par Laban Ogallo* et Christopher Oludhe*
Introduction
Le Centre de prévision et d’applications climatologiques (ICPAC) relevant de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) est un centre régional spécialisé dans la surveillance et la prévision du climat, les alertes précoces et les applications climatologiques. Il a pour vocation de réduire les risques liés au climat, et plus particulièrement à sa variabilité et à son évolution, pour les besoins des stratégies nationales et régionales de lutte contre la pauvreté et de promotion du développement durable.
Le Centre s’emploie pour cela à renforcer les capacités des services météorologiques et des secteurs auxquels ils s’adressent, à cartographier les risques climatiques, à surveiller et prévoir le climat et diffuser des alertes précoces, augmenter la précision des produits climatologiques et à concevoir puis mettre en œuvre les moyens requis pour réduire les risques liés au climat, en particulier dans les secteurs sensibles aux conditions climatiques. Le présent article porte sur les enseignements tirés de l’expérience acquise par l’ICPAC depuis 1989, c’est-à-dire depuis qu’il s’applique avec succès à mettre l’information sur le climat au service de la prise de décisions.
Utilisation des produits émanant des forums régionaux sur l’évolution probable du climat (FREPC)
Au début de chaque saison, l’ICPAC diffuse une prévision climatique saisonnière à l’issue d’un forum régional sur l’évolution probable du climat (FREPC), formule originale qui a été instituée tout d’abord en Afrique. Ce type de forum a vu le jour dans le cadre du projet CLIPS (Services d’information et de prévision climatologiques) de l’OMM, avec le soutien des Services météorologiques et hydrologiques nationaux (SMHN), des centres climatologiques régionaux et internationaux et de bien d’autres partenaires.
Les forums régionaux sur l’évolution probable du climat réunissent des climatologues nationaux, régionaux et internationaux qui collaborent concrètement à l’établissement de prévisions climatiques régionales à partir des informations fournies par les SMHN, les centres climatologiques régionaux (CCR) et les organismes climatologiques internationaux. Il s’agit en effet de stimuler le dialogue entre les météorologues, les secteurs d’activité concernés, les pouvoirs publics, les organisations non gouvernementales, les universités, etc., afin d’harmoniser l’accès à l’information climatologique et l’interprétation de celle-ci.
Grâce à un dialogue avec les usagers des différents secteurs, les organismes de vulgarisation et les décideurs, les participants à ces forums régionaux évaluent les incidences probables des prévisions saisonnières sur les secteurs socio-économiques les plus directement concernés dans la région considérée et étudient les moyens de tirer le meilleur parti possible de ces prévisions. Les forums sont par ailleurs précédés d’un volet «renforcement des capacités» s’adressant aux climatologues et visant à approfondir leur connaissance des processus climatiques régionaux, à perfectionner les modèles et améliorer la prévision du climat régional, à vérifier et évaluer les capacités de prévision, à évaluer les avantages que procurent les produits émanant des FREPC, etc. Suivis par la diffusion régulière de prévisions à 10 jours et de prévisions mensuelles, les forums régionaux sur l’évolution probable du climat devraient à l’avenir faire partie intégrante des programmes conduits par les divers organismes concernés.
L’ICPAC et ses partenaires ont également entrepris un certain nombre de projets pilotes visant à évaluer et diffuser des exemples d’utilisation réussie des produits de la prévision climatique saisonnière et à mettre en lumière les problèmes rencontrés dans ce domaine. Ces projets portent également sur la mise au point de nouvelles méthodes pour la conception, la diffusion, l’interprétation, l’utilisation et l’évaluation des informations climatologiques et des prévisions saisonnières dans le contexte de la réduction des risques liés au climat, ainsi que sur l’élaboration de nouveaux outils permettant aux décideurs de mettre à profit les informations contenues dans les prévisions saisonnières.
Ces projets ont fortement contribué à améliorer la qualité des prévisions saisonnières relatives aux précipitations, à renforcer le dialogue avec les usagers des différents secteurs, à sensibiliser les intéressés aux informations et aux prévisions climatologiques utilisées pour les alertes précoces et la gestion des catastrophes et à améliorer les méthodes de diffusion de ces informations et produits. On verra ci-dessus quelques exemples illustrant ce qui précède.
