Par Ramasamy Selvaraju1 avec la contribution de Nguyen Dai Khanh2, Landrico U. Dalida Jr3, Potoy Alvina4, Philip Chung5, Einstein Tejada6, Oscar J. Mendoza Luzcúber6, Ruben Mori7, Tshithiwa Madima8 et Babu Ram Gautam9
Les produits et les services d’information climatologique ciblésqui sont fournis aux agriculteurs doivent donner un large éventail d’indications se rapportant au climat, à ses incidences sur les cultures, l’élevage et la pêche et aux pratiques de gestion à suivre pour prévenir, atténuer et/ou gérer les risques. Cette information adaptée aide à prendre de bonnes décisions de gestion pour réduire les risques et tirer parti des possibilités offertes par la variabilité et l’évolution du climat. Il est donc important qu’elle renferme divers éléments détaillés, ainsi que les renseignements transmis par les organismes et services de soutien à l’agriculture, les fournisseurs, les coopératives locales ou les organisations communautaires afin d’aider les agriculteurs à prendre des décisions concrètes, réalistes et appropriées.
Les services d’information climatologique adaptés aux conditions locales doivent tenir compte de divers paramètres, dont les perceptions au sein de la population, le savoir acquis sur place, les moyens de subsistance, la vulnérabilité, les questions de genre et la fiabilité des moyens de communication. De tels services favorisent la participation des populations locales et l’échange d’information dans les deux sens. La mise en place de plates-formes d’interface utilisateur au niveau local est cruciale pour recueillir et faire la synthèse des données relatives aux conditions météorologiques et climatiques locales, aux cultures et au prix des récoltes et des intrants sur le marché, exploiter les prévisions météorologiques et climatologiques, analyser et élaborer des perspectives d’impact et des pratiques de gestion, et communiquer avec les utilisateurs finals.
La FAO a acquis une grande expérience dans ce domaine grâce à l’assistance technique qu’elle procure à ses membres en vue d’améliorer les produits d’information climatologique adaptés aux conditions locales. Une bonne partie de cette expérience est riche d’enseignements pour les partenaires de la FAO au sein du Cadre mondial pour les services climatologiques (CMSC). Chacune des études de cas présentées ci-dessous met en lumière des aspects différents de la question.
Évaluation des besoins afin d’élaborer des services d’information climatologique axés sur les utilisateurs
Le Ministère de l’agriculture et le Service de développement rural et d’hydrométéorologie du Viet Nam ont conclu un partenariat avec la FAO afin d’évaluer les besoins de divers organismes d’utilisateurs dans trois provinces montagneuses du nord du pays – Lao Cai, Yen Bai et Phu Tho. Environ 200 membres du personnel oeuvrant au niveau des provinces, des districts et des communautés ont été priés de répondre à des questionnaires structurés dans le but de connaîtreleurs besoins et de cerner les lacunes actuelles. Des enquêtes sur place et des réunions de réflexion ont également été organisées à l’échelon local pour mieux comprendre les attentes des utilisateurs finals.
Les résultats montrent que 84 % des personnels des institutions recherchent activement des produits et des services météorologiques et climatologiques pour élaborer une information sur les risques qui soit utile à la prise de décisions. Plus de 80 % d’entre eux ont besoin d’indications sur les impacts probables dans des secteurs spécifiques, et de produits et services de prévision à valeur ajoutée prortant sur des emplacements précis. Toutefois, cette information est utilisée à des fins différentes: dans 67 % des cas, elle doit servir àconférer une valeur ajoutée aux bulletins météorologiques destinés aux utilisateurs finals et, dans 33 % des cas, à améliorer la préparation institutionnelle en vue d’une gestion anticipative des risques. À l’échelon des provinces, la majorité des personnels recherche des informations climatologiques propres à améliorer la préparation institutionnelle, tandis qu’à l’échelon des districts et des communautés, la plupart souhaite recevoir plus d’informations détaillées afin de préparer les bulletins destinés aux utilisateurs finals. Environ 46 % des personnes interrogées trouvaient l’information climatologique très technique; 35 % n’ont pas répondu, faute essentiellement de connaissance de ces produits et services. Plus d’un tiers jugeait les délais des prévisions trop courts pour aider à prendre des décisions et 91 % souhaitaient recevoir des produits plus simples, faciles à utiliser.
