L’échange de données de l’OMM – Origines, histoire et impact

05 octobre 2021
  • Author(s):
  • Lars Peter Riishojgaard, John Zillman, Adrian Simmons and John Eyre

Si notre expérience quotidienne du temps est dominée par son impact local, le temps et le climat, eux, constituent des phénomènes véritablement mondiaux. On dit souvent que «Le temps et le climat ne connaissent pas de frontières», et un observateur se rendra rapidement compte que les systèmes météorologiques se développent et se déplacent sur la planète quelles que soient les frontières politiques. Les implications de cette donnée fondamentale sur la façon dont nous surveillons le temps et dont nous essayons de le comprendre et de le prévoir, sont profondes.

La science et la pratique de la météorologie reposent sur le constat que si nous pouvons d’une part décrire l’état actuel de l’atmosphère et de la surface sous-jacente et, d’autre part, connaître les lois physiques qui régissent leur comportement, nous pouvons, en principe, prévoir le temps et le climat futurs de manière à contribuer utilement à la sécurité et au bien-être de l’humanité. Depuis près de deux cents ans, nous savons que, si nous pouvons observer l’état actuel de l’atmosphère au-dessus de notre territoire national, nous pouvons prévoir le temps qu’il fera localement avec une certaine compétence pour quelques heures ou peut-être un jour à l’avance. Depuis près de cent ans, nous savons que, pour prévoir les conditions météorologiques pour plus de quelques jours dans un pays, nous devons avoir accès aux données atmosphériques de tous les autres pays du globe. L’atmosphère n’ayant pas de frontières géographiques, ce n’est que dans tous ses éléments qu’elle peut être comprise de manière exhaustive et, à notre époque moderne, simulée mathématiquement. Les prévisions météorologiques ou climatiques modernes sont donc le fruit d’une coordination internationale et d’une infrastructure mondiale – sans ces deux éléments, elles seraient impossibles.

Notre compréhension de la météorologie et de la science du système terrestre s’est développée au cours des XVIIIe, XIXe et XXe siècles, tout comme notre prise de conscience de la nécessité pour tous les pays d’accéder à des données mondiales et à des systèmes fiables de collecte des observations. La collecte de ces données a commencé avec l’invention du thermomètre et du baromètre au XVIIe siècle et n’a cessé de progresser sur le plan technologique, aboutissant aux solutions spatiales essentielles d’aujourd’hui. L’histoire de l’échange de données de l’OMM est une histoire remarquable reposant sur une vision scientifique, le développement technologique et la prestation de services et, par dessus tout, sur un système unique de coopération entre institutions, disciplines scientifiques et gouvernements nationaux pour le bien de tous.

Histoire de l’échange de données

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Figure 1. Douzième Congrès météorologique mondial, 1995 (de gauche à droite): M. A.S. Zaitsev, Sous‑Secrétaire général; M. J.W. Zillman, Premier Vice‑Président; M. Zou Jingmeng, Président; M. G.O.P. Obasi, Secrétaire général et M. M.J.P. Jarraud, Secrétaire général adjoint (OMM/Bianco).

L’histoire du partage international des données météorologiques remonte aux fondements de la science humboldtienne du début du XIXe siècle (Wulf, 2015), à l’héritage de l’échange de données orienté vers les applications de la Conférence de Bruxelles de 1853 (Maury, 1855) et aux origines de l’Organisation météorologique internationale (OMI), qui a précédé l’OMM créée en 1873. L’OMI a mis en place un cadre international particulièrement efficace permettant à tous les pays d’obtenir des observations issues d’autres pays et de navires en mer à des fins de recherche et en vue de la fourniture de services météorologiques et climatologiques à leurs communautés nationales.

La nécessité de renforcer et d’étendre l’échange international de données, tant en matière de recherche que d’applications pratiques, a été au cœur du remplacement de l’OMI non gouvernementale par l’OMM intergouvernementale. L’échange de données a été défini comme un objectif central de l’OMM dans sa Convention de 1947. Le nouveau cadre de l’OMM a été renforcé au cours de ses deux premières décennies d’existence par les systèmes spéciaux de collecte de données mis en place pour l’Année géophysique internationale de 1957, puis, de façon plus ambitieuse, par le lancement en 1967 de la Veille météorologique mondiale (Davies, 1990) et du Programme de recherches sur l’atmosphère globale (GARP).

