Les services agrométéorologiques face aux changements climatiques ou l’actualisation d’anciennes stratégies

01 avril 2008

par Kees Stigter*



Le présent article s’inspire d’une communication présentée le 30 novembre 2007 lors d’une réunion consacrée aux solutions que l’agrométéorologie peut offrir face aux changements climatiques, organisée dans le cadre du Premier Congrès venezuelien et de la Cinquième réunion latino-américaine sur la météorologie agricole qui se sont tenus simultanément à Maracay (Venezuela) sous le patronage de l’OMM, et dont l’objectif général était l’amélioration des services agrométéorologiques en Amérique latine par le développement du dialogue avec les usagers.

Introduction

Toutes les informations agrométéorologiques ou agroclimatologiques qui contribuent directement à préserver ou à améliorer les moyens de subsistance des agriculteurs font partie intégrante des services agrométéorologiques. Ces services permettent notamment d’augmenter le rendement des cultures (en termes de quantité, de qualité et de revenu) et de préserver les ressources agricoles de base (voir notamment Stigter, 2007a)).

Pour résoudre les problèmes auxquels les agriculteurs sont aujourd’hui confrontés, il faut développer les applications pratiques de toutes les connaissances disponibles. Il s’agit d’intégrer aux services agrométéorologiques proprement dits savoir local, expertise scientifique et stratégies appropriées pour permettre aux producteurs de prendre des décisions en connaissance de cause quels que soient les changements ou les conditions climatiques qu’ils aient à affronter (voir Stigter, 2006).

Dans les pays en développement ou en transition, l’aide aux agriculteurs les plus pauvres devrait incomber en tout premier lieu au gouvernement. L’action gouvernementale peut toutefois être complétée par celle des ONG qui devraient se voir confier la gestion des domaines qui les concernent plus particulièrement.

L’expérience a montré la nécessité de tout mettre en œuvre pour préserver les moyens d’existence des agriculteurs. Si l’on veut que les services agrométéorologiques continuent à remplir leur mission, les actions engagées en ce sens devraient être financées, planifiées et régulièrement évaluées par le biais de la formation d’agents de vulgarisation servant d’intermédiaires entre les agriculteurs et les prestataires de services. L’organisation de cours de formation pour agriculteurs dans le domaine du climat apparaît ainsi comme une initiative des plus prometteuses dans le contexte des changements climatiques, lesquels suffisent à justifier la mise en œuvre de telles actions (voir notamment Stigter, 2007b)).

Les fonctionnaires des SMHN, les instituts de recherche et les universités pourraient faire en sorte que les produits et avis météorologiques fournis soient mieux adaptés aux besoins des utilisateurs. Les autres acteurs concernés, tels les agents de vulgarisation, pourront avoir le statut de fonctionnaire ou dépendre d’une ONG selon la politique suivie par les responsables de l’initiative: gouvernements, instituts, ONG ou exploitants agricoles.

La formation d’agents de vulgarisation, l’organisation de cours de formation à l’intention des agriculteurs et l’élaboration de produits mieux adaptés aux besoins sont autant de nouveaux éléments qu’il convient aujourd’hui d’intégrer aux services agrométéorologiques. Pour réussir cette actualisation, il faut garder à l’esprit les inégalités existantes entre les agriculteurs (voir notamment Stigter, 1999; Lemos et Dilling, 2007), évaluer les besoins de façon plus juste, prendre en compte les nouveaux besoins (voir notamment Stigter, 2007c) et mettre l’accent sur les stratégies préventives (Rathore et Stigter, 2007).

Gestion des cultures en fonction des conditions météorologiques réelles ou agriculture réactive

Origine

Le concept d’«agriculture réactive» en tant que premier ensemble de services agrométéorologiques a été créé et développé par Stewart (années 80 pour la fondation WHARF) et défendu notamment par Gommes (notamment en 2004 pour la FAO), Stigter (dans Olufayo et al., 1998, dans Stitger, 1999, et dans KNMI, 2006, pour la CMAg/OMM) et Weiss et al. (2000). Gommes suggérait de recourir aux techniques modernes d’analyse et de transmission de données.

Organisation

La transmission en temps voulu de services et d’informations adaptés joue un rôle essentiel dans la prise de décisions stratégiques. Les méthodes traditionnelles, déjà utilisées au sein des systèmes d’exploitation agricole concernés, sont peut-être les plus appropriées. En effet, les autres méthodes ne semblent pas encore suffisamment bien organisées dans le cadre des services météorologiques (Stigter et al., 2005).