Renforcement des capacités
Les résultats de l’enquête susmentionnée soulignent, d’une part, la nécessité de renforcer les capacités et de former le personnel des institutions, tant au niveau des provinces que des districts et des communautés, et, d’autre part, l’importance d’axer le renforcement des capacités sur les besoins des utilisateurs intermédiaires. Les agriculteurs ne bénéficient pas pleinement des services climatologiques parce que les institutions ne disposent pas des compétences techniques requises pour établir des perspectives d’impact et des options de parade et pour communiquer avec eux. Par conséquent, les mesures de renforcement des capacités mises en place par la FAO s’attachent à former les pouvoirs publics au niveau des provinces et des districts.
Par exemple, la FAO, le Gouvernement de l’Afrique du Sud, l’Université de l’État libre et les Services météorologiques sud-africains ont conclu un partenariat sur la formation du personnel des Services provinciaux de l’agriculture en vue d’améliorer les bulletins agrométéorologiques dans les provinces de KwaZulu Natal et de Mpumalanga. Cette initiative vise à fournir des bulletins ciblés aux populations locales qui se sont récemment lancées dans l’agriculture.
Apprentissage participatif et processus décisionnel
L’utilisation efficace et généralisée des services climatologiques passe par l’amélioration de la communication entre les fournisseurs et les utilisateurs et par la diffusion latérale de l’information entre les utilisateurs finals. Les écoles d’agriculture de terrain de la FAO constituent un excellent mécanisme de rencontre qui favorise l’apprentissage entre les agriculteurs.
Au Népal, une équipe multidisciplinaire a pris part au dialogue, facilité par la FAO, entre le Département de l’hydrologie et de la météorologie et le Bureau de district du Ministère de l’agriculture dans le but d’évaluer les besoins locaux en matière de services climatologiques. Selon ses conclusions, l’un des grands objectifs doit être d’améliorer la compréhension des conditions climatiques locales, mais la priorité absolue est de renforcer les réseaux agrométéorologiques et de mieux utiliser les données climatologiques passées. En effet, une fois intégrées dans l’enseignement offert par les écoles d’agriculture de terrain, les données historiques aident les utilisateurs finals à comprendre les produits et services climatologiques et à échanger sur la question.
Lors des écoles d’agriculture de terrain organisées dans le district népalais d’Arghakhanchi, des informations à valeur ajoutée concernant les interactions entre le climat et les cultures, fondées sur des données historiques et analysées en fonction du contexte local, ont favorisé les débats entre les agriculteurs sur les effets probables des conditions météorologiques et sur les mesures de préparation. Les participants ont acquis ainsi un savoir sur la variabilité et l’évolution du climat, et l’impact de ces derniers sur leurs moyens de subsistance. Les écoles d’agriculture de terrain ont permis au Département d’hydrologie et de météorologie et au Bureau de district du Ministère de l’agriculture de sensibiliser les agriculteurs locaux et de promouvoir l’apprentissage entre eux. Les conditions météorologiques et l’état des cultures ont fait l’objet de discussions hebdomadaires. Grâce à ces fréquents échanges, le Bureau de district a pu mieux cerner les besoins des utilisateurs finals en matière de formation et repenser en conséquence les cours offerts.
Création de partenariats
Beaucoup estiment qu’il appartient aux fournisseurs de l’information climatologique de conférer une valeur ajoutée à leurs produits et services et de les adapter aux besoins des secteurs et des localités. En réalité, la plupart de ces fournisseurs ne disposent pas de moyens humains suffisants ni des capacités techniques requises pour mener à bien cette tâche. Un projet mis en oeuvre par la FAO aux Philippines a montré combien il était important de créer des partenariats forts et décentralisés entre les services météorologiques, les services de l’agriculture, les instituts de recherche et les autorités provinciales, municipales et villageoises pour fournir des produits et des services climatologiques de bout en bout. La valeur ajoutée doit être apportée au niveau des institutions qui sont des utilisateurs intermédiaires, en étroite concertation avec les services météorologiques.
Ce projet a amené la Division des services régionaux chargée du sud de l’île de Luçon, au sein de l’Administration des services atmosphériques, géophysiques et astronomiques des Philippines (PAGASA), et le Ministère de l’agriculture à débattre ensemble des rôles et des responsabilités relativement aux «mécanismes d’interface utilisateur» au niveau local. Un mémorandum d’accord conclu entre plusieurs organismes a permis de renforcer l’engagement des institutions concernées et de préciser les rôles et les responsabilités de chacune. La nouvelle plate-forme d’interface utilisateur a eu des résultats positifs, notamment:
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La Division des services régionaux de la PAGASA a accru la fréquence et la qualité des prévisions concernant l’évolution probable du climat, car elle connaît mieux le profil et les besoins des utilisateurs;
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Le Département régional de l’agriculture est chargé d’interpréter, de préparer et de diffuser les bulletins mensuels destinés aux agriculteurs, ce pour quoi il a été dûment formé;
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Les agents de vulgarisation agricole, tant au niveau des provinces que des municipalités, ont pour tâche de communiquer les bulletins aux autorités locales et aux utilisateurs finals;
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Les chefs de «barangay» surveillent et observent les conditions météorologiques à partir des stations nouvellement installées et communiquent ces informations à la Division des services régionaux de la PAGASA.
