Partenariat entre les secteurs privé et public pour la prestation de services

01 octobre 2008


par Neil Gordon*


Introduction

Un certain nombre de facteurs ont conduit de nombreux Services météorologiques nationaux (SMN) à fournir des services à valeur ajoutée, en plus d’assurer les fonctions de base financées par les fonds publics. Soulignons notamment l’orientation générale des organismes gouvernementaux depuis les années 80 et 90 vers une approche plus «commerciale», les pressions financières obligeant les SMN à rechercher d’autres sources de revenus, et le renforcement de la capacité de ces Services à ajouter de la valeur aux services à financement gouvernemental dont ils se chargent déjà.

Par services à valeur ajoutée, j’entends ceux qui ne sont pas formellement financés par les fonds publics. Ils appartiennent à deux catégories: les services à recouvrement des coûts et les services commerciaux. Le présent article portera d’abord sur la nature des divers services offerts et présentera ensuite mon point de vue sur le rôle que le secteur public (c’est-à-dire les SMN) devrait jouer dans la prestation des services commerciaux. Fondés sur mon expérience au sein du Service météorologique néo-zélandais et de l’OMM, les avis exprimés ici sont les miens et ne correspondent pas nécessairement à ceux de mon employeur ou de l’OMM.

Services à financement public

Tous les SMN comptent principalement sur le financement gouvernemental pour l’infrastructure et les services de biens publics de base, y compris les avis. Freebairn et Zillman (2002b)) traitent en profondeur de la question du financement des services météorologiques. Leur article est particulièrement intéressant pour sa description de la nature des biens publics, biens privés et biens mixtes dans le contexte des services météorologiques et son explication des divers modèles institutionnels et modes de financement.

Freebairn et Zillman (2002b)) expliquent aussi pourquoi le financement public de l’infrastructure et des services de base est justifié et nécessaire. Les services publics offrent la caractéristique d’être non concurrentiels (un particulier ou un groupe de personnes peuvent les utiliser à un coût supplémentaire minime) et de présenter un coût d’exclusion élevé (limitation de l’utilisation de l’information à certains usagers). Dans un autre article, Freebairn et Zillman (2002b)) examinent les avantages économiques des services météorologiques.

Il importe d’abord de bien définir et de s’entendre sur ce que sont les services à financement public, en précisant la valeur des fonds accordés. Si l’on change la politique relative aux services ou au niveau de financement ou si les attentes évoluent à cet égard, on peut alors ajuster en conséquence les deux éléments.

Les niveaux de services financés par les fonds publics varient grandement d’un pays à l’autre, selon l’histoire, les budgets, les lois, la culture et, de fait, le climat et les conditions météorologiques.

Dans le passé, les SMN choisissaient, pour la fourniture des prévisions et avis destinés au public, un média et des services, comme les prévisions téléphoniques pré-enregistrées, dont le coût marginal par usager était relativement élevé et qui nécessitaient de faire appel à des mécanismes de recouvrement des coûts. Mais avec l’arrivée d’Internet, la fourniture des services est de plus en plus directe, à un coût moindre et dans un format personnalisable, ce qui fait que ceux-ci peuvent être formellement financés par les fonds publics plutôt que de relever d’un système de recouvrement des coûts.

La définition des services à financement public est particulièrement claire en Nouvelle-Zélande. Comme le décrivent Steiner et al. (1997), un contrat commercial a été mis en place en 1992 pour la prestation des services météorologiques par les SMN au nom du gouvernement. Ces services sont assurés par MetService, une entreprise d’État qui appartient entièrement au gouvernement mais qui est tenue par la loi d’opérer selon les mêmes principes qu’une entreprise privée.

Au moment où le contrat est entré en vigueur, sa valeur corrrespondait aux deux tiers des revenus du Service météorologique néo-zélandais, mais au bout de 15 ans, celle-ci a chuté aux environs de la moitié des recettes, en raison d’une baisse du prix réel du contrat (même si les niveaux de services offerts ont été beaucoup améliorés) et de l’élargissement des activités de l’entreprise à d’autres secteurs.