Développement durable et changements climatiques sont-ils conciliables? De fait, les changements climatiques et la variabilité croissante du climat constituent un sérieux obstacle à la mise en place d’un développement durable. Il convient d’élaborer des stratégies d’adaptation originales ou mieux appropriées qui intègrent les particularités propres aux différents systèmes d’exploitation. S’agissant d’agriculture réactive, l’approche demeure la même mais il faut désormais tenir compte de la plus grande variabilité des conditions météorologiques et des types d’exploitation. Les principes, l’organisation, le rôle de la recherche, les moyens de communication, les stratégies en matière d’éducation et de vulgarisation, etc., demeurent identiques mais pourraient se voir compliqués par les changements climatiques.


Adapter les périodes de culture à la fluctuation des conditions météorologiques

Le plus vieux moyen de faire face à la variabilité du climat est d’adapter la gestion des cultures aux conditions météorologiques réelles. Que l’on se fonde sur les prévisions locales disponibles ou que l’on s’adapte au jour le jour à l’évolution des conditions, la souplesse et la réactivité des systèmes d’exploitation agricole face au rythme des changements sont un élément constant de ce type de stratégie.

L’adaptation en continu aux fluctuations des conditions météorologiques, à un rythme plus ou moins rapide, fait partie de la tradition et on en trouve de nombreux exemples dans le cadre des stratégies d’ajustement et de sécurité alimentaire. En réalité, ces stratégies peuvent être considérées comme les plus anciens exemples d’agriculture réactive au sens le plus direct du terme (Stigter et al., 2005). Il n’y a cependant pas d’espoir que ces méthodes d’ajustement traditionnelles puissent être améliorées vu le contexte de changement rapide dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui. Le seul moyen de progresser est de les associer à des approches météorologiques ou climatologiques plus scientifiques.

field  

Des nomades avec leurs animaux et des agriculteurs sédentaires se côtoient sur des terres protégées par des brise-vent à Yambawa, au nord du Nigéria.
L’ identification des besoins propres à chacun et la prise en compte de la complémentarité de leurs modes de vie seront le seul moyen d’éviter les conflits dans le contexte des changements climatiques.
(Kees Stigter)

 

Méthodologie

L’agriculture réactive consiste à déterminer et à quantifier, sur la base de statistiques ou par d’autres moyens, les variations saisonnières des précipitations, la mesure dans laquelle il est possible de les prévoir et les risques associés, lesquels sont gérés à l’échelle de chaque exploitation. On présuppose que certains problèmes peuvent être résolus grâce à l’amélioration des prévisions relatives aux variations des précipitations durant la saison de culture. Il s’agit d’adapter les cultures à la saison des pluies en cours par l’orientation des activités agricoles, en s’appuyant sur les expériences passées, et de préférence sur l’interprétation des relevés météorologiques relatifs aux précipitations, et, le cas échéant, sur les connaissances traditionnelles.

Les informations susceptibles d’intéresser les agriculteurs concernent notamment le début des précipitations, les quantités totales et la durée (irrégularités, y compris la détermination des périodes de sécheresse), l’intensité des précipitations, la fréquence des jours de pluie, la moyenne journalière, la répartition selon les saisons, l’arrêt des précipitations, etc. La variabilité du climat et son influence sur le régime des précipitations étant appelées à s’accentuer, il faudra tenir compte de ces nouvelles conditions en limitant la période de temps prise pour référence et en adaptant l’information aux divers types de sols et à la topographie locale (Stigter et al., 2005).

Applications

Certains organismes multilatéraux demandent avec insistance que les prévisions climatiques soient mises à la disposition des petits exploitants et les stratégies de prévention des catastrophes, qu’elles soient élaborées par les gouvernements ou par les ONG, commencent à prendre en compte ces prévisions. Nombreux sont ceux qui auraient intérêt à leur voir assigner une valeur économique. Toutefois, des études de terrain conduites récemment montrent qu’il existe un très grand décalage entre les besoins des petits exploitants et les informations qui leur sont transmises par les services météorologiques. Les stratégies de prévention des risques pour les systèmes de production relevant de l’agriculture durable à faibles intrants externes (LEISA) se heurtent au problème de l’adaptation des prévisions (Stigter et al., 2005).

Extension de la définition

Nous nous sommes jusqu’ici focalisés sur l’adaptation des cultures aux variations des précipitations mais la gestion des catastrophes météorologiques ou climatiques et des dégâts occasionnés aux sols (voir notamment Rathore et Stigter, 2007) de même que l’exploitation de moments favorables (conditions météorologiques ou climatiques propices, état des sols) sont d’autres manières de faire face aux conditions réelles.