La mise en œuvre dans les années 1970 de la Veille météorologique mondiale et du GARP a permis aux Services météorologiques nationaux (SMN) de renforcer considérablement leur collecte et leur échange de données ainsi que leurs activités de recherche, de modélisation et de prévision. Ces progrès leur ont donné les moyens d’appuyer un large éventail de services météorologiques publics et privés, ce qui s’est traduit par d’importantes retombées économiques et sociales pour les pays. Toutefois, la tendance des années 1980 à la privatisation des services publics, dont la fourniture avait été précédemment assurée comme un service d’intérêt général, est allée de pair avec l’intensification de pressions visant à la commercialisation des services météorologiques publics des SMN dans plusieurs pays. Il en a résulté une concurrence avec le secteur privé, des tensions entre les SMN qui travaillaient auparavant dans un esprit de coopération et des frais d’accès aux données jusque-là librement échangées au titre de la recherche.

La question de la commercialisation a fait irruption sur la scène de la communauté météorologique internationale à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Malgré tous les efforts du Conseil exécutif de l’OMM, le Congrès météorologique mondial de 1995 a été confronté à la perspective d’une interruption totale de l’échange international de données et à une guerre mondiale des données météorologiques (OMM, 2019). Les délégations étaient divisées entre celles qui estimaient qu’en l’absence d’un libre échange des données, la coopération météorologique internationale s’effondrerait et celles qui considéraient que la commercialisation des données était souhaitable (ou inévitable) et qu’il fallait trouver un nouveau régime international en matière de données. Après de longues et difficiles négociations, les Membres de l’OMM sont parvenus à un consensus sur le fait que la politique et la pratique traditionnelles de «l’échange international, libre et sans restriction, des données et des produits météorologiques et connexes» étaient trop avantageuses pour l’ensemble de la planète et trop importantes pour être mises en péril. Le Congrès a adopté à l’unanimité la résolution 40, affirmant que le libre échange des données «essentielles» est un «principe fondamental» de l’OMM (voir la figure 1).

La mise en œuvre de la résolution 40 s’est avérée difficile pour l’OMM et beaucoup de pays, et l’on s’est vite rendu compte qu’elle ne couvrait pas entièrement nombre d’aspects de l’échange de données: parmi eux, l’existence de plusieurs catégories de données «supplémentaires» nécessaires à la prévision météorologique nationale, ainsi que la question des données hydrologiques et océanographiques et des nombreux types de données nécessaires à des fins climatologiques. En temps utile, la question de l’échange de données hydrologiques a été traitée par la résolution 25 du Congrès de 1999, celle des données océanographiques par l’Assemblée de la Commission océanographique intergouvernementale de 2003 et celle des données climatologiques, ultérieurement, par la résolution 60 de l’OMM.Toutefois, si la résolution 40 a rétabli et renforcé l’engagement pris à l’échelon mondial en faveur de l’échange international libre et sans restriction des «données météorologiques et connexes», elle a fait de plus en plus prendre conscience à la communauté de l’OMM qu’il était nécessaire de mettre en place un cadre stratégique plus solide et unifié pour l’échange international de toutes les données du système Terre. Les origines et les débuts du système d’échange de données de l’OMM ainsi que la négociation et l’impact de la résolution 40 font l’objet d’une présentation synthétique dans Zillman (2019, 2021) et OMM (2019).

Émergence et expansion de la prévision numérique du temps à l’échelle mondiale

Les principes de base de la prévision numérique du temps (PNT) ont été énoncés parVilhelm Bjerknes (1904), qui a conclu à la nécessité d’appliquer des méthodes de physique dynamique aux tâches fondamentales menées aux fins de déterminer l’état initial de l’atmosphère et de l’évolution de l’atmosphère d’un état à un autre. Ses travaux ont eu une influence considérable sur une étude remarquable de Lewis Fry Richardson (1922), qui a exposé en détail une série complète d’équations directrices et le processus numérique permettant leur résolution. Le schéma de Richardson était «complexe parce que l’atmosphère est complexe», et dépassait de loin le cadre de toute application pratique à l’époque.

