L’hydrologie et les ressources en eau au sein de l’OMM — la naissance d’un programme

01 juillet 2008

par Arthur Askew*


Contexte

Les sociologues traitent souvent du rôle déterminant joué par l’hérédité et le milieu dans le développement de l’être humain. On peut aussi s’étendre longuement sur l’importance relative, pour une institution, de l’empreinte laissée par ses origines et du contexte scientifique et administratif dans lequel elle a évolué.

Pour relater l’histoire du programme d’hydrologie de l’OMM, nous devons d’abord décrire la situation de cette discipline sur le plan scientifique et opérationnel à la deuxième moitié du XIXe siècle. Les premiers travaux de Pierre Perrault et d’autres pionniers aux XVIIe et XVIIIe siècles avaient permis de faire avancer les connaissances fondamentales sur les grands principes régissant le cycle hydrologique du point de vue de l’explication des phénomènes naturels. Avec la révolution industrielle, on a voulu mettre en application ces connaissances. Les ingénieurs de l’époque se sont attachés à trouver des solutions aux problèmes locaux, en appliquant essentiellement les codes établis par des organes nationaux. Personne ne voyait la nécessité de coordonner de manière formelle ces activités à l’échelle internationale.

La même volonté de comprendre les phénomènes naturels a conduit au développement de la météorologie en tant que discipline scientifique, mais la portée mondiale des processus étudiés est tout de suite apparue aux chercheurs. Le Premier Congrès météorologique international a eu lieu à Vienne en septembre 1873 et a donné naissance à l’Organisation météorologique internationale, précurseur direct de l’OMM. Huit années plus tôt, la première Convention télégraphique internationale était signée à Paris et l’Union télégraphique internationale, ancêtre de l’actuelle Union internationale des télécommunications (UIT), était née. Est venue ensuite s’ajouter, en septembre 1874 à Berne, Suisse, l’Union générale des postes, qui a été rapidement renommée Union postale universelle (UPU).

Soulignons que ces trois organisations, créées dans l’espace de huit ans, poursuivaient des objectifs très semblables: l’UIT, définir ce qu’est un message et comment le transmettre; l’OMM, définir ce que sont les données météorologiques et la forme sous laquelle les communiquer; et l’UPU, définir ce qu’est le courrier et déterminer qui doit défrayer les coûts de son acheminement. Elles ont été fondées quelque 50 ans avant la Société des Nations et 75 ans avant l’Organisation des Nations Unies (ONU). Après avoir adopté un statut intergouvernemental, elles ont été intégrées dans le système des Nations Unies, dont elles peuvent être considérées à juste titre comme les membres les plus anciens.

Personne ne peut nier l’importance des activités menées à l’échelle mondiale par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou l’Organisation des Nations Unies pour l‘éducation, la science et la culture (UNESCO), mais les médecins, enseignants et scientifiques ne dépendent pas autant de ces institutions pour faire leur travail que les télécommunications, la météorologie et les services postaux mondiaux dépendaient et dépendent encore de l’UIT, de l’OMI/OMM et de l’UPU.

Cette brève digression sur l’histoire de l’OMM et le rôle essentiel qu’elle joue au niveau des activités météorologiques est utile, car elle permet de faire ressortir dans quelle mesure l’Organisation était devenue, au début du XXe siècle, un rouage clef de cette discipline, tout en demeurant inconnue de la grande majorité des hydrologues qui œuvraient à l’échelle nationale et provinciale.


L’hydrologie: être ou ne pas être

L’OMI n’était pas issue d’une décision prise par des fonctionnaires de haut niveau au nom de la communauté météorologique. Elle était, tout comme l’est demeurée l’OMM, une organisation fondée de bout en bout par ses Membres afin de poursuivre les objectifs qu’ils avaient eux-mêmes définis. Ainsi, au fil des ans, les Services météorologiques nationaux (SMN), qui avaient institué l’OMI, se sont rendu compte que leur organisation pouvait jouer un rôle utile dans des domaines assez éloignés de celui qui avait justifié sa création. Cela les a tout naturellement conduits à enrichir son programme de travail de nouveaux centres d’intérêt.

Dans environ le tiers des pays, les aspects opérationnels de la météorologie et de l’hydrologie relèvent d’une seule entité, à savoir, le Service hydrométéorologique national. Il était inévitable que l’OMI décide à un moment ou à un autre de mener des activités dans le domaine de l’hydrologie et lorsque l’Organisation a créé une série de commissions techniques, l’une d’elle était la Commission d’hydrologie (CHy), établie en 1946. Sa première session a eu lieu à Toronto, Canada, en 1947 et a porté notamment sur la coopération entre les Services hydrologiques nationaux (SHN) et les SMN, la coopération régionale en hydrologie et un glossaire international.

