Les systèmes d’alerte précoce en cas de risque climatique en Europe

21 mars 2016

Image au-dessus: Données quotidiennes des températures maximales (en haut) et minimales (en bas) relevées en France (moyenne de 30 stations) entre le 1er juin et le 20 août 2015 (Source: Météo-France)

par Peter Bissolli1, Ivan Cacic2, Hermann Mächel1 and Stefan Rösner1

L’OMM met sur pied des réseaux de centres climatologiques régionaux (CCR) afin d’aider les Membres, par le biais des Services météorologiques et hydrologiques nationaux, à atteindre leurs objectifs en matière climatique. Une multitude de phénomènes-sécheresse, vagues de chaleur ou de froid, crues, tempêtes extrêmes, glissements de terrain, feux de brousse, incendies de forêt, érosion côtière, etc. – sont souvent déclenchés par des processus climatiques de grande ampleur, tel le phénomène El Niño/Oscillation australe. Une collaboration transfrontière s’avère donc indispensable pour établir des systèmes d’alerte efficaces en la matière. La création de réseaux de CCR chargés d’anticiper et de signaler au plus tôt les anomalies climatiques et les valeurs extrêmes qui leur sont associées est une priorité pour l’Organisation.

L’une des fonctions des CCR sera d’offrir un cadre pour l’alerte précoce en cas de danger, par l’établissement de systèmes de veille climatique dans chaque région de l’OMM et par la production de bulletins de veille climatique, sous une forme normalisée, portant sur une semaine à une saison. Ces bulletins indiqueront aux utilisateurs – en particulier les responsables des mesures de préparation, d’atténuation et d’intervention en cas de catastrophe – quelles sont les anomalies climatiques en cours, possibles ou prévues et leurs répercussions éventuelles. Les systèmes de veille déclencheront aussi des alertes précoces en cas d’anomalies climatiques susceptibles de provoquer des conditions extrêmes ou des catastrophes. Informés par ces bulletins, les Services météorologiques et hydrologiques nationaux se prépareront à suivre et à évaluer constamment l’état du climat, à analyser les prévisions à moyenne et longue échéance disponibles et à transmettre de manière concise et claire aux utilisateurs des alertes concernant les phénomènes extrêmes.

Le réseau de CCR pour l’Europe, premier à entrer en service au sein de l’OMM, donne une bonne idée du mode de fonctionnement anticipé.  

Création du réseau européen

Après une phase préparatoire, qui a duré de 2005 à 2009 environ, et une phase pilote, de 2009 à 2012, le Conseil exécutif de l’Organisation a décidé, au milieu de l’année 2013, que le réseau de CCR pour l’Europe composerait une entité opérationnelle parmi les centres météorologiques spécialisés de l’OMM et une entité régionale du Système d’information sur les services météorologiques relevant du Cadre mondial pour les services climatologiques (CMSC). Les fonctions de chaque pôle du réseau ont été définies comme suit:

  • Services de données climatologiques, sous la direction de l’Institut météorologique royal des Pays-Bas;

  • Produits de la surveillance du climat, sous la direction du Service météorologique allemand;

  • Produits de la prévision à longue échéance, sous la direction conjointe de Météo-France et de Roshydromet (Fédération de Russie).

Le Service météorologique allemand est également responsable de la direction et de la coordination générale du réseau, dont le financement est assuré par les institutions participantes sur une base volontaire. 

La capacité de prévoir les conditions saisonnières dans le nord de l’Europe laisse à désirer dans la majorité des cas. C’est pourquoi les bulletins de veille climatique qui ont été diffusés reposaient principalement sur les résultats de la surveillance du climat et sur les prévisions mensuelles émanant du Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT). Depuis la mise en place du système de veille climatique au début de l’année 2012, quatorze bulletins ont été établis; la plupart signalaient des vagues de chaleur ou de froid, des sécheresses et des inondations dans divers secteurs. Deux exemples sont analysés en détail ci après.

Plus chaud: Vague de chaleur en Europe pendant l’été 2015

De la fin du mois de juin au mois de septembre 2015, une vague de chaleur particulièrement intense et prolongée a envahi l’Europe. On a mesuré à de nombreux endroits des températures maximales excédant 40 °C – les plus élevées depuis le début des relevés. Ce fut l’une des vagues de chaleur les plus intenses de ces dernières décennies, en particulier dans le sud-ouest, le centre et le sud-est du continent. L’absence de précipitations a provoqué dans de nombreuses régions une grave sécheresse qui a nui à l’agriculture, abaissé les niveaux d’eau dans les rivières et favorisé les incendies de forêt. Les orages violents qui se sont formés entre les périodes sèches et chaudes ont fait des victimes et détruit des bâtiments, des véhicules et d’autres biens. Les températures inhabituellement élevées à la surface de la Méditerranée ont causé une mortalité massive de poissons qui a eu de profondes répercussions sur le secteur de la pêche. Dans le sud-ouest de l’Europe, les températures moyennes relevées au printemps et en juin étaient nettement supérieures à la normale; elles se situaient parmi les 10 % les plus élevées des récentes décennies. Ces conditions extrêmes se sont encore intensifiées en juillet et en août et se sont propagées vers l’est et le nord du continent. Le réseau européen de CCR n’a pu anticiper qu’à la fin de juin la façon dont les conditions évolueraient pendant l’été dans le sud-ouest de l’Europe, car les températures étaient revenues à un niveau proche de la normale au cours de la deuxième partie de ce mois. Les prévisions ne donnaient pas une image claire de la situation. Toutefois, une période assez longue de températures très supérieures à la moyenne a débuté fin juin, notamment dans la partie occidentale (voir le graphique des températures en France, par exemple).