L’avènement des ordinateurs électroniques dans les années 1940 a permis pour la première fois de résoudre numériquement une équation beaucoup plus simple (Charney et al., 1950) et, ultérieurement, d’élaborer des solutions plus rapidement que les conditions météorologiques réelles – une condition préalable à l’application de la PNT à la prévision opérationnelle. Au départ, les progrès ont été lents. Les systèmes de PNT n’ont été en mesure de surpasser les prévisionnistes humains de manière cohérente et convaincante qu’à partir des années 1970.

C’est le 18 septembre 1974, aux États-Unis d’Amérique, que la PNT est devenue opérationnelle à l’échelle mondiale (Dey, 1989). Elle a été rendue possible grâce à l’échange international de données émanant des systèmes d’observation à partir du sol de la Veille météorologique mondiale, et à la disponibilité de données provenant de satellites américains: sondages de la température à l’échelle mondiale à partir d’orbites polaires et vents régionaux estimés sur la base du suivi des nuages observés depuis des orbites géostationnaires. Elle s’est appuyée sur le développement préalable d’une modélisation atmosphérique mondiale et sur une méthode d’analyse des données d’observation visant à produire les conditions de départ nécessaires au modèle de prévision. Le rôle joué par l’augmentation de la puissance des ordinateurs a été également décisif.

Le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT) a été créé dans les années 1970 compte tenu des avantages potentiels d’une mise en commun des ressources informatiques et d’une mutualisation de l’expertise scientifique. Le CEPMMT est devenu le deuxième centre fournisseur de prévisions opérationnelles à l’échelle mondiale le 1er août 1979. Le Met Office du Royaume-Uni et la Marine américaine ont suivi en 1982. Aujourd’hui, l’OMM compte neuf centres météorologiques régionaux spécialisés (CMRS) chargés de la PNT déterministe à l’échelle mondiale dans le cadre de son Système mondial de traitement des données et de prévision (SMTDP). Le SMTDP coordonne la préparation en matière d’analyse et de prévision météorologiques et met à disposition du monde entier les données ainsi traitées. Au cours des dernières décennies, les CMRS ont considérablement accru le nombre et amélioré la qualité des produits mis à disposition, permettant à tous ceux qui fournissent des données d’observation de bénéficier des analyses et des prévisions appuyées par leurs observations.

Les produits de prévision mondiale mis à disposition depuis de multiples sources et à de multiples heures de départ ont joué un rôle important concernant l’estimation de la marge d’erreur des prévisions et la possibilité de conditions météorologiques extrêmes. À ces produits se sont ajoutées d’abondantes informations issues des systèmes de prévision d’ensemble. Ces derniers viennent compléter la seule prévision «déterministe» par une série de prévisions à résolution généralement plus faible, qui sont perturbées pour représenter des incertitudes liées aux conditions de départ et aux processus physiques du modèle de prévision. La prévision d’ensemble a été introduite pour la première fois de manière opérationnelle en Europe et aux États-Unis en décembre 1992. Huit des neuf CMRS pour la PNT déterministe à l’échelle mondiale entrent également dans la catégorie des CMRS pour la PNT d’ensemble à l’échelle mondiale.

Les systèmes de PNT à zone limitée qui sont exploités par de nombreux pays bénéficient également de l’échange mondial de données. Bien que ces systèmes ne nécessitent que des données d’observation ayant trait aux domaines qu’ils couvrent, des valeurs précisées aux frontières des domaines sont nécessaires pour la durée de la prévision. Ces valeurs limites sont généralement fournies par les systèmes mondiaux.

Évolution du système mondial d’observation

Les systèmes d’observation ont considérablement évolué au cours des quelque soixante-quinze dernières années. Les mesures en altitude effectuées par le réseau de radiosondes, développé dans les années 1940 et 1950, ont constitué un complément essentiel aux observations de surface réalisées par les stations terrestres et les navires. Les observations d’aéronef sont devenues disponibles en grand nombre dans les années 1970, et le déploiement d’une grande quantité de bouées océaniques dérivantes a commencé en 1979. Par la suite, et grâce à une meilleure instrumentation, beaucoup de ces types d’observation ont vu leur qualité s’améliorer et sont aujourd’hui disponibles en bien plus grande quantité, du fait surtout d’une automatisation accrue et de la volonté et de la capacité des Membres de l’OMM de les transmettre à l’échelle mondiale.