Prévisions relatives à l’agriculture et à la sécurité alimentaire
Des prévisions saisonnières régionales portant sur l’agriculture et la sécurité alimentaire sont maintenant diffusées régulièrement avec l’aide du réseau FEWS NET (systèmes d’alerte précoce aux risques de famine) et d’autres partenaires (figure 1), sur la base des produits issus des forums régionaux sur l’évolution probable du climat. Ces produits sont élaborés lors d’ateliers sur le renforcement des capacités par des spécialistes du climat, de l’agriculture et de la sécurité alimentaire. La plupart des régions pour lesquelles les prévisions climatiques laissaient entrevoir des risques de sécheresse avaient reçu pendant deux saisons successives des précipitations inférieures à la normale: de graves menaces pesaient par conséquent sur les moyens de subsistance des populations et les risques d’insécurité alimentaire étaient élevés. Certaines autorités régionales ont réagi aux pénuries alimentaires annoncées en diffusant des avis incitant les intéressés à privilégier des cultures mixtes, à changer d’emplacement pour les cultures, à opter pour d’autres types de cultures (par exemple en abandonnant le maïs au profit du millet) ou à procéder à des importations précoces de denrées alimentaires, entre autres mesures.
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Figure 1 — Septembre-décembre 2008: prévisions concernant le climat (ICPAC) et la sécurité alimentaire (FEWS NET). |
Prévisions concernant la santé humaine
L’évolution des paramètres météorologiques – précipitations, température, humidité, etc. – a une incidence sur les maladies à transmission vectorielle. Or les extrêmes climatiques tels que les sécheresses et les inondations sont fréquents dans la région de la corne de l’Afrique, ce qui la rend très exposée face aux poussées de paludisme, de choléra, de fièvre de la vallée du Rift et de bien d’autres maladies à transmission vectorielle. D’autres facteurs contribuent à accroître la vulnérabilité de la région dans ce domaine, à savoir la pauvreté, la médiocrité des installations sanitaires qui, quand elles existent, sont insuffisantes face à la forte croissance démographique, des difficultés économiques croissantes qui empêchent les pays de dispenser les soins de santé de base et notamment l’assurance santé, le manque de préparation et/ou l’absence d’une vision globale qui permette aux décideurs de tenir dûment compte de l’information climatologique.
Les récentes évaluations du GIEC ont montré que l’Afrique est le continent le plus vulnérable face au changement climatique. D’autres études ont révélé que certaines maladies comme le paludisme gagnent des régions jusque-là épargnées telles que les hautes terres au climat relativement frais.
L’ICPAC, les SMHN, l’Organisation mondiale de la santé et divers organismes régionaux diffusent désormais régulièrement des bulletins régionaux de prévision sur le paludisme à partir des produits émanant des forums régionaux sur l’évolution probable du climat. Ces produits sont vérifiés lors des forums suivants. Dans le cadre de ces vérifications, Alfred Langat, médecin-chef de santé publique au Ministère kényan de la santé, a fait les déclarations suivantes à propos des produits émanant des FREPC:
Depuis 2001, lorsque le secteur de la santé a commencé à être étroitement associé aux forums sur l’évolution probable du climat, le Ministère kényan de la santé s’est employé à tirer le meilleur parti possible des informations périodiques sur le climat diffusées par l’ICPAC et le Service météorologique du Kenya.
Ces quatre dernières années, le Kenya n’a pas connu de flambée de paludisme, alors qu’auparavant les hautes terres connaissaient chaque année des épidémies de paludisme après la grande saison des pluies. Grâce aux informations climatologiques fournies par l’ICPAC et le Service météorologique, le Ministère de la santé a pu anticiper les épidémies et prendre les mesures voulues. Des larvicides, des insecticides et des antipaludéens sont distribués avant que les extrêmes climatiques annoncés ne se produisent. Les produits émanant des forums sur l’évolution probable du climat ont eu par conséquent un impact extrêmement positif sur le secteur de la santé au Kenya.
Prévisions concernant les réserves d’eau
La majeure partie de la corne de l’Afrique se classe dans la catégorie des zones arides et semi-arides où les ressources en eau de surface sont inégalement réparties. Les quantités d’eau disponibles et la qualité de l’eau sont liées à des facteurs climatiques régionaux, qui ont aussi une incidence considérable sur la production d’énergie hydroélectrique dont la plupart des pays de la région sont fortement tributaires. Or cette forme d’énergie subit directement l’influence des précipitations et de leurs fluctuations; les sécheresses peuvent fortement abaisser le niveau de l’eau dans les réservoirs hydroélectriques ce qui entraîne des pertes économiques énormes, la montée du chômage et la récession économique. À l’inverse, des précipitations trop abondantes peuvent provoquer des inondations avec tous les risques qu’elles comportent – ruptures de barrages, envasement, etc.