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L’ONU, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’UNESCO ont toutes été fondées en 1945, et l’OMS en 1948. À cette époque, il était question que l’OMI se joigne à ces nouvelles organisations, mais elle devait pour ce faire adopter un statut gouvernemental, ce qui soulevait de nombreuses questions et inquiétudes au sein de l’Organisation. Ainsi, ce n’est qu’en 1950 que l’on a pris la décision de créer l’OMM, une institution entièrement intergouvernementale. Lors du Premier Congrès de l’OMM (Paris, 1951), la CHy avait à peine eu le temps de s’organiser et n’avait essentiellement aucun résultat à présenter. Le Président de la Commission, M. Uryvaev (URSS), avait été invité au Congrès mais n’y avait pas assisté, et l’invitation n’avait pas été lancée au Vice-Président, M. Bernard (États-Unis d’Amérique). Très peu des représentants permanents présents n’avaient de connaissance directe de l’hydrologie. Il n’est donc pas surprenant que, lorsque l’on a suggéré de réduire le nombre de commissions techniques, il n’y ait eu personne pour défendre les intérêts de la CHy, qui a été supprimée.

Du Premier au Troisième Congrès: les balbutiements

Les associations régionales et la Commission de climatologie (CCl) traitaient de certaines questions de nature hydrologique pendant leurs sessions des premières années de l’OMM, mais aucune tentative réelle de réintroduction de l’hydrologie n’a eu lieu avant 1954, lorsque le Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC) a recommandé que les institutions spécialisées de l’ONU accordent une plus grande attention à la gestion des ressources en eau, y compris la collecte des données hydrologiques, et a explicitement proposé que l’OMM assure cette fonction, en coopération avec les SHN et l’Association internationale de l’hydrologie scientifique, qui est devenue plus tard l’Association internationale des sciences hydrologiques (AISH). Le Secrétaire général a donc proposé, lors du Deuxième Congrès (1955), que l’Organisation accepte cette tâche.

À cette époque, la Convention de l’OMM aurait facilement pu être modifiée de manière à ce que l’Organisation se charge de toutes les questions relatives à la météorologie et aux ressources en eau. Elle était la seule institution à détenir les capacités nécessaires pour s’acquitter de cette responsabilité et personne n’aurait discuté la décision, mais le Congrès n’a accepté au nom de l’OMM que les tâches relatives aux aspects «qui concernent à la fois la météorologie et l’hydrologie». Le Comité exécutif, qui s’est réuni immédiatement après le Deuxième Congrès, avait une vision plus large de la question et a créé un groupe d’experts sur la mise en valeur des ressources en eau chargé de formuler des propositions sur les futures activités de l’Organisation dans le domaine de l’eau. Les six membres du groupe étaient tous des personnalités connues dans leur discipline, dont Max Kohler (États-Unis d’Amérique), Gilbert White nommé par la CCl et Léon Tison, Secrétaire général de l’AISH. Il est intéressant de noter que le groupe était présidé par Oliver Ashford, Membre du Secrétariat de l’OMM.

Tels ont été les débuts du Programme d’hydrologie et de mise en valeur des ressources en eau: un bon départ, suivi d’un arrêt subi puis un nouveau départ lent et vacillant dans un contexte, comme nous allons le voir plus tard, plutôt difficile.

Le groupe d’experts a recommandé que «l’OMM prenne les mêmes responsabilités dans le domaine de l’hydrologie que celles dont elles s’acquittaient en météorologie» et que la Convention soit changée de sorte que les SHN aient le même statut que les SMN. À sa réunion suivante, le Comité exécutif a décidé de consulter les membres à ce sujet. Les avis étant partagés, celui-ci a décidé une année plus tard que l’OMM se chargerait de toutes les activités relatives à l’hydrologie «qui renferment des aspects météorologiques» et a recommandé que le Congrès mette sur pied une Commission d’hydrologie, mais rien n’a été dit quant à la modification de la Convention. La même année, lors de réunions de haut niveau de l’ONU, il a été formellement demandé à l’OMM de s’acquitter des tâches couvrant une bonne part des questions relatives aux eaux de surface, proposition ultérieurement appuyée par l’AISH et l’Union géodésique et géophysique internationale.

Du Troisième au Quatrième Congrès: une commission, oui, mais chargée de quoi?