La sécheresse n’a pas été le seul phénomène dangereux. Le 22 juin, les prévisions hebdomadaires émises par le CEPMMT annonçaient des températures nettement supérieures à la normale sur une vaste zone, englobant la péninsule Ibérique, l’Europe centrale, les Balkans et l’Ukraine, à compter de la semaine suivante (29 juin) et pendant plusieurs semaines. Un déficit pluviométrique était également prévu dans une bonne partie de cette zone. Le 25 juin, les prévisions ont confirmé cette évolution. Même les prévisions à brève échéance du 26 juin anticipaient la formation d’une vague de chaleur en Espagne, avec des températures maximales de 40 °C environ jusqu’au 29 juin. Météo-France a annoncé l’arrivée d’une vague de chaleur pour la semaine du 29 juin. Après délibération, le réseau de CCR a décidé de diffuser le 26 juin le bulletin de veille climatique reproduit ci après, valide jusqu’au 12 juillet, concernant la chaleur et la sécheresse attendues dans cette zone:

Vu les résultats des prévisions mensuelles (et bien que la semaine dernière ait été plus fraîche que la normale): Une période de températures nettement supérieures à la moyenne et une situation de sécheresse sont attendues, pendant les deux prochaines semaines au moins, sur une grande partie de l’Europe (du Portugal à la Pologne et du Royaume-Uni à la Croatie). Les anomalies hebdomadaires devraient excéder de 6 à 10°C les valeurs normales dans le nord de l’Espagne et en France, en raison de l’advection d’air chaud provenant d’Afrique. La probabilité attachée à cette anomalie est supérieure à 90 %. Le centre de la vague de chaleur se déplace du sud-ouest vers le nord-est de la zone concernée.

La chaleur est arrivée comme prévu. On a relevé des températures de 43 °C à la fin de juin en Espagne.  Le mercure a dépassé 40 °C à plusieurs endroits en Algérie et au Maroc. La vague de chaleur s’est propagée vers le nord-est et a envahi une bonne part de l’Europe

occidentale à la fin de juin et au début de juillet. Des températures maximales excédant 40 °C ont été mesurées en France. Au Royaume- Uni, un nouveau record pour le mois de juillet, de 36,7 °C, a été établi à l’aéroport Heathrow de Londres. Il a fait 38,2 °C à Maastricht, aux Pays-Bas. L’Europe centrale n’a pas été épargnée. Un nouveau record absolu, soit 40,3 °C, a été enregistré dans le sud-ouest de l’Allemagne le 5 juillet. Même la Suède a connu des températures supérieures à 30 °C. Quelques jours plus tard, la vague de chaleur a atteint la partie orientale de l’Europe centrale, l’Italie et la région des Balkans; les températures maximales ont frôlé 40 °C. Après cette première phase, un système orageux intense s’est formé au-dessus de l’Europe centrale, accompagné de grêle et de fortes rafales – 141 km/h à Innsbruck, en Autriche – mais apportant très peu de fraîcheur. Trois autres phases ont suivi, du milieu de juillet à la fin août, entrecoupées de périodes plus fraîches et orageuses de quelques jours. Des températures extrêmes ont été enregistrées à nouveau. Même au mois de septembre, des valeurs maximales supérieures à 35 °C ont été relevées dans l’est de l’Europe centrale et de nouveaux records absolus pour le mois de septembre ont été établis à plusieurs endroits.

Le Service météorologique allemand et le réseau de CCR pour l’Europe ont analysé les résultats de la surveillance et de la prévision, ce qui a conduit à actualiser et à prolonger le bulletin à sept reprises, soit toutes les deux semaines environ. Enfin, la chaleur et la sécheresse ont quitté le secteur au début d’octobre et les prévisions n’indiquaient aucune reprise de conditions similaires. La baisse des températures due au changement de saison rendait une nouvelle vague de chaleur très improbable. Après consultation au sein du réseau, il a été décidé le 5 octobre de ne plus émettre le bulletin.  