Ces résultats sont le fruit d’un grand nombre d’évaluations, d’un long dialogue ininterrompu et d’un renforcement ciblé des capacités. L’effort était toutefois justifié par la fréquence des phénomènes météorologiques et climatiques qui influent sur l’agriculture, par le rôle concret que peuvent jouer les fournisseurs d’information et les utilisateurs dans un modèle décentralisé et par l’importance de désigner au sein de chaque organisme des responsables de l’avancement des tâches.
Accès de tous à l’information
L’accès des populations les plus vulnérables à l’information climatologique est indispensable dans le secteur agricole. En Bolivie par exemple, dans les villages des départements de Potosí (hauts plateaux des Andes) et de Beni (plaines du Nord), régions particulièrement vulnérables, l’information climatologique est cruciale pour mettre en oeuvre des plans de réduction des risques qui protègent les moyens de subsistance des agriculteurs. Toutefois, les mécanismes devant faciliter la communication bilatérale nécessaire à la prestation de tels services ne fonctionnaient pas correctement.
La collaboration, facilitée par la FAO, entre les institutions départementales et le Service national de météorologie et d’hydrologie (SENAMHI) s’est traduite par la mise en oeuvre et le renforcement de systèmes d’alerte précoce (Sistemas de alerta temprana – SAT) qui génèrent et diffusent l’information relative aux risques hydrométéorologiques et communiquent les niveaux d’alerte aux correspondants dans les départements, les municipalités et la population. Le SENAMHI dispose aujourd’hui d’un logiciel qui transmet automatiquement l’information climatologique traitée à un certain nombre d’unités de gestion des risques. La base de données du système contient les numéros de téléphone mobile des fonctionnaires clés au sein des municipalités et des départements. Les messages sont tout d’abord envoyés aux mécanismes d’interface SAT, à l’échelon départemental, et aux unités de gestion des risques, à l’échelon muncipal, afin d’accélérer la préparation. Ce sont les unités de gestion des risques qui alertent la population. L’information des utilisateurs finals s’effectue essentiellement par radio, en passant par des centres/postes de santé communautaire.
Le système fonctionne bien; il permet de déclencher l’alerte en cas de phénomène météorologique extrême, ce qui constitue un net progrès pour les populations locales. Toutefois, il reste à améliorer la communication d’une information climatologique détaillée à valeur ajoutée, par exemple sur les différentes solutions pouvant être mises en oeuvre en vue de gérer les risques climatiques qui menacent le bétail et les cultures. La probabilité attachée aux alertes n’est pas encore transmise à la population, mais cela devrait se faire sous peu. L’objectif premier aujourd’hui est de réduire les pertes de vies humaines. On envisage par ailleurs de mettre à profit ce canal de communication et ce mécanisme d’interface pour diffuser des prévisions climatologiques à longue échéance qui aideraient à protéger les moyens de subsistance.
Prise en compte des moyens de subsistance
Les produits et services d’information climatologique adaptés aux conditions locales devraient faciliter la prise de décisions concernant les stratégies de subsistance des populations. Avec son Plan de gestion des risques de catastrophes dans l’agriculture (ADRMP), la Jamaïque s’emploie à élaborer un programme de météorologie agricole et de données de référence sur les moyens de subsistance. L’Autorité de développement agricole rural (RADA), avec l’assistance technique des Services météorologiques de la Jamaïque (JMS) et l’aide de la FAO, a acquis et installé des stations météorologiques automatiques dans toutes les grandes régions de production du pays. Ce matériel enregistre les paramètres qui conditionnent la croissance des cultures, notamment la pluviosité, la température, la vitesse du vent, l’humidité relative et le rayonnement solaire. Il calcule également des valeurs dérivées comme l’évapotranspiration et le point de rosée et peut être équipé d’autres capteurs pour mesurer la température du sol, le mouillage des feuilles, etc. Le Programme RADA/JMS de météorologie agricole a plusieurs objectifs:
- Permettre aux agriculteurs de déterminer plus justement la nature et le calendrier des travaux qui dépendent des conditions climatiques et météorologiques, notamment la plantation, l’irrigation, l’épandage d’engrais et la lutte contre les parasites;
- Fournir aux exploitants une information agrométéorologique qui favorise l’efficacité et la compétitivité de la production;
- Permettre de mieux évaluer et estimer la production/ productivité des culture
La riche base de données agrométéorologiques de la RADA peut aussi prendre en charge un régime d’assurance paramétrique contre les risques de catastrophes. De même, la base de données de référence relatives aux moyens de subsistance, qui contient des renseignements précis sur les activités conduites, les actifs détenus et les vulnérabilités présentes dans les différentes localités, peut procurer des informations additionnelles en vue d’adapter les services d’information climatologique aux besoins locaux.