Avec tout ce travail préparatoire interne et les encouragements externes, on aurait pu s’attendre à ce que le Troisième Congrès (1959) relance la proposition de faire de l’OMM une institution chargée à la fois de la météorologie et de l’hydrologie, mais cela n’a pas été le cas. Ce Congrès n’a permis à l’OMM que de coordonner les activités en «météorologie hydrologique». Ainsi, alors que le secteur de l’hydrologie se réjouissait du rétablissement d’une commission, celle-ci portait le nom de «Commission de météorologie hydrologique» et le fait que le Congrès n’ait pas réussi à bien définir ce terme a suscité des problèmes pendant des années.

Encore une fois, l’OMM avait laissé passer une occasion en or de devenir le chef de file dans le domaine de la géophysique et des ressources naturelles au sein de l’ONU, au désespoir de ceux qui n’avaient ménagé aucun effort pour faire aboutir les propositions. Il est trop facile de critiquer avec le recul ces décisions du Congrès, mais il faut garder en mémoire les débuts de l’Organisation et les conditions qui prévalaient lors de l’élaboration de ses programmes.

Si l’OMM devait prendre des responsabilités importantes au niveau de l’eau douce, ce secteur chercherait à juste titre à être représenté au sein des organes directeurs de l’Organisation. Les représentants permanents participent aux débats du Congrès et du Comité/Conseil exécutif afin de prendre les meilleures décisions pour l’Organisation dans son ensemble et pour leurs pays respectifs. Ils transfèrent ainsi l’expérience acquise à l’échelle nationale. Toutefois, comme aucun pays n’était doté d’une entité unique responsable de toutes les questions relatives à l’eau douce, même si les représentants permanents voulaient partager le pouvoir de décision avec les hydrologues, il n’était pas du tout évident de savoir qui seraient leurs partenaires naturels. Une chose était sûre cependant: les services gouvernementaux chargés de la question de l’eau seraient vraisemblablement plus puissants, à la fois sur le plan financier et politique, que les SMN. Aux yeux de nombreux représentants permanents, donc, le partage du pouvoir aurait, non seulement comme effet d’affaiblir les objectifs et l’identité de l’OMM, mais il ferait également courir le risque à l’Organisation d’être dominée par des intérêts politiques de haut niveau, crainte qui avait justement retardé, en 1945, la décision de l’OMI d’adopter le statut d’organisme intergouvernemental.

Alors qu’il est facile de rejeter nombre des arguments évoqués lors du Troisième Congrès pour s’opposer à l’élargissement de la participation aux activités de nature hydrologique, la situation n’était toutefois pas surprenante, étant donné les dangers liés à une telle décision aux yeux de ceux qui détenaient le droit de vote. Ces arguments ont été exposés assez longuement ici car ils sont demeurés pertinents pendant les 50 années qui ont suivi et ont conduit le Comité/Conseil exécutif et le Congrès à rejeter par la suite plusieurs propositions de même nature.

En septembre 1959, 30 Membres avaient nommé des experts pour siéger à la Commission, avec à sa tête Max Kohler comme premier Président et Léon Tison (Belgique), encore Secrétaire général de l’AISH, au poste de Vice-Président. Sa première session s’est tenue à Washington, D.C., en 1961. Elle a mis sur pied sept groupes de travail et adopté un certain nombre de recommandations. La solution de compromis du Troisième Congrès a toutefois eu des répercussions tout au long de la réunion, qui a beaucoup porté sur la définition de l’expression «météorologie hydrologique». La Commission a finalement décidé de concentrer ses activités sur les problèmes de nature météorologique et sur les questions étroitement liées à l’eau de surface et aux bilans hydriques, mettant ainsi de côté des sujets comme les sédiments, les eaux souterraines et la qualité de l’eau.

Si l’on exclut les décisions concernant la Commission, il est intéressant de noter qu’au cours des années 50 et 60, l’OMM a donné suite à la fois à l’appel de
l’ECOSOC en ce qui a trait à la coopération technique, et à des demandes d’avis de la part des Membres sur diverses questions relatives à l’eau douce.

Notant, au début des années 60, le succès considérable remporté par l’Année géophysique internationale (1957/58), qui avait ignoré l’hydrologie, les principaux membres de l’AISH ont lancé l’idée d’une Décennie hydrologique internationale (DHI). Les contacts étroits entretenus entre l’AISH et le programme d’hydrologie de l’OMM ont naturellement conduit à la proposition que l’OMM devrait prendre l’initiative de ce projet, sujet qui a été discuté dans les coulisses de la session du Comité exécutif. Ce fait a pu être mentionné dans les débats concernant le programme d’hydrologie, mais on ne trouve aucune indication à ce propos dans les rapports de session du Comité exécutif avant 1962. La réponse non officielle a été que l’Organisation n’aurait pas été prête pour diriger une initiative internationale d’une telle envergure, ce qui est logique vu qu’elle n’avait pas encore défini ses propres activités dans le domaine.