Services à recouvrement des coûts

Le financement direct du gouvernement ne peut jamais couvrir tous les services météorologiques dont l’ensemble de la population a besoin. Le système de recouvrement des coûts convient aux situations où les services fournis sont des «biens mixtes» ou des «biens privés» (voir les définitions de Freebairn et Zillman (2002b)) et où, pour quelque raison que ce soit, le SMN est la seule organisation responsable du service.

Ces services à recouvrement des coûts ne sont pas de nature véritablement commerciale, puisqu’aucun mécanisme de marché n’établit les prix et qu’il n’existe aucune concurrence ni contestabilité explicites. Le montant imputé devrait, en général, correspondre au coût marginal de la fourniture des services, y compris les frais généraux. Ces derniers ne doivent pas être sous-estimés. Par exemple, les frais de personnel imputables se situent aux environs de 1,5-2,5 fois les coûts salariaux réels, si l’on prend en compte les frais de recrutement, de formation et de gestion du personnel, ainsi que l’utilisation des installations.

Les situations où le système de recouvrement des coûts est particulièrement bien adapté sont les suivantes:

  • Frais d’accès par les particuliers ou les entreprises privées à l’information recueillie ou produite par les SMN (par exemple données d’observation; données météorologiques radar; prévisions et avis financés par les fonds publics; résultats de modèles de prévision numérique du temps (PNT));
  • Frais d’appel d’un particulier destiné à un prévisionniste d’un SMN pour une consultation personnelle au sujet du temps: voilà un bon exemple de situation de «concurrence» qui présente aussi un faible coût d’exclusion, une seule personne pouvant profiter de cette consultation qui tient éloigné le prévisionniste de ses tâches habituelles, consistant par exemple à améliorer les prévisions et avis destinés au public;
  • Coût d’une consultation personnelle concernant le temps ou le climat, lorsque le SMN détient une expertise absente du secteur privé, ou des informations uniques (par exemple pour une enquête sur une catastrophe d’origine météorologique);
  • Frais d’accès téléphonique aux prévisions. Il s’agit d’une situation concurrentielle car le coût par appel est relativement élevé, mais le coût d’exclusion est bas; c’est approprié si le gouvernement ne finance pas les coûts défrayés par ceux qui bénéficient de l’accès à ce type de service;
  • Frais d’accès aux données et produits à financement public affichés sur Internet, s’ils ne sont pas déjà pris en charge par le gouvernement. Même si ce coût est beaucoup plus faible que pour des services comme les prévisions téléphoniques pré-enregistrées, le coût global peut être élevé. Si cela est permis par les politiques en vigueur, le recours à la publicité ciblée constitue une option de recouvrement des coûts.

Il faut disposer d’un cadre législatif et institutionnel permettant aux SMN de conserver les sommes perçues pour le recouvrement des coûts, faute de quoi ceux-ci ne font que défrayer les coûts et l’argent est versé dans les revenus généraux du gouvernement.

prévisionniste devant des écrans de contrôle  
Le prévisionniste de phénomènes météorologiques dangereux de MetService, John Crouch, consulte par téléphone un gestionnaire des urgences. Son temps est mieux employé à améliorer les avis et à communiquer avec les autorités qui peuvent aider à sauver des milliers de vies, plutôt qu’à traiter une demande individuelle provenant d’un particulier.  
   

Un domaine important pour de nombreux SMN est l’assistance météorologique à l’aéronautique. Ce cas illustre bien un aspect des services météorologiques destinés au public (SMP): le recouvrement des coûts autres que le coût marginal de prestation du service. Conformément aux ententes conclues entre l’Organisation de l’aviation civile internationale et l’OMM, les SMN peuvent inclure dans les coûts recouvrés pour les services météorologiques destinés à l’aviation une partie de l’infrastructure de base utilisée pour ces services, dont les systèmes d’observation et les installations de prévision numérique du temps et de prévision courante. Cela non seulement contribue à financer l’infrastructure de base mais également modifie implicitement, voire explicitement, l’accord entre le gouvernement et les SMN, en réduisant le montant que celui-ci doit verser à l’organisme pour les services de base.