Les premières images satellitaires de modèles météorologiques ont été obtenues dans les années 1960, mais les observations satellitaires pour la PNT ont connu une évolution majeure dans les années 1970. La mesure opérationnelle des luminances énergétiques sensibles à la température et à l’humidité a commencé fin 1972. Les mesures de la luminance énergétique à partir de l’orbite polaire et l’évaluation du vent à partir de l’orbite géostationnaire se sont plus tard perfectionnées au cours de la décennie. Depuis, une meilleure couverture orbitale, un nombre croissant d’opérateurs, de meilleurs instruments et davantage de types de mesures ont suivi, décennie après décennie. Aujourd’hui, les données d’environ 90 instruments satellitaires sont traitées par la composante atmosphérique du système de prévision du CEPMMT.

De plus, les mesures in situ et à partir de l’espace sont à présent utilisées régulièrement pour déterminer les conditions de départ des modèles océaniques qui sont couplés aux modèles atmosphériques pour la prévision sur une étendue croissante d’échelles de temps. La plus grande sophistication des représentations des modèles de prévision des terres émergées, y compris les aspects hydrologiques, et de la composition de l’atmosphère accroît encore le besoin de données d’observation et de leur échange international, mais permettent également l’échange d’un ensemble plus large de produits de données dérivés.

 Variation dans le temps des mesures.pngFigure 2. Variation dans le temps des mesures de la précision des prévisions du CEPMMT à l’horizon de trois, cinq et sept jours. En haut: moyennes mobiles sur 731 jours des corrélations d’anomalies des prévisions à 500 hPa pour les hémisphères Nord et Sud extratropicaux pour les prévisions opérationnelles effectuées du 1er janvier 1981 au 30 juin 2021. En bas: valeurs correspondantes pour les régions englobant l’Europe et l’Australie/Nouvelle‑Zélande, à partir des prévisions faites a posteriori deux fois par jour à partir des réanalyses ERA5 réalisées du 1er janvier 1950 au 30 juin 2021. Les résultats ERA5 sont présentés pour deux régions où la disponibilité des données de radiosondage rend les analyses de vérification (également tirées d’ERA5) plus fiables que celles effectuées pour l’ensemble des hémisphères dans les années antérieures à la disponibilité des données satellitaires.

Utilisation des observations et amélioration des prévisions

Maintes observations sont utilisées et réutilisées de nombreuses fois. Les centres de prévision utilisent les observations pour initialiser plusieurs types de prévisions, évaluer la qualité des prévisions, étalonner les produits ainsi qu’élaborer et expérimenter des améliorations apportées aux systèmes de prévision. Cela passe à la fois par une utilisation directe et le recours à des analyses ou à des réanalyses basées sur ces observations.

La figure 2 montre l’amélioration dans le temps des prévisions du CEPMMT pour les trois, cinq et sept jours suivants. La partie supérieure de la figure affine et met à jour les éléments d’une figure publiée pour la première fois par Simmons et Hollingsworth (2002). Elle montre que les prévisions opérationnelles concernant l’hémisphère Sud étaient en moyenne nettement plus médiocres que celles concernant l’hémisphère Nord jusqu’au début des années 1980, qu’il s’en est suivi une période de vingt ans au cours de laquelle elles se sont considérablement améliorées pour l’hémisphère Sud et que depuis les années 2000, cette amélioration intéresse les deux hémisphères.

