par Erik Andersson1
Alan Thorpe est directeur général du Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT) et membre fondateur de l’Expérience concernant la recherche sur les systèmes d’observation et la prévisibilité (programme THORPEX). Sous la conduite éclairée de MM. Thorpe et Mel Shapiro, coprésidents du Comité directeur scientifique international du programme, le Plan scientifique international relatif au programme, qui sert de base à l’initiative et prévoit un plan décennal pour son développement, a été achevé en 2004. THORPEX est une composante clef Programme mondial de recherche sur la prévision du temps (PMRPT) de l’OMM.
THORPEX est un programme international de recherche qui a pour but d’accélérer les gains de précision des prévisions météorologiques à fort impact à échéance d’un jour à deux semaines. Ces gains vont avoir des relèverons les défis météorologiques du XXIe siècle. Les sous-programmes de recherche de THORPEX concernent i) les influences mondiales et régionales qui s’exercent sur l’évolution et la prévisibilité des systèmes météorologiques, ii) la conception et la démonstration du Système mondial d’observation, iii) le ciblage et l’assimilation des observations, et iv) les avantages de l’amélioration des prévisions pour la société, l’économie et l’environnement. THORPEX porte sur l’étude des problèmes liés à la recherche météorologique et à la prévision du temps. Une collaboration internationale entre établissements universitaires, centres de prévision d’exploitation et utilisateurs des prévisions permettra d’accélérer la recherche de solutions à ces problèmes.
Bien que le programme THORPEX ne doive s’achever qu’à la fin de 2014, nombre des objectifs de celui-ci ont déjà été atteints. L’expérience a prouvé une fois de plus que la coopération avec l’ensemble de l’OMM en matière de recherche peut accélérer les progrès de la prévision de conditions météorologiques à fort impact au profit de l’humanité et améliorer constamment les systèmes de soutien à la Veille météorologique mondiale (VMM).
Nous présentons ci-après une interview de M. Thorpe.
Importance de la VMM pour le succès du CEPMMT
Le Programme de la VMM a été lancé dix ans avant la création du CEPMMT. Estimez-vous que la VMM est un précurseur du CEPMMT et que les principes de la Veille ont influé sur la création du Centre européen?
La collaboration internationale dans le domaine de la météorologie, qui était en développement dans les années 60, a été fondamentalement renforcée par la création du Programme de la VMM en 1963. Une autre étape décisive a été la mise en place du Programme de recherches sur l’atmosphère globale (GARP), en 1967, et le lancement de la première expérience mondiale du GARP (PEMG). Les premiers succès du Programme, au début des années 70, ont démontré qu’une collaboration internationale permettait d’en faire plus que ce que pouvait réaliser n’importe quel pays agissant seul. À la même époque, 19 pays européens ont décidé de rassembler leurs forces pour créer un centre de recherche sur la prévision numérique du temps, de calcul intensif et de production de prévisions numériques. C’était le CEPMMT. Dans ce sens, donc, je crois que le Programme de la VMM a été un précurseur du Centre européen. À l’époque, il était déjà entendu que les progrès de la prévision numérique et les activités du CEPMMT dépendraient de façon cruciale de l’échange mondial d’observations et de l’infrastructure technique en cours de coordination et d’édification sous l’égide de la VMM.
Existe-t-il des éléments prouvant que le Programme de la VMM a contribué à améliorer la qualité de la prévision numérique du temps à l’échelle planétaire?
Les observations issues du réseau mondial de la VMM sont essentielles pour initialiser les modèles et l’ère des satellites nous a apporté des quantités de données phénoménales se rapportant à la question. Toutefois, faute d’un moyen scientifique crédible de «combler les lacunes» de ces observations en utilisant des prévisions préalables en entrée — c’est l’assimilation des données —, ces observations n’auraient pas pu être employées de façon aussi efficace.
Depuis 30 ans, la qualité de la prévision numérique du temps à l’échelle mondiale s’améliore d’environ un jour par décennie. À mon avis, ce succès est attribuable au progrès scientifiques concernant le temps, des techniques de calcul, des observations et de leur utilisation. Il est clair pour moi que la VMM et la collaboration internationale dans le domaine de la météorologie ont contribué sensiblement à ce succès.
La figure ci-après, qui présente une série chronologique établie pour la presque totalité de la durée d’existence du CEPMMT, quantifie l’amélioration de la qualité des prévisions à 3, 5, 7 et 10 jours pendant cette période. Elle représente la corrélation des anomalies exprimée en tant que pourcentage pour la hauteur géopotentielle à 500 hPa dans les hémisphères Nord et Sud. Du fait de l’amélioration des observations satellitaires et de l’assimilation des données, vers la fin des années 90, le fossé entre les qualités observées dans les deux hémisphères était largement comblé.
Le taux d’amélioration observé par le passé est-il susceptible de se maintenir?
Nos résultats démontrent qu’aujourd’hui encore, la qualité continue de s’améliorer à un taux semblable d’environ un jour par décennie. Les défis que cela implique pour la VMM sont de continuer à combler les lacunes restantes de la couverture en observations, comme en Afrique et dans l’Arctique, les lacunes de ces deux régions risquant d’affecter les prévisions pour l’Europe et ailleurs, et de veiller à un financement permanent des programmes satellitaires d’exploitation.
Perspectives des prévisions à diverses échelles temporelles jusqu’à une saison d’avance
Actuellement, nous disposons de modèles mondiaux de prévision numérique susceptibles de prévoir le temps jusqu’à une à deux semaines d’avance avec une résolution d’une quinzaine de kilomètres. Dans quelle mesure la VMM peut-elle contribuer à prolonger l’échéance de prévision au-delà de deux semaines?