Les conseils relatifs à la gestion ou à la manipulation de microclimats au-dessus ou au-dessous du sol, en vue d’obtenir des améliorations sensibles, relèvent également des services agrométéorologiques et concernent l’ombrage, la protection contre le vent, le paillis et d’autres modifications en surface, le séchage, le stockage, la protection contre le gel, etc. (voir notamment Stigter, 2007d)).

Mon propos était ici de montrer comment les services agrométéorologiques pouvaient permettre de faire face à la variabilité du climat. Les changements climatiques génèrent des difficultés dans l’organisation des stratégies de gestion de l’agriculture réactive au sens large mais la prise en compte des besoins propres aux divers types d’exploitants et de systèmes agricoles est au cœur des solutions qui peuvent être apportées par les services agrométéorologiques dans le contexte des changements climatiques.

men in field Stockage enterré du sorgho à Sennar (centre du Soudan). Pour faire face aux changements climatiques, on a dû étudier dans quelle mesure il serait possible d’étendre la période de stockage, avec des résultats variables suivant la qualité du sol mais en s’appuyant avec succès sur des innovations proposées par les agriculteurs eux-mêmes. (Kees Stigter)
   

Conclusion

Les services agrométéorologiques et les stratégies d’ajustement au sens large, utilisées depuis longtemps déjà, doivent être actualisés. Il faut, ce faisant, garder à l’esprit les inégalités existant entre les agriculteurs, évaluer de façon plus juste les besoins de chacun, prendre en compte les nouveaux besoins et mettre l’accent sur les stratégies de prévention.


Références

Gommes, R., 2004: «Applications of FAO agrometeorological software in response farming». Réunion d’experts de la Commission de météorologie agricole de l’OMM sur le temps, le climat et l’agriculture. http://www.wamis.org

KNMI (compilé par Kees Stigter pour le gouvernement néerlandais), 2006: «Capacity building in the area of agrometeorological services through roving seminars». Document distribué et présenté sous la cote CAgM-XIV/INF. 4 lors de la quatorzième session de la Commission de météorologie agricole de l’OMM, New Delhi, octobre/novembre, 13 p.

Lemos, M.C. et L. Dilling, 2007: «Equity in forecasting climate: can science save the world’s poor?» Science and Public Policy 34, p.109-116.

Olufayo, A.A., C.J. Stigter et C. Baldy, 1998: «On needs and deeds in agrometeorology in tropical Africa». Agr. For. Meteorol. 92, p. 227-240.

Rathore, L.S. et C.J. Stigter, 2007: «Challenges to coping strategies with agrometeorological risks and uncertainties—Regional Perspec-tives: Asia». Managing Weather and Climate Risks in Agriculture, M.V.K. Sivakumar and R. Motha (Eds.), Springer, Berlin/Heidelberg, p. 53-69.

Stewart, J.I., 1980s: WHARF: World Hunger Alleviation through Response Farming. Currently: http://responsefarming.org/

Stigter, C.J., 1999: The future of agrometeorology: perspectives in science and services. WMO Bulletin 48: p. 353-359.

Stigter, K., 2006: Scientific research in Africa in the 21st century, in need of a change of approach. African J. Agric. Res. 1: p. 4-8.

Stigter, C.J., 2007(a): From basic agrometeorological science to agrometeorological services and information for agricultural decision makers: a simple conceptual and diagnostic framework. A Guest Editorial. Agric. For. Meteorol. 142: p. 91–95.

Stigter, K., 2007(b): Addressing climate change in agriculture. Opinion news feature and Editorial, Jakarta Post, 15 October 2007, p. 7.

Stigter, K., 2007(c): Agrometeorology from science to extension: assess-ment of needs and provision of services. Invited lecture at the 50th anniversary of the Chinese Academy of Agricultural Sciences, Beijing. Also: Agric. Ecosyst. Environ., sous presse.

Stigter, K., 2007(d). Available drafts for «Applied Agrometeorology». sera publié en 2009 par Springer, New York/Berlin/Heidelberg.

Stigter, C.J., Dawei Zheng, L.O.Z. Onyewotu et Xurong Mei, 2005: Using traditional methods and indigenous technologies for coping with climate variability. Climate Change 70: p. 255–271.

Weiss, A., L. Van Crowder et M. Bernardi, 2000: Communicating agrometeorological information to farming communities. Agric. For. Meteorol. 103: p. 185-196.


* Agromet Vision, président et fondateur de la Société internationale pour la météorologie agricole (INSAM) (cjstigteratusa [dot] net (cjstigter[at]usa[dot]net))

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