La partie inférieure de la figure montre les résultats obtenus à partir de 1950 pour les prévisions faites à partir des réanalyses ERA5 (Hersbach et al., 2020, pour plus d’informations sur les réanalyses voir l’article 5). En l’occurrence, les résultats présentés concernent l’Europe et l’Australie/Nouvelle-Zélande car la disponibilité des données de radiosondage rend les analyses de vérification (également tirées d’ERA5) plus fiables pour ces régions par rapport à celles de l’ensemble des hémisphères, surtout au cours de la période ayant précédé l’utilisation de satellites. Cette partie inférieure montre qu’en matière de qualité, les prévisions ERA5 concernant les deux régions étaient en grande partie similaires à compter de 1979. Néanmoins, on observe une amélioration assez régulière des prévisions ERA5 à compter de 1979 du fait de la disponibilité et de la qualité accrues des données d’observation. Une meilleure utilisation des données d’observation et une meilleure modélisation expliquent principalement les améliorations opérationnelles des années 1980 et 1990. Les progrès ont été légèrement plus importants pour l’hémisphère Sud que pour l’hémisphère Nord pendant une certaine période autour de 2000, ce qui suggère un impact plus important des nouveaux instruments satellitaires introduits à cette époque.

La très grande amélioration des prévisions ERA5 pour l’Australie et la Nouvelle Zélande vers 1979 est le résultat de l’évolution des systèmes d’observation spatiaux et in situ réalisés pour l’Expérience météorologique mondiale du Programme de recherches sur l’atmosphère globale (GARP) en 1979, et dont la pérennité a été assurée par la suite. L’amélioration due aux changements apportés aux systèmes d’observation dans les années 1960 et 1970 est également manifeste pour cette région. Si les prévisions pour l’Europe antérieures à 1979 étaient généralement d’une qualité plus proche de celle des années ultérieures, une amélioration a cependant marqué les années 1950, lorsque l’expansion de la couverture par radiosonde s’est également traduite par l’achèvement des réseaux de navires météorologiques océaniques, de même que les années 1970, lorsque les premiers sondages opérationnels depuis l’espace ont été suivis par les perfectionnements apportés aux systèmes d’observation dans le cadre du GARP.

Les prévisions relatives aux tropiques sont plus problématiques que celles qui sont extratropicales. Les approximations auxquelles il est fait recours dans la PNT ont été élaborées pour le temps aux latitudes moyennes et certaines d’entre elles sont sujettes à caution sous les tropiques. De plus, les phénomènes qui se produisent à des échelles spatiales inférieures à celles qui peuvent être résolues par le modèle jouent un rôle beaucoup plus important sous les tropiques que sous les latitudes tempérées. La couverture des données d’observation, en particulier pour les observations in situ réalisées en altitude, est faible dans la plupart des régions tropicales, notamment dans les pays en développement. Le manque d’observations en altitude est un problème grave – les observations de radiosondage relativement peu nombreuses qui sont disponibles sous les tropiques ont des répercussions disproportionnellement importantes sur les capacités de la PNT, preuve que le système ne dispose pas d’assez de données en la matière. Le manque d’observations de surface limite considérablement la possibilité de vérifier la qualité des prévisions météorologiques réelles, par opposition aux capacités offertes par les résultats de la PNT.

Il existe néanmoins des points positifs dont, au premier chef, l’amélioration des prévisions des cyclones tropicaux et l’efficacité des mesures prises en conséquence pour protéger les vies et limiter les dégâts matériels. Les prévisions officielles du Centre national des ouragans des États-Unis, par exemple, s’appuient systématiquement sur les produits mis à disposition par cinq centres de prévision météorologique mondiaux (dont trois non américains) et trois systèmes régionaux. L’amélioration des prévisions de trajectoire pour le bassin Atlantique (voir la figure 3) observée au cours des trente dernières années a été considérable. D’autres améliorations, indéniables bien que plus modestes, ont également été apportées aux prévisions d’intensité durant la même période.

Erreur moyenne de position
Figure 3. Erreur moyenne de position par année (en km) dans les prévisions officielles du Centre national des ouragans des États‑Unis d’Amérique pour le bassin Atlantique, de 1990 à 2020 (adapté de Cangialosi, 2021)

Observations pour l’analyse climatologique et mise en œuvre du SMOC

Moyennes décennales des estimations.png

Figure 4. Moyennes décennales des estimations de la température moyenne mondiale de surface d’après six ensembles de données, exprimées en tant que variation au cours de l’ère industrielle. Deux ensembles de données (ERA5 et JRA‑55) utilisent l’analyse des données synoptiques de la température de l’air en surface; les quatre autres s’appuient sur l’analyse des données moyennes mensuelles des stations. Pour plus de détails