Une multitude de services à valeur ajoutée seront offerts: prévision du temps local avec les phases lunaires, prévision du rendement des cultures et des niveaux de production, établissement des calendriers de plantation et d’irrigation, évaluation des besoins d’irrigation, élaboration de programmes de gestion des maladies et des parasites incluant des systèmes d’alerte précoce, détermination du potentiel de production agricole (et d’élevage) par zones, diffusion de bulletins sur la gestion de la sécheresse agricole et la planification des interventions, surveillance des vents pour l’assurance paramétrique contre les risques agricoles et, enfin, création d’une base de données pour de futures analyses des relevés historiques et des tendances. La RADA entend élargir le programme afin de faciliter l’évaluation des cultures, la gestion des ressources naturelles et la prestation de services améliorés aux populations les plus vulnérables des régions montagneuses et des zones côtières.
Engagement et financement
La viabilité des services d’information climatologique et météorologique adaptés aux conditions locales dépend également de l’engagement des autorités locales et de l’affectation de crédits pour assurer la pérennité des réseaux d’observation, moyens de communication, systèmes d’alerte locale et activités de renforcement des capacités. Dans le cadre d’un projet mené avec le SENAMHI du Pérou, on a installé des laboratoires de gestion des risques gérés par les autorités locales dans les communautés andines des provinces de Canchis et Canas (région de Cuzco) et de Lampa (région de Puno). Ces laboratoires assurent l’interface entre les fournisseurs de services climatologiques et les utilisateurs. Des stations météorologiques ont été mises en place dans les villages pour surveiller et enregistrer les données locales qui seront intégrées dans des services climatologiques ciblés à l’intention des agriculteurs. Une formation a été dispensée aux personnes responsables des observations et à celles chargées de la communication bilatérale, par courrier électronique, avec le SENAMHI à Lima d’une part, et avec les agriculteurs d’autre part. La fréquence des échanges devra être accrue afin que les agriculteurs aient le temps d’utiliser l’information transmise pour prendre des décisions.
L’équipe de gestion des risques à l’échelon communautaire a préparé pour le secteur agricole des cartes de la vulnérabilité des villages qui précisent les principaux moyens de subsistance. Ces cartes serviront à adapter les services météorologiques et climatologiques aux besoins locaux. On a également élaboré un plan de gestion des risques pour réduire les effets du gel, des tempêtes de grêle et de la sécheresse sur les grandes cultures. Un mécanisme de communication a été mis en place pour diffuser cette information aux membres de la communauté, mais sa capacité devra être augmentée pour pouvoir atteindre rapidement toutes les personnes concernées.
Le facteur déterminant pour la viabilité du projet est le fait que les autorités communales ont négocié avec les autorités locales (le Conseil) une ligne budgétaire pour l’exploitation et la maintenance de la plate-forme d’interface utilisateur et deslaboratoires de gestion des risques. L’accord conclu entre la municipalité et la communauté garantit la pérennité de ces laboratoires.
Mise en commun d’autres enseignements
Les partenaires qui rejoindront progressivement le Cadre mondial pour les services climatologiques apporteront leur propre expérience en matière d’amélioration et d’adaptation des produits et services climatologiques aux besoins des utilisateurs finals. De nouveaux enseignements en seront tirés afin d’atténuer les risques et de tirer parti des possibilités qui accompagnent la variabilité et l’évolution du climat.
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1 Division du climat, de l’énergie et des régimes fonciers, FAO, Rome
2 Service hydrométéorologique national, Hanoi, Viet Nam
3 Southern Luzon PAGASA Regional Services Division, Legaspi, Philippines
4 Department of Agriculture, Région V (Bicol), Naga City, Philippines
5 Rural Agricultural Development Authority, Kingston, Jamaïque
6 Bureau de pays de la FAO, La Paz, Bolivie
7 Bureau de pays de la FAO, Lima, Pérou
8 Bureau de pays de la FAO, Pretoria, Afrique du Sud
9 Ancien responsable de terrain à la FAO, Katmandou, Népal