Les prévisions météorologiques et climatologiques dépendent de l’existence de signaux prévisibles au sein du système. Nous avons fait des progrès importants dans la compréhension des sources de prévisibilité et d’imprévisibilité des prévisions numériques. Nous avons par exemple accompli des progrès fondamentaux en faisant appel au concept du chaos.
Bien que la dynamique de l’atmosphère soit chaotique par nature, il existe des sources de prévisibilité à toutes les échelles de temps. On a lié par exemple les variations de la température superficielle de l’Atlantique Nord à l’humidité et à la sécheresse en Europe un mois à l’avance. D’autre part, l’oscillation de Madden-Julian stimulée par la convection des tropiques déclenche des trains d’ondes de Rossby d’échelle planétaire jusqu’aux régions extratropicales et aux latitudes élevées avec une échelle temporelle allant jusqu’à un mois. Deux autres exemples nous viennent immédiatement à l’esprit: l’oscillation quasi biennale des vents stratosphériques influe sur les transitions du régime météorologique et sur l’apparition de la mousson indienne tandis que pour les températures superficielles des océans tropicaux, le phénomène El Niño/Oscillation australe influe sur les conditions météorologiques mondiales à grande échelle à des échelles de temps saisonnières.
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Évolution à long terme de la qualité des prévisions du système de prévision à 3, 5, 7 et 10 jours du CEPMMT. La courbe épaisse de chaque paire représente l’hémisphère Nord, et la courbe mince l’hémisphère Sud.
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La perspective d’exploiter les modes prédictifs de la variabilité dépend essentiellement de l’existence d’observations de bonne qualité de l’atmosphère, des océans et des terres émergées et de mécanismes efficaces d’échange de celles-ci sur le plan mondial. La VMM continue de jouer un rôle primordial dans tous ces domaines.
Comment pouvons-nous comprendre la prévisibilité et l’imprévisibilité et condenser des informations utiles à partir du chaos?
Les sources éminemment importantes de prévisibilité ayant été mentionnées, il faut savoir qu’une connaissance imparfaite de la science et des incertitudes des conditions initiales et du système de modélisation sont des sources majeures d’imprévisibilité. Cependant, la science de la prévision numérique du temps a progressé grâce à des principes scientifiques permettant de réduire et de quantifier ces incertitudes grâce à des ensembles.
Pour explorer la gamme d’incertitude des prévisions, les centres de prévision numérique ont établi des réalisations avec des conditions initiales et une physique des modèles légèrement différentes. Chaque membre de l’ensemble est une prévision crédible sur le plan scientifique, avec des perturbations conçues de telle façon que cette prévision soit fiable. Et par fiable, j’entends que la probabilité prévue d’occurrence d’un événement corresponde à la fréquence avec laquelle il se produit réellement. Globalement, l’ensemble permet d’évaluer les probabilités de prévision de phénomènes météorologiques à toutes les échelles temporelles. Ainsi, chaque prévision peut être associée à une évaluation de son incertitude — exactement ce dont ont besoin les décideurs.
Importance de la coopération internationale pour la science de la prévision numérique
Vous avez indiqué que la science, les observations et l’informatique ont progressé grâce à une collaboration internationale étroite et que cela a conduit à une amélioration régulière de la prévision numérique du temps. Pourriez-vous élaborer à ce propos?
Les spécialistes du temps et du climat — et notamment ceux qui procèdent à des recherches scientifiques et à des activités d’exploitation — sont peut-être ceux qui collaborent le plus dans le domaine scientifique. La VMM et le GARP avaient pour but d’induire une évolution pas à pas de notre capacité à observer et à prévoir le temps. Dans presque tous les domaines, ils ont réussi au-delà de nos rêves les plus fous.
Depuis lors, grâce à l’OMM, au Conseil international pour la science et à d’autres organismes internationaux, la météorologie et la climatologie ont continué de bénéficier très largement de programmes internationaux en collaboration — tels que le programme THORPEX relevant mondial de recherche sur la prévision du temps — qui ont réuni des scientifiques à propos de problèmes communs. L’histoire démontre que si nous pouvons nous laisser déborder par l’idée de nos concurrentiels, en réalité, nous progressons du fait d’un effort international collectif.
Le programme THORPEX s’achève en 2014. Comment en voyez-vous les suites pour l’avenir?
Trois nouveaux projets sont en cours d’élaboration à la suite du programme THORPEX, qui vont bénéficier d’un soutien dynamique du CEPMMT, et j’espère que d’autres organismes et pays vont leur en accorder un aussi. Par exemple, le Centre veuropéen va continuer d’héberger les archives des prévisions d’ensemble multimodèle à moyenne échéance du Grand Ensemble interactif mondial relevant du programme (TIGGE) et nous comptons élargir celui-ci à des prévisions mensuelles dans le cadre du projet de prévision sous-saisonnière à saisonnière. En outre, les prévisions numériques du CEPMMT et d’autres centres vont bénéficier des progrès scientifiques issus du projet de prévision polaire et du projet sur les phénomènes météorologiques à fort impact.
Enfin, je tiens à annoncer la tenue de la Conférence scientifique août 2014, à laquelle j’espère que vous serez nombreux à participer. Il s’agit de la première manifestation de ce type à être organisée.
(Cliquer ici pour de plus amples informations sur la Conférence.)
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1 Chef de la Division de la météorologie du CEPMMT, membre de l’Équipe d’experts de l’OMM pour l’évolution du SMO et rapporteur OMM de l’évaluation scientifique des incidences des observations sur la prévision numérique du temps