Les observations utilisées pour la PNT servent également à surveiller, comprendre, modéliser et prévoir le climat. En général, les applications climatologiques nécessitent des observations plus complètes du système Terre et il existe une grande variété de dispositifs institutionnels pour réaliser et traiter ces observations. Le Système mondial d’observation du climat (SMOC) a été officiellement établi en 1992 en tant que cadre international, interinstitutions et interdisciplinaire dans le but de garantir la disponibilité d’informations complètes sur l’ensemble du système climatique (Houghton et al., 2012). Le SMOC a défini un ensemble de variables climatologiques essentielles (VCE; Bojinski et al., 2014) qui sont nécessaires à la caractérisation du système climatique et de ses variations et dont l’observation est techniquement réalisable et abordable, en s’appuyant principalement sur des systèmes d’observation coordonnés au moyen d’une technologie éprouvée. Ainsi, ils peuvent tirer parti, dans la mesure du possible, des ensembles de données historiques. Le SMOC a également évalué régulièrement l’état des observations du climat mondial et les besoins de mise en œuvre, en faisant rapport à l’OMM et à ses autres organismes de parrainage1, ainsi qu’aux Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques.

L’échange international de données pour les applications climatologiques est nécessaire pour les observations historiques comme pour les observations actuelles. Divers facteurs peuvent mener à penser que certaines des données et produits d’observation les plus récents ne sont disponibles qu’avec un certain retard. Tel est le cas des rapports mensuels de données climatologiques (CLIMAT) provenant des stations d’observation, qui jouent un rôle important pour prolonger l’enregistrement de la variation de température depuis le XIXe siècle. Néanmoins, les données météorologiques et connexes disponibles en temps voulu pour les prévisions météorologiques sont également utilisées en quelques jours tout au plus dans le cadre de l’extension des réanalyses à objectifs multiples. Ces réanalyses fournissent, par exemple, des mises à jour rapides de l’enregistrement des données sur la température, établi à partir des données mensuelles des stations (et des observations des températures de la mer) pour les décennies précédentes (voir la f igure 4). En plus de fournir un ensemble beaucoup plus complet d’enregistrements mensuels de la variabilité du climat et de son évolution, les réanalyses complètent les données quotidiennes des stations dans la mesure où elles recensent et caractérisent les phénomènes météorologiques extrêmes au sujet desquels il existe une demande forte et urgente d’informations publiques, notamment en ce qui concerne le rôle des changements climatiques. L’échange de produits de données issus de réanalyses (voir l’article 5) est devenu plus ouvert au fil des ans, depuis le début de cette activité dans les années 1990, ce qui apporte un avantage supplémentaire à ceux qui fournissent les données d’observation sur lesquelles les produits sont basés.

Conception des réseaux d’observation

À partir de 1995, l’OMM a mis en place le processus d’étude continue des besoins en matière d’observation: 

  • Les besoins en matière d’observation sont évalués pour chacun des 14 domaines d’application (actuels) qui couvrent l’ensemble des activités de l’OMM.
  • Les capacités des systèmes d’observation actuels et prévus, de surface et dans l’espace, sont également évaluées.
  • Les besoins et les capacités sont comparés, et les lacunes actuelles ou prévues en matière de capacités sont recensées.
  • Sur la base de cette analyse des lacunes, une vision du futur système d’observation est élaborée, ainsi qu’un plan d’action pour mettre en œuvre cette vision.

Le processus d’étude continue des besoins s’appuie largement sur l’expérience tant des experts en application que des experts en technologie.

Si, depuis toujours, le processus d’étude continue des besoins s’est efforcé de faire intervenir tous les domaines d’application couverts par les programmes de l’OMM, les progrès ont été plus rapides dans certains domaines. Grâce à des liens étroits avec le SMOC, les besoins en matière de surveillance du climat ont toujours été bien représentés. Toutefois, depuis l’origine, c’est la PNT à l’échelle mondiale qui a constitué le principal domaine d’application sur lequel a été axé le processus d’étude continue des besoins. La communauté de la PNT bénéficiait déjà d’une bonne coordination, et ses besoins en matière d’observations étaient assez bien connus. Depuis les années 1990, cette communauté a su définir ses besoins pour une gamme de données satellitaires de plus en plus vaste, initialement par une coordination entre, d’une part, les centres de PNT d’Europe et d’Amérique du Nord et, d’autre part, les agences spatiales respectives. Cette coordination a évolué vers une coordination entre tous les grands centres mondiaux de PNT et les agences spatiales, sous l’égide du forum Global Observation Data Exchange (GODEX), avec la participation du Secrétariat de l’OMM.