Des mesures ont été prises dans la région pour réduire les risques liés aux phénomènes climatiques extrêmes et à leurs incidences sur les ressources en eau et la production d’énergie hydroélectrique. On s’est efforcé notamment de mieux comprendre les régimes climatiques qui étaient à l’origine des phénomènes constatés et leurs liens avec le cycle hydrologique régional, d’accroître la surveillance et de diffuser en temps voulu des alertes précoces ciblées. Les forums sur l’évolution probable du climat sont souvent précédés par des ateliers sur la prévision de l’écoulement fluvial et les menaces qui pourraient peser sur la production régionale d’énergie hydroélectrique. L’ICPAC, le Service météorologique du Kenya et la Compagnie d’électricité nationale du Kenya utilisent un modèle simple (voir la figure 2) pour obtenir des renseignements réguliers sur les risques climatiques saisonniers sur la base des produits émanant des FREPC.
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Figure 2 — Barrage de Masinga: comparaison entre les anomalies observées et prévues du débit entrant pour les mois d’octobre à décembre (source: ICPAC). |
Amélioration de la diffusion des alertes précoces se rapportant au climat
Pour mettre pleinement à profit les informations et les produits climatologiques, il est capital que ces derniers soient diffusés en temps voulu et formulés de façon à être faciles à interpréter. La plupart de ceux qui exploitent l’information sur le climat dans la région de la corne de l’Afrique sont illettrés et vivent dans des zones rurales où les langues tribales ou claniques sont le seul mode de communication. Ce sont souvent les femmes et les enfants qui sont les plus vulnérables face aux risques climatiques et c’est donc à eux que doivent s’adresser en priorité les alertes précoces dans ce domaine.
L’ICPAC, les SMHN et les médias ont instauré des partenariats pour veiller à adapter comme il convient l’échelle des informations climatologiques, à les traduire dans les langues locales et à les diffuser en temps opportun pour permettre aux collectivités de mettre au point des stratégies de prévention adaptées au contexte local et intégrant le savoir autochtone (voir la figure 3).
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Figure 3 — Diffusion de prévisions climatiques saisonnières par des femmes et des écoliers. |
Perspectives
Il reste encore plusieurs difficultés à surmonter pour que les décideurs puissent mettre effectivement à profit l’information sur le climat. On mentionnera:
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Les lacunes des réseaux d’observation et des bases de données qui non seulement se répercutent sur la qualité de l’information mais limitent par ailleurs l’offre de données et de produits essentiels à la prise de décision au niveau local;
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La compréhension insuffisante des processus qui régissent la variabilité du climat et les changements climatiques, y compris les extrêmes, à l’échelle locale ou régionale;
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L’impact direct de nombreux risques climatiques sur la lutte contre la pauvreté et le développement durable dans la région, problème que les chercheurs ont largement négligé. Par ailleurs, le manque de moyens empêche de concevoir des systèmes de surveillance, de prévision et d’alerte précoce véritablement intégrés et adaptés aux différents secteurs d’activité;
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L’insuffisance des activités d’information et de sensibilisation concernant les relations réciproques entre la variabilité et l’évolution du climat, les ressources environnementales disponibles renouvelables et le bien-être socio-économique;
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Des politiques inexistantes ou non appliquées dans les domaines considérés;
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Les problèmes que posent l’interprétation et l’exploitation des produits climatologiques disponibles, notamment en raison de la nature probabiliste de la plupart des messages d’information sur le climat;
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La méconnaissance des évaluations coût-avantage au moment de recourir aux informations et aux prévisions climatologiques disponibles;
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Les lacunes des systèmes de surveillance, de modélisation, de prévision et d’alerte précoce;
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L’absence de partenariats officiels entre les SMHN et les utilisateurs nationaux, régionaux et internationaux qui favoriseraient la prise de décisions concertées;
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L’illettrisme de la plupart des utilisateurs de la région qui ne sont toujours pas en mesure d’interpréter ou de comprendre la terminologie employée couramment par les climatologues;
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L’insuffisance des recherches interdisciplinaires sur les risques et leurs incidences, sur les zones vulnérables et sur les méthodes de prévision et d’alerte précoce;
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L’insuffisance des ressources humaines et des infrastructures.
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* Centre de prévision et d’applications climatologiques (ICPAC) relevant de l’IGAD, PO Box 10304, Nairobi.