À la même époque, l’UNESCO était en train de se pencher sur l’avenir de son ancien programme sur les zones arides et la proposition d’une Décennie hydrologique internationale a été reçue avec plus d’enthousiasme à Paris. Il a donc été décidé que l’UNESCO accueillerait le secrétariat de la DHI. Cette dernière a été clairement définie comme un programme intergouvernemental et interinstitutionnel, où chaque institution de l’ONU ou ONG mènerait les activités correspondant le plus à son expertise. Le rapport de la quatorzième session du Comité exécutif (1962) mentionne que l’UNESCO supervisera le lancement de la Décennie. Le Quatrième Congrès a été saisi de cette nouvelle l’année suivante, et des représentants permanents ont noté avec surprise que de nombreux sujets qu’ils considéraient comme liés à la météorologie étaient mis en avant dans le cadre de la DHI.

L’évolution de la situation a, par ailleurs, convaincu le Congrès de l’importance d’élargir le champ d’activité de l’OMM dans ce secteur; les attributions de la Commission ont donc été révisées en conséquence, celle-ci est devenue la Commission d’hydrométéorologie et le Congrès a pris les dispositions nécessaires pour que l’OMM participe activement à la Décennie. Le Comité exécutif a donc créé un groupe d’experts pour la DHI, qui s’est réuni chaque année pendant 10 ans. Celui-ci a supervisé les nombreuses activités menées par l’OMM seule et en coopération avec d’autres institutions de l’ONU et certaines ONG, au titre de la contribution de l’Organisation à la Décennie.

Du Quatrième au Sixième Congrès: l’enjeu de la DHI

La deuxième session de la CHy, qui a eu lieu à Varsovie en 1964, a été encore une fois confrontée à des problèmes. Le premier concernait la portée des activités car, selon la langue et les pratiques nationales, le terme «hydrométéorologie» pouvait signifier hydrologie plus météorologie ou se limiter aux questions touchant à la fois à l’hydrologie et à la météorologie. Et comme la DHI était sur le point d’être lancée, il était nécessaire de définir les relations entre les travaux de l’OMM dans le cadre de la Décennie et le programme d’activités de la CHy. La Commission était donc tenue de déterminer précisément les champs d’action de l’OMM, tels qu’établis par le Congrès, ce qui n’était pas une mince tâche. La CHy a enfin arrêté son programme de travail, mis sur pied 10 groupes de travail et réélu Max Kohler comme Président.

La DHI a été lancée en 1965 et le Cinquième Congrès de 1967 a approuvé la contribution de l’OMM au programme de travail de la Décennie et offert d’appuyer l’élargissement de cette contribution.

La troisième session de la CHy a eu lieu à Genève en 1968. Alors que la DHI avait permis à l’UNESCO de faire sa place au sein de l’hydrologie internationale, elle forçait par ailleurs l’OMM à définir plus clairement son propre champ de responsabilité, tâche par ailleurs compliquée par la confusion permanente qui existait à propos de l’interprétation du terme «hydrométéorologie». La CHy à sa troisième session a donc proposé de s’appeler «Commission d’hydrologie», l’OMM ayant pour mandat de s’occuper des aspects opérationnels du cycle hydrologique dans sa phase terrestre, dont la collecte, le stockage et la publication des données hydrologiques. La Commission a par ailleurs adopté une série d’activités qui sont demeurées ses champs d’action principaux au cours des 30 années et plus qui ont suivi, à savoir:

  •  
La conception des réseaux hydrologiques et la collecte des données;
  •  
Le stockage et l’analyse des données;
  •  
L’application des données hydrologiques à la gestion des ressources en eau;
  •  
La prévision des crues;
  •  
La terminologie et l’établissement de normes.

Dans les 50 ans d’histoire de la CHy, la Commission a élu sept présidents et 11 vice-présidents et le Département de l’hydrologie et des ressources en eau au sein du Secrétariat a connu sept directeurs. Chacun de ces 25 hydrologues a, à sa manière, fait la promotion de l’hydrologie à l’intérieur de l’Organisation et a conduit les destinées de la Commission et du personnel réduit mais dévoué qui, au sein du Secrétariat, s’est efforcé d’appuyer les nombreux experts nationaux sur lesquels reposent les activités de l’OMM. Le schéma de la page 142 présente les postes occupés par ces personnalités au fil des ans.