Plus humide: Inondations dans le sud de l’Europe en 2015

Pendant l’été chaud de 2015, la température des eaux superficielles de la Méditerranée s’est élevée considérablement. Au mois d’août, la moyenne mensuelle excédait 28 °C à certains endroits, surtout dans la partie orientale du bassin, soit 1 à 2 °C de plus que les valeurs normales. Ces anomalies ont perduré jusqu’à la fin du mois de septembre, favorisant la formation d’orages déversant des pluies abondantes. La hauteur totale de précipitation relevée en août était nettement supérieure à la normale dans certains secteurs du sud de l’Italie, de la Grèce et de l’ouest de la Turquie, entre autres. Le 21 septembre, un système dépressionnaire prononcé a atteint la Grèce et les zones limitrophes, apportant des orages et des pluies diluviennes (jusqu’à 100 mm environ en 24 heures), accompagnées de fortes rafales de vent et de tornades. Ces conditions ont fait des morts et des blessés et ont causé d’énormes dégâts aux bâtiments et aux véhicules. Le 24 septembre, la Croatie et les régions voisines ont reçu jusqu’a 150 mm de pluie.

Selon les prévisions du CEPMMT pour la semaine du 21 septembre, la situation n’évoluerait pas et l’est de la Méditerranée recevrait encore des précipitations supérieures à la normale pendant deux semaines au moins. Les prévisions visant la période débutant le 24 et le 28 septembre l’ont confirmé. Le réseau de CCR pour l’Europe a décidé d’émettre le 25 septembre, pour les deux semaines suivantes, un bulletin de veille climatique concernant les précipitations abondantes attendues dans la sous-région (Italie, Albanie, ex-République yougoslave de Macédoine, Bulgarie, Grèce, Chypre et Turquie). Au début d’octobre, de fortes pluies se sont abattues sur la Méditerranée et les prévisions du CEPMMT indiquaient que la pluviosité anormale se poursuivrait encore une semaine, voire plus. Le 9 octobre, le réseau de CCR a prolongé son bulletin pour une quinzaine de jours, jusqu’au 26 octobre, et a inclus dans la région concernée le sud de la France, la totalité de l’Italie et la péninsule des Balkans.

Le réseau de CCR a prolongé une nouvelle fois son bulletin le 23 octobre, jusqu’au 8 novembre, en excluant le sud de la France et les Balkans mais en ajoutant le Moyen-Orient dans la région touchée. 

Les analyses de vérification montrent que, pendant la première semaine de la période visée par le bulletin initial (25 septembre–11 octobre), des précipitations assez fortes se sont déversées ici ou là sur le sud de l’Italie, le sud-est de la Grèce, le nord et l’est de la Turquie. Cependant, c’est l’ouest du bassin méditerranéen qui été le plus touché. Pendant la deuxième semaine, de fortes pluies se sont abattues localement sur l’ensemble de la Méditerranée et une partie de la Turquie. Un épisode très intense est survenu le 10 octobre; la hauteur totale de précipitation quotidienne a excédé 100 mm en Italie et dans l’ouest des Balkans, 50 mm dans les régions voisines.

Les analyses portant sur la première mise à jour (12–26 octobre) révèlent, pour la première semaine, une pluviosité assez abondante dans le sud de la France, de vastes secteurs de l’Italie et la majorité des Balkans, surtout la partie occidentale, mais pas de précipitation sur l’est de la Méditerranée. Pendant la deuxième semaine, de fortes pluies ont été mesurées dans l’est du bassin, en particulier sur la mer Égée et l’ouest de la Turquie.

Quant à la deuxième mise à jour (27 octobre–8 novembre), des pluies localement abondantes se sont abattues sur l’Italie et le sud de la France pendant la première semaine; une hauteur de précipitation élevée a également été mesurée dans l’est de la Turquie et au Moyen-Orient. Pendant la deuxième semaine, des pluies fortes se sont déversées par endroits en Espagne, dans le sud de la France et en Sicile, mais la majorité du bassin méditerranéen a connu un temps sec.

Conclusions

Les bulletins de veille climatique produits à ce jour au titre de la surveillance du climat peuvent être jugés satisfaisants du point de vue des événements prévus, comme l’ont mis en lumière les deux exemples précédents. Les résultats montrent qu’il est possible d’établir, à l’échelle de l’Europe, un mécanisme efficace et rapide de production et d’actualisation de bulletins à l’appui de l’alerte précoce. Le système européen de veille climatique complète utilement les avis météorologiques à brève échéance, en signalant plus tôt les anomalies climatiques présentes et les risques correspondants. Il offre un excellent moyen d’améliorer les mesures de préparation et d’atténuation en cas de catastrophe et, ce faisant, aide considérablement à mettre en œuvre le CMSC.

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier de leur précieuse contribution Omar Baddour et Peer Hechler du Secrétariat de l’OMM à Genève.

Liens utiles

Le lecteur désireux d’en savoir plus peut communiquer avec le Service météorologique allemand (rcc [dot] cmatdwd [dot] de (rcc[dot]cm[at]dwd[dot]de)) ou consulter le site Web du réseau de CCR pour l’Europe (www.rccra6.org).  

1Deutscher Wetterdienst, Offenbach, Germany
2 President WMO Regional Association VI (Europe), Director and PR of Croatia with WMO, Meteorological and Hydrological Service, Zagreb, Croatia 

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