Mais un autre cas peut aussi se produire dans le domaine des SMP, à savoir lorsque le gouvernement demande à son SMN de recouvrer les coûts non seulement pour l’accès aux informations et produits d’observation, mais également pour couvrir une partie des frais de collecte et de production. Comme ces données et produits font aussi l’objet d’un échange libre et gratuit`à l’échelle internationale, cela a déclenché un vif débat au cours des années 90, qui a conduit l’OMM à adopter la résolution 40 lors du Douzième Congrès météorologique en 1995, laquelle a mis fin à la polémique.

Services commerciaux

Par services commerciaux, j’entends les services à valeur ajoutée dont le SMN n’est pas le seul fournisseur possible et pour lesquels le prix est établi par le marché sous l’effet de la concurrence. Même si la distinction entre les services à recouvrement des coûts et les services commerciaux n’est pas toujours nette, en particulier dans les pays où le secteur privé n’est pas très actif, cela constitue quand même un cadre utile pour examiner les questions s’y rapportant.

Pourquoi les SMN envisagent-ils de fournir des services commerciaux? Les cinq raisons principales sont les suivantes:

  • Financement—par exemple, pour obtenir des revenus supplémentaires afin de compenser la réduction du financement public, ou pour financer de nouvelles activités et la dotation en personnel;
  • Culture axée sur les clients—pour renforcer la prestation des services dans tous les domaines;
  • Culture de l’innovation—pour profiter des avantages liés à l’application d’innovations aux services commerciaux dans d’autres secteurs;
  • Éthique professionnelle—pour veiller à ce que les clients aient accès à des services commerciaux conformes à des normes professionnelles élevées et aux directives de l’OMM et d’autres organismes;
  • Besoins des clients—pour bénéficier d’avantages réels procurés par de nouveaux services commerciaux afin de répondre à certains besoins non satisfaits, ce qui a un effet stimulant sur le financement public.
  page d'alerte météorologique sur le site du MetService
  Les pages Web MetService constituent un moyen pratique d’accéder aux avis et veilles de phénomènes météorologiques dangereux à financement public. Le coût de ce service est financé en partie par la publicité, y compris les annonces concernant le service de prévision téléphonique pré-enregistrée à recouvrement des coûts (MetPhone).
   

Problèmes relatifs à la prestation de services commerciaux par les SMN

Il peut sembler au départ très intéressant d’envisager de fournir des services commerciaux, pour les raisons énumérées dans la section précédente. Il faut toutefois prendre en compte certains aspects importants.

Par définition, la prestation de services commerciaux suppose une situation de concurrence avec d’autres fournisseurs et exige un rendement et une expérience dans des conditions très compétitives qui font souvent défaut aux SMN, du moins au départ.

L’obtention et l’accroissement des revenus commerciaux demandent un investissement initial, ce qui signifie qu’en l’absence d’investissements supplémentaires importants, les services commerciaux seraient interfinancés par les gouvernements. On court alors le risque que les SMN détournent les ressources et se concentrent trop sur la prestation de ce type de services, au détriment de la qualité de ses activités traditionnelles de base.

Si un SMN arrive à aller chercher des revenus commerciaux substantiels, il peut alors aussi perdre une partie de ses activités au profit d’entreprises privées, conditions défavorables pour les SMN qui n’ont pas la structure institutionnelle voulue pour faire face aux répercussions des grandes variations de recettes (surtout au niveau du personnel).

De plus, les SMN peuvent se retrouver dans une situation délicate en rapport avec les conflits d’intérêts et la transparence des coûts. Ces Services sont à la fois des sources de données et produits de base et des concurrents potentiels pour les sociétés privées. Un SMN pourrait être tenté de limiter l’accès par un concurrent à ses informations ou à son expertise, ce qui n’est pas dans le meilleur intérêt de l’ensemble du secteur. Dans de nombreuses juridictions, la loi sur la concurrence exige une transparence complète et la séparation des activités, afin d’assurer l’égalité des chances entre les SMN et les autres fournisseurs commerciaux, ce qui peut engendrer des coûts supplémentaires pour les SMN qui doivent prouver qu’ils ne détiennent pas d’avantages déloyaux en vertu de cette loi.