Il faudrait consacrer un livre entier aux réalisations de chacun de ces pionniers et à leurs contributions uniques au système dans son ensemble. Ce bref article ne mentionne toutefois que les noms de Max Kohler et Jerry Němec.

Sans la clairvoyance de Max et le doigté dont il faisait preuve en permanence, la renaissance de la Commission d’hydrologie de l’OMM aurait été grandement retardée, ce qui aurait eu des conséquences graves sur l’avenir du Programme d’hydrologie et de mise en valeur des ressources en eau. L’approche plus «colorée» de Jerry Němec est devenue le signe distinctif du programme dans les 20 années qui ont suivi. Sans lui, le Département n’aurait pas été aussi proactif et efficace.

Tous les présidents et directeurs ultérieurs ont profité des principes et pratiques déjà bien ancrées au sein de la Commission à la fin des années 60 et au début des années 70 et tous reconnaîtraient leurs dettes envers leurs deux illustres prédécesseurs.

La troisième session de la CHy a également marqué la fin de la période de 10 ans au cours de laquelle Max Kohler a dirigé avec finesse le programme d’hydrologie de l’OMM, passant du statut de parent pauvre au sein de l’OMI, à celui de programme à part entière, au sein de l’OMM. Au départ, l’appui procuré par le Secrétariat était le fait de deux ou trois fonctionnaires chargés des «applications de la météorologie». À la fin de cette période, on avait créé une unité distincte responsable de l’hydrologie et des ressources en eau. Son chef était Jaromír (Jerry) Němec (Tchécoslovaquie).

En 1968, la CHy a envisagé la possibilité d’organiser une conférence de mi-décennie, qui permettrait non seulement d’examiner les progrès accomplis dans la mise en œuvre de ses activités et de planifier les années à venir, mais également d’examiner un plan d’action international à long terme en hydrologie. L’OMM était présente sur la scène de l’hydrologie internationale depuis 1947, alors qu’avant la Décennie, l’expérience de l’UNESCO la plus rapprochée du secteur de l’eau douce était son programme sur les zones arides. Une grande question se posait alors au sujet des relations OMM/UNESCO: cette dernière continuerait-elle d’œuvrer dans le domaine de l’hydrologie après la Décennie et si oui, quel rôle voudrait-elle jouer?

La conférence de mi-décennie a bien eu lieu à Paris en 1969. Elle a donné l’occasion à l’OMM d’expliquer les nombreux projets qu’elle menait dans le cadre de la DHI, mais elle a aussi fait ressortir une série de problèmes liés au chevauchement potentiel des activités entre l’OMM et l’UNESCO. Par ailleurs, les relations, en particulier entre les deux secrétariats, étaient devenues assez tendues. Il ne faut pas nier que les personnalités des principaux responsables y ont été pour quelque chose, mais il faut aussi souligner le manque de coordination à l’échelle nationale entre les représentants des différents pays au sein des organes directeurs des deux organisations.

Dans son discours prononcé à l’ouverture de la conférence, le Directeur général de l’UNESCO a déclaré: «Je suis prêt à accueillir toute suggestion concernant l’instauration d’un système permanent de coopération internationale dans le domaine de l’hydrologie scientifique qui, tout en s’intégrant dans la structure légale de l’UNESCO, serait suffisamment ouvert et souple pour permettre la participation la plus large possible». Sir Arthur Davies, Secrétaire général de l’OMM de 1955 à 1979, a aussi pris la parole lors de la session d’ouverture et il aurait affirmé ce qui suit après coup: «Il semble que les événements ne prennent pas la tournure que nous aurions souhaitée au départ».

En 1968, la CHy à sa troisième session a aussi proposé qu’une Conférence technique intergouvernementale des Services hydrologiques et météorologiques soit convoquée en vue de chercher des moyens de renforcer le rôle des SHN au sein de l’OMM. La Conférence s’est tenue à Genève en 1970. Outre une série d’importantes recommandations techniques portant notamment sur l’interface entre les services hydrologiques et météorologiques, elle a recommandé la création d’un Comité consultatif d’hydrologie opérationnelle. Cette proposition a été acceptée par le Sixième Congrès en 1971, le comité étant chargé de conseiller le Comité exécutif et le Congrès sur les principes de collaboration entre les SHN à l’échelle régionale et internationale et sur la planification du Programme d’hydrologie et de mise en valeur des ressources en eau de l’OMM.

