syr-Daria n’a pas seulement abaissé le niveau des eaux dans la mer d’Aral; il a entraîné la disparition de deltas et de lacs plus petits qui étaient tributaires de ces deux fleuves, ainsi que d’habitats des rives telles les forêts tugai et les roselières. Le delta de l’Amou-Daria alimentait quelque 2 600 lacs dans les années 1960, seulement 400 en 1985. Les forêts tugai et les roselières recouvraient autrefois plus de 500 000 ha, il n’en reste aujourd’hui que 10 % environ; ces écosystèmes ont été remplacés par des terres agricoles irriguées ou ont disparu faute d’apport d’eau.

On a construit de nombreux lacs et réservoirs afin de restaurer l’écologie des deltas environnants. Les zones humides ont gagné en superficie et plusieurs oiseaux migrateurs y ont trouvé refuge. La diversité reste faible, mais certaines espèces d’oiseaux aquatiques ont étendu leur aire de reproduction le long des vallées de l’Amou-Daria et du Syr-Daria. Un projet de conservation achevé en 2011 a permis de créer la première réserve de la biosphère de l’Ouzbékistan, qui forme une zone protégée de 68 718 ha dans le Karakalpakstan. Elle favorisera la protection et l’utilisation durable des ressources de la diversité biologique, dont les forêts tugai.

Quelles mesures prendre?

La coopération transfrontière est nécessaire pour régler la question de l’utilisation future des ressources en eau par les pays situés en amont (le Kirghizistan et le Tadjikistan) et en aval (le Kazakhstan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan) dans le bassin de la mer d’Aral. Elle pourrait toutefois se heurter à des intérêts difficilement conciliables. Les tentatives de resserrement de la coopération transfrontière en matière de gestion de l’eau et des terres dans le bassin remontent au début des années 1970, lorsque les premiers signes de recul de la mer d’Aral sont apparus. La gestion intégrée des ressources en eau a été adoptée en Asie centrale, mais tous les principes ne sont pas parfaitement appliqués. Les questions cruciales qui se posent dans la région doivent être intégrées plus avant dans les cadres institutionnels afin d’encourager la coopération. L’échec de certaines tentatives a été imputé au manque de concertation régionale nécessaire pour exécuter des projets efficaces de restauration et de sensibilisation.

On a créé plusieurs comités, organisations et institutions et fait appel à des donateurs extérieurs pour remédier aux effets de l’assèchement de la mer d’Aral. Tout récemment, en 2013, la Conférence internationale de haut niveau sur la coopération dans le domaine de l’eau, qui s’est tenue au Tadjikistan, s’est penchée sur les questions de politique. L’ événement a mis en lumière les résultats d’un projet multi-institutions comportant un ensemble concret d’outils d’analyse des politiques dans les secteurs de l’eau, de l’agriculture et de l’énergie; ces outils ont été adoptés par tous les pays membres participants.

De tout temps, les pays du monde entier ont réussi à coopérer pour résoudre les problèmes de compétition transfrontière pour l’eau. Dans le bassin de la mer d’Aral, une telle compétition s’est soldée par l’assèchement de la mer et par une multitude d’effets néfastes sur la population, l’économie et l’environnement. Les écosystèmes et les moyens de subsistance tributaires de la mer d’Aral ne redeviendront peut-être jamais ce qu’ils étaient voilà 50 ans, mais il est possible qu’ils se régénèrent si la volonté politique s’affirme et si l’on prête suffisamment attention à la gestion des ressources en eau, à la santé des écosystèmes, aux ressources énergétiques et aux besoins humains.

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1 Auteur principal Lindsey Harriman, chercheuse en télédétection, Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) / Projet de base de données mondiale sur les ressources (GRID), Sioux Falls.

2 L’intégralité de cet article, avec toutes les références bibliographiques, est disponible dans la version électronique du bulletin du GEAS, à l’adresse: www.unep.org/geas.

3 Gaybullaev, B., Chen, S-C., Gaybullaev, D., «Changes in water volume of the Aral Sea after 1960», Applied Water Science, 2:285–291, 2012; Micklin, P. P., «The Aral Sea Disaster», Annual Review of Earth Plan. Sci., 35(4): 47-72, 2007; image satellite Landsat USGS/NASA; modèle altimétrique numérique USGS EROS; visualisation PNUE/GRID-Sioux Falls.Elevation Model from USGS EROS; visualization by UNEP/GRID- Sioux Falls.

4 Gaybullaev, B., Chen, S-C., Gaybullaev, D., «Changes in water volume of the Aral Sea after 1960», Applied Water Science, 2:285–291, 2012.

5 Sources: Niveau de l’eau en 1960: EC-IFAS, 2013; niveaux de l’eau en 1977, 1986, 1999, 2006 et 2013: calculs du PNUE/GRID-Sioux Falls à partir de la numérisation d’images satellitaires Landsat captées au cours de saisons similaires; les calculs excluent les masses terrestres; la ligne relie les points de données, elle n’illustre pas une tendance.


 

 
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