La coordination en matière d’échange d’observations de surface s’est avérée plus difficile. Cette difficulté s’explique en partie par le grand nombre d’entités concernées – 193 Membres de l’OMM, par opposition à un petit nombre d’agences spatiales – et en partie par l’absence d’un lobby puissant et bien organisé derrière ces systèmes d’observation. Dans de nombreuses régions du monde, notamment dans les pays en développement, la couverture des données d’observation a diminué au cours des vingt dernières années, même si les besoins de ces données continuent d’être activement soutenus. En raison principalement du processus d’étude continue des besoins, l’OMM prend maintenant des mesures grâce à la mise en place du Réseau d’observation de base mondial (ROBM), dans le cadre duquel le réseau d’observation en surface nécessaire pour soutenir la PNT et la réanalyse du climat à l’échelle mondiale est conçu et défini au niveau mondial. La réglementation du RBOM comprendra des objectifs quantitatifs pour les variables mesurées et pour la résolution temporelle et spatiale minimale, et les échanges internationaux seront obligatoires.

Conclusions

Près de soixante années d’échange de données dans le cadre de la Veille météorologique mondiale de l’OMM ont montré le pouvoir et les avantages considérables d’une collaboration mondiale à la compréhension et à la prévision de la diversité des phénomènes météorologiques ainsi qu’en matière de réponses à y apporter. Au cours de cette période, la prévision météorologique, qui était au départ une niche intéressant surtout les marins, les aviateurs, les agriculteurs et les amateurs de plein air, a été reconnue comme une nécessité collective et un droit pour la quasi-totalité des secteurs de l’économie, et son utilisation comme inhérente à la vie quotidienne de presque tous les habitants de la planète. De nombreuses pratiques issues de la météorologie ont trouvé leur place dans des disciplines adjacentes, et beaucoup d’entre elles travaillent en étroite collaboration avec la communauté météorologique. L’OMM est en train de mettre à jour sa politique en matière de données pour répondre à cette évolution, et les moteurs de cette mise à jour et ses effets escomptés seront illustrés plus en détail dans la suite de ce numéro.

 

Par Lars Peter Riishojgaard, Secrétariat de l’OMM, John Zillman (Australie), ancien Président de l’OMM (1995-2003), Adrian Simmons, Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT) et John Eyre, Service météorologique du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (Met Office)

 

References:

Maury, M.F., 1855. The Physical Geography of the Sea and its Meteorology. Harvard University Press, Cambridge, 432pp.
Wulf, A., 2015. The Invention of Nature. John Murray, London, 473pp.
WMO, 2019. Origin, Impact and Aftermath of WMO Resolution 40. WMO-No. 1244, Secretariat of the World Meteorological Organization, Geneva, 23pp. 
Bjerknes, V., 1904: Das Problem der Wettervorhersage, betrachtet vom Standpunkte der Mechanik und der Physik (The problem of weather prediction, considered from the viewpoints of mechanics and physics). Meteorol. Z. 21,1–7. (translated and edited by Volken E. and S. Brönnimann. Meteorol. Z. 18 (2009), 663–667).
Charney, J.G, R. Fjörtoft and J. von Neumann, 1950: Numerical integration of the barotropic vorticity equation. Tellus 2, 4, 237-254.
Richardson, L.F., 1922: Weather prediction by numerical process. Cambridge University Press, 236pp.
Zillman J.W., 2019. Origin, impact and aftermath of WMO Resolution 40. WMO Bulletin, 68, 2, 69-71.
Zillman J.W., 2021. Origin of international meteorological data exchange and WMO Resolution 40. Bulletin of the Australian Meteorological and Oceanographic Society, 34, 3, Special Issue October 2021.


[1]  La Commission océanographique intergouvernementale de l’UNESCO, le Programme des Nations Unies pour l’environnement et le Conseil international des sciences.

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