Le Sixième Congrès a par ailleurs redéfini le champ de responsabilité de l’Organisation en matière d’eau douce en utilisant la notion d’«hydrologie opérationnelle», qui englobe les eaux souterraines, l’humidité du sol, les transports solides et la qualité de l’eau. Suite à une demande de la CHy à sa troisième session, la Commission a enfin reçu son nom actuel, le terme «hydrométéorologie» étant retiré en raison de sa portée trop limitée et de la confusion qu’il créait. Également en 1971, l’OMM a accueilli la session annuelle du Conseil de coordination de la DHI au siège de l’Organisation à Genève, au moment où les tensions entre l’OMM et l’UNESCO s’apaisaient lentement.

Du Sixième au Septième Congrès: la maturité

La quatrième session de la CHy s’est déroulée à Buenos Aires en 1972. On a réorganisé les activités de la Commission et ses contributions à la DHI en fonction du nouveau mandat décidé par le Congrès, en plus d’établir des groupes de travail, de nommer des rapporteurs et de lancer une série de projets.

Soulignons que l’OMM et l’UNESCO n’étaient pas les seules institutions de l’ONU à élaborer des programmes relatifs à l’eau douce au cours des années 50 et 60. La plupart des autres organisations s’intéressaient à l’utilisation de l’eau à diverses fins: la FAO pour l’agriculture; l’OMS pour l’eau potable et l’hygiène; les commissions économiques régionales de l’ONU en tant que ressource économique; et l’Agence internationale de l’énergie atomique en tant qu’agent de refroidissement dans les centrales nucléaires ou de milieu propice au traçage radioactif. De même, de nombreuses ONG sont concernées par l’eau. L’OMM a coopéré avec toutes ces organisations selon les circonstances mais, dès le départ, les plus proches partenaires ont toujours été l’UNESCO et l’AISH pour des raisons qui apparaissent clairement au début du présent article.

Il a été dit que, Sir Arthur Davies envisageait pour l’OMM un mandat plus large, mais qu’il n’a pu persuader les membres du Comité exécutif d’appuyer ce projet et qu’il a été déçu de voir l’UNESCO prendre des responsabilités en océanographie et également, pendant et après la DHI, en hydrologie scientifique. Certains avaient espéré, et même pensé, que l’OMM deviendrait le grand responsable des questions relatives à l’eau douce après la Décennie mais, étant donné que l’UNESCO avait supervisé la création du Conseil de coordination de la DHI et d’un réseau étendu de comités nationaux pour la DHI, il n’était que prévisible que ceux qui avaient œuvré au sein de cette grande structure intergouvernementale veuillent qu’elle poursuive ses activités.

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Vingt-cinquième anniversaire de la Commission d’hydrologie (Budapest, Hongrie, juillet 1986)—(de gauche à droite): J. Němec (Directeur, Département de l’hydrologie et des ressources en eau, Secrétariat de l’OMM, 1968-1987); M.A. Kohler (Président de la CHy, 1960-1968); G.O.P. Obasi (Secrétaire général de l’OMM, 1984-2003); E.G. Popov (Président de la CHy, 1968-1976);
R.H. Clark (Président de la CHy, 1976-1984); O. Starosolszky (Président de la CHy, 1985-1992)
 

Il ne faisait donc pas de doute au cours de la deuxième moitié de la décennie que l’UNESCO continuerait de jouer un rôle déterminant dans le secteur de l’eau douce au sein du système des Nations Unies. Les relations entre l’OMM et l’UNESCO continuant de s’améliorer, on a pu conclure un accord amical sur le plan, à la fois officiel et personnel, permettant à l’OMM de maintenir, et même renforcer, ses activités en ce qu’avait défini le Congrès comme l’hydrologie opérationnelle, alors que l’UNESCO se concentrerait sur l’hydrologie scientifique.

Le fait que l’UNESCO ait choisi de se servir du même mécanisme gouvernemental mis en place pour la DHI pour superviser son propre Programme hydrologique international (PHI) a eu, pour effet, de créer une certaine confusion, en particulier à la fin des années 70 et même bien après le tournant des années 80. Il n’était pas rare que les délégués nationaux demandent pourquoi l’OMM ne contribuait pas autant au PHI qu’à la DHI. Ils ne se rendaient pas compte que le PHI n’était pas un programme interinstitutionnel, mais qu’il relevait entièrement de l’UNESCO et que, depuis 1975, les organismes qui avaient participé à la DHI avaient créé leurs propres programmes indépendants.