Même si je sais par expérience que la prestation de services commerciaux peut permettre de mieux s’orienter vers les besoins des clients et l’innovation, il est aussi possible en grande partie de le faire en adoptant une approche plus centrée sur les clients avec le gouvernement, ainsi qu’avec le grand public et d’autres institutions, au nom desquels celui-ci finance les services, et en cherchant à appliquer les innovations à ces mêmes services.

Tout milieu professionnel est intéressé à maintenir des normes de qualité élevées afin de veiller à ce que les clients reçoivent les meilleurs services possibles, et le secteur de la météorologie ne fait pas exception à la règle. Cela est particulièrement important lorsque la sécurité des vies humaines et du matériel est en jeu, ce qui a conduit à adopter des mesures réglementaires et des directives concernant, par exemple, la prévision aéronautique. Et nous sommes tous indignés par la publicité accordée à des méthodes de prévision dénuées de fondement scientifique. L’une des solutions réside dans l’éducation du public et des clients. Par contre, les services commerciaux sont censés répondre aux besoins des clients par le biais de mécanismes de marché; à part la réglementation et l’éducation, le client est l’ultime arbitre en matière de qualité de service, y compris le niveau de professionnalisme.

Enfin, si certains besoins ne sont pas satisfaits, cela vaut la peine de voir s’il serait préférable que les SMN travaillent en partenariat avec le secteur privé afin de faciliter l’accès aux données et produits financés par les fonds publics et aux résultats de la recherche-développement, sur lesquels les nouveaux services pourraient se fonder. Pour en savoir plus sur l’optique américaine dans ce domaine, il convient de consulter la référence National Academy of Science (2003).

Conclusions

Selon moi:

  • Les SMN devraient définir de manière précise les services à financement public;
  • Les SMN devraient vérifier s’il existe des mécanismes leur permettant de mettre en œuvre les services à recouvrement des coûts et d’en tirer avantage;
  • Les SMN devraient optimiser les possibilités offertes par les technologies Internet pour fournir directement aux utilisateurs finals les SMP à financement public, les coûts étant formellement défrayés par les gouvernements ou assujettis à des mécanismes à recouvrement des coûts, y compris la publicité ciblée (éventuellement en partenariat avec des entreprises du secteur privé);
  • Les SMN devraient soigneusement déterminer s’il est préférable de travailler en partenariat avec des sociétés privées en vue de faciliter l’accès aux données, produits, résultats de la recherche-développement et expertises et afin d’optimiser les avantages découlant des données et produits à financement public pour l’ensemble du secteur, plutôt que d’entrer en concurrence avec le secteur privé. Cette aide et cette facilitation devraient fonctionner par le biais de mécanismes de recouvrement des coûts. Par ailleurs, en collaborant avec le secteur privé, il faudrait parvenir à un accord sur la façon de reconnaître la contribution des SMN, afin d’assurer le soutien public et gouvernemental aux infrastructures et services de base.
  • Si les besoins des clients ne sont toujours pas satisfaits, il faudrait alors explorer d’autres options en faisant appel à des mécanismes de recouvrement des coûts.

Bibliographie

Freebairn, J.W., et J.W. Zillman, 2002(a): Economic benefits of meteorological services, Meteorol. Appl., 9, 33-44.

Freebairn, J.W., et J.W. Zillman, 2002(b): Funding Meteorological Services, Meteorol. Appl., 9, 45-54.

National Academy of Sciences, 2003: Fair Weather: Effective Partnerships in Weather and Climate Services, 238 pp.

Steiner, J.T., J.R. Martin, N.D. Gordon et M.A. Grant, 1997: Commercialization in the provision of meteorological services in New Zealand. Meteorol. Appl., 4, 247-257.

* Service météorologique néo-zélandais

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