Afin d’éviter les chevauchements d’activités ou les conflits d’intérêts entre les programmes de l’OMM et de l’UNESCO, un accord interinstitutionnel a été approuvé par les organes exécutifs des deux organisations, grâce auquel des représentants d’une institution assisteraient aux réunions des organes constituants de l’autre institution, des conférences intergouvernementales conjointes seraient convoquées tous les cinq à six ans pour donner des avis sur leurs programmes et les présidents de leurs commissions respectives, la CHy dans le cas de l’OMM, se réuniraient chaque année avec les deux secrétariats pour établir des plans d’action conjoints plus détaillés. Au cours des 30 dernières années, ce mécanisme a permis d’éviter les écueils du passé. Il faut toutefois souligner qu’aucun système de coordination ne peut garantir l’entente entre les organisations: seuls le respect mutuel et des rapports interpersonnels de qualité peuvent donner ce résultat et les solides relations à long terme entretenues par l’OMM et l’UNESCO dans le domaine de l’eau douce en sont un bon exemple.

La Conférence internationale sur les résultats de la DHI a été organisée conjointement par l’UNESCO et l’OMM en 1974. Cette dernière a pu présenter des rapports sur les 60 projets qu’elle avait menés dans le cadre de la Décennie, dont un grand nombre ont fait l’objet de publications techniques qui ont été très utiles pour les SHN. La DHI ayant donné une impulsion à la coopération internationale dans le secteur de l’eau douce, l’OMM a pu, après la Décennie, commencer à reconfigurer son programme relatif à l’eau en fonction de ce nouveau contexte.

Alors que la Décennie avait apporté une nouvelle vitalité et une bonne visibilité aux travaux de l’OMM dans ce domaine, ses principales activités demeuraient axées sur la préparation de lignes directrices internationales en hydrologie opérationnelle, notamment une série d’éditions du Guide des pratiques hydrologiques et de manuels portant sur diverses questions techniques, la publication de notes techniques concernant des sujets plus spécifiques, l’organisation de conférences techniques (souvent en coopération avec l’AISH ou d’autres organisations) et des projets destinés à comparer la performance des outils hydrologiques, comme les pluviomètres, les limnigraphes, les évaporomètres et également les modèles hydrologiques. Alors que la technologie et les pratiques opérationnelles ont beaucoup évolué au fil des ans, notamment par le recours accru aux ordinateurs, le système de travail de la CHy et du Secrétariat de l’OMM a relativement peu changé jusqu’à la fin du XXe siècle.

Contrairement aux SMN, les SHN n’ont pas besoin de normaliser leurs techniques de mesure ou de traitement des données, sauf dans le cas des bassins fluviaux ou aquifères partagés. Chaque pays a donc développé des traditions et des normes souvent très différentes les unes des autres, les pays industrialisés étant autonomes et les pays en développement manquant réellement de lignes directrices et d’expérience, outre les problèmes financiers. Ayant adopté la même approche que dans le domaine de la météorologie, l’OMM a facilité l’échange d’information et de technologie, ce qui a permis non seulement aux pays en développement de bénéficier des progrès réalisés au XXe siècle en hydrologie, mais également aux SHN des pays développés de pouvoir comparer leurs notes avec des collègues d’autres pays riches et d’améliorer ainsi leurs propres méthodes.

Dans les années 50, 60 et 70, personne ne parlait de mondialisation et seuls quelques visionnaires voyaient l’étude de l’hydrologie dans une perspective mondiale mais, grâce à l’OMM, les spécialistes de l’hydrologie opérationnelle ont commencé à former une communauté internationale comparable aux groupes qui s’intéressent aux sciences hydrologiques, sous les auspices de l’AISH et de l’UNESCO.

Tous ces événements ont conduit au Septième Congrès en 1975, qui a approuvé une modification de la Convention de l’OMM, fait rarissime et marquant, afin d’introduire une nouvelle responsabilité pour l’OMM: «encourager les activités dans le domaine de l’hydrologie opérationnelle». Des changements ont également été apportés au Règlement général pour y intégrer la notion de conseillers en hydrologie auprès des représentants permanents et la désignation par les associations régionales de conseillers régionaux en hydrologie. Par ailleurs, le Programme d’hydrologie et de mise en valeur des ressources en eau (PHRE) est devenu un grand programme de l’Organisation. Enfin, l’hydrologie, tout en restant étroitement liée à la météorologie, n’était plus considérée uniquement comme une application de celle-ci mais était reconnue comme une discipline à part entière.

Après le Septième Congrès: la consolidation

La CHy a continué de se réunir: 1976 (Ottawa, Canada), 1980 (Madrid, Espagne), 1984 (Genève), 1988 (Genève), 1993 (Genève), 1996 (Coblence, Allemagne), 2000 (Abuja, Nigéria) et 2004 (Genève), mais la structure et la nature du PHRE sont demeurées essentiellement identiques pendant plus de 30 ans. On pourrait se demander si c’est une bonne chose. Dans ce cas, on peut répondre sans hésiter: «oui». Même si le contexte politique et technique a beaucoup changé, les besoins fondamentaux des SHN sont restés les mêmes; ils doivent collecter, stocker et analyser des données hydrologiques, évaluer l’abondance et la qualité des ressources en eau douce dans une région donnée et prévoir les niveaux des cours d’eau et des aquifères, ainsi que l’intensité des crues et des sécheresses.

Les activités de la CHy et de l’OMM dans leur ensemble ont été décrites dans de nombreux articles parus au fil des ans dans le Bulletin de l’OMM. En reparcourant ces articles, nous pouvons affirmer que l’Organisation a de quoi être fière de ce qu’elle a accompli dans le domaine de l’hydrologie opérationnelle à l’échelle nationale et régionale pendant près de 50 ans. Comme elle était confrontée à l’origine avec le problème de statuer sur le rôle qu’elle devrait jouer à l’échelle internationale dans ce secteur, elle a dû le faire avec assez de précision. En comparaison, les documents fondamentaux des autres institutions de l’ONU n’énoncent que de manière très générale leurs champs de responsabilité. Nombreux sont ceux qui auraient voulu que l’OMM élargisse ses perspectives, mais celle-ci avait ses raisons, et de bonnes raisons par surcroît, de restreindre son cadre d’action. L’Organisation occupe donc une position unique au sein du système des Nations Unies, non seulement en raison de son approche technique, mais également de la délimitation précise des questions dont elle se charge. Ce qui la distingue encore plus c’est qu’elle est très consciente du fait qu’elle se compose des SMN et SHN du monde entier et que ce sont eux qui font le travail au nom de l’OMM avec l’appui, selon qu’il convient, du Secrétariat.

Les décisions prises par le Septième Congrès ont clairement affaibli la possibilité que l’institution devienne l’Organisation météorologique et hydrologique mondiale sans même parler d’une Organisation géophysique mondiale, mais elles ont montré de manière manifeste au secteur de l’hydrologie opérationnelle qu’il pouvait compter sur l’Organisation comme partenaire naturel face au monde complexe et souvent déroutant de l’eau douce internationale. C’est ce même statut et cette même structure qui sont demeurés intacts jusqu’à nos jours, quelque 33 années plus tard.

De nouvelles pressions s’exerceront, et s’exercent déjà, en vue de réorganiser les institutions du système des Nations Unies. Il revient aux Membres de décider si l’OMM devrait élargir son champ de responsabilités, mais une chose est sûre, les origines du Programme d’hydrologie et de mise en valeur des ressources en eau et le contexte dans lequel il s’est développé l’ont bien servi et ont permis de mettre en place un cadre de travail à la fois bien défini et souple dans lequel les SHN peuvent se sentir à l’aise, optimiser leurs efforts et contribuer de concert au développement national et international.

Note de l’auteur

Les faits relatés dans cet article ont été tirés des nombreuses conversations que j’ai pu avoir avec ceux qui ont participé à l’époque à la création du PHRE et, notamment, des deux sources citées ci-après, ainsi que de mon expérience personnelle de près de 30 ans au sein du Secrétariat de l’OMM. La plus grande difficulté a été pour moi de décider ce que je devais mentionner et ce que je devais mettre de côté. Je tiens particulièrement à remercier tous mes collègues, experts nationaux et membres du Secrétariat pour tout le plaisir que m’a procuré notre collaboration et pour leur amitié. S’ils ne sont pas d’accord avec certaines parties de cet article ou s’ils considèrent que j’ai oublié un élément important à leurs yeux, je leur présente à l’avance mes plus sincères excuses.



Bibliographie

OMM, 1986: Silver Jubilee of the WMO Commission for Hydrology, Actes des célébrations tenues à Budapest les 11 et 12 juillet 1986, Rapports techniques présentés à la Commission d’hydrologie N° 22, WMO/TD N° 84, Genève.

Batisse, Michel, 2005: The UNESCO Water Adventure, from Desert to Water … 1948–1974 (Du désert jusqu’à l’eau … 1948-1974. La question de l’eau et l’Unesco: de la “zone aride” à la “Décennie hydrologique”), Essai du PHI sur l’histoire de l’eau N° 1, Document historique de l’AAFU 4, UNESCO, Paris.

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* Président, Association internationale des sciences hydrologiques et ex-Directeur du Département de l’hydrologie et des ressources en eau, Secrétariat de l’OMM

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