L’océan absorbe, transporte, redistribue et emmagasine la chaleur de telle manière qu’il joue un rôle de régulateur du climat. Il assure la subsistance de plus de trois milliards de personnes et offre une multitude d’avantages socio-économiques, environnementaux et culturels à l’ensemble de l’humanité. Comprendre l’océan est essentiel pour pouvoir exploiter et pérenniser ces avantages, tout en préservant sa santé.
Mais l’océan est vaste. De nombreux pays ont mis en place des programmes de surveillance océanique, mais dont la portée se limite souvent à la zone économique exclusive (ZEE) du pays. Les grandes expéditions et campagnes expérimentales menées dans les bassins océaniques éloignés ont permis de recueillir des données inestimables qui ont modifié notre compréhension, non seulement de l’océan mais aussi de la Terre entière; cependant, elles n’ont pas été en mesure de dresser un tableau complet de toute la surface océanique. Les satellites ont largement changé la donne, mais seulement pour les couches supérieures de l’océan. Alors que l’humanité a cartographié la surface de Mars en long et en large à l’aide de sondes spatiales en orbite, seuls 20 % des fonds marins ont été cartographiés1. Même après des décennies de campagnes océanographiques, de lancements de plates-formes expérimentales et de missions satellitaires – ainsi que d’autres avancées technologiques comme la révolution des capteurs autonomes – le panorama reste incomplet: nous avons obtenu des instantanés, pas une vue d’ensemble.
Concevoir un système d’observation permettant de surveiller l’océan dans toute son étendue et sa profondeur de manière durable et continue constitue un défi fondamental qui nécessite d’adopter une approche globale. Le Groupe d’experts des observations océaniques pour l’étude du climat (OOPC) a été établi en 1996 dans le cadre de trois programmes des Nations Unies – le Système mondial d’observation de l’océan (GOOS), le Système mondial d’observation du climat (SMOC) et le Programme mondial de recherche sur le climat (PMRC) – avec l’objectif de relever ce défi2. Établis respectivement en 1991, 1992 et 1993, ces trois programmes ont les mêmes coparrains: l’OMM, la Commission océanographique intergouvernementale de l’UNESCO (COI-UNESCO) et le Conseil international des sciences (CIS)3.
Trois objectifs ont été assignés à l’OOPC:
- Favoriser l’élaboration et l’adoption d’un plan international pour l’observation régulière de l’océan mondial à l’appui des objectifs de ses coparrains
- Proposer des mécanismes d’évaluation et d’évolution du plan convenu
- Assurer la liaison entre toutes les entités participant aux observations océaniques mondiales.
Ces objectifs ont évolué avec le temps, et l’accent initialement mis sur les variables physiques s’est élargi. Cet article décrit les réalisations et les progrès accomplis par l’OOPC au cours des 25 dernières années.
Fin des années 1990: établissement des bases
À l’origine, le domaine d’étude de l’OOPC était la haute mer, tandis que les autres groupes d’experts et groupes du GOOS se consacraient aux mers fermées et bordières et aux zones maritimes littorales. Au cours de ses premières années d’existence, l’OOPC a produit un certain nombre d’études motivées par l’arrivée de nouvelles technologies et de nouvelles capacités d’observation. Le système mondial d’observation du niveau de la mer (GLOSS), rendu possible par les nouvelles capacités des satellites, et le programme de navires occasionnels (SOOP) en sont deux bons exemples. Le groupe d’experts a également participé au lancement de l’Expérience mondiale d’assimilation des données océaniques (GODAE, 1997), qui imposait de nouvelles exigences au système d’observation de l’océan, ainsi qu’à la mise au point du concept qui sous-tend le très fructueux programme Argo, toujours opérationnel4.
Les travaux initiaux de l’OOPC ont abouti à la première conférence internationale sur le système d’observation de l’océan pour le climat, qui s’est tenue à Saint-Raphaël (France), en octobre 1999 (OceanObs’99). La conférence OceanObs’99 a cimenté les bases de ce que nous connaissons maintenant sous le nom de système d’observation régulière de l’océan pour le climat. A partir d’OceanObs’99, un consensus s’est dégagé parmi les spécialistes de l’observation de l’océan pour mener une opération régulière d’observation de l’océan mondial coordonnée au niveau international, s’attachant aux variables physiques et carbone océaniques pertinentes pour les applications de climatologie.
2000–2009: mise en place des réseaux
Durant les années 2000, l’OOPC a travaillé avec divers partenaires pour appuyer la création de plusieurs réseaux d’observation régulière, en s’aidant des recommandations d’OceanObs’99. Ces efforts ont conduit à la création en 1999 du programme de bouées ancrées OceanSITES, qui vise à collecter de longues séries chronologiques, et au déploiement à partir de 2000 du réseau international de flotteurs profilants Argo. La participation de l’OOPC a été cruciale pour négocier des accords sur les données et intégrer ces nouveaux réseaux dans des programmes existants tels que le SOOP et le réseau mondial de bathythermographes non récupérables (XBT), ainsi que pour se greffer sur les missions satellitaires de plus en plus nombreuses. En 2001, l’OOPC a mené une étude sur le réseau de bouées ancrées dans les mers tropicales. Au cours de cette période, il s’est associé au PMRC dans le cadre du projet CLIVAR (Climat et océans – Variabilité, prévisibilité et évolution) et a collaboré avec d’autres groupes du PMRC, contribuant à l’élaboration d’un système d’observation régulière de l’océan et apportant des éléments aux études de processus à l’échelle des régions ou des bassins. S’appuyant sur sa contribution à la création du programme GODAE, l’OOPC a exercé un parrainage indirect essentiel pour intégrer les considérations relatives au changement climatique dans le plan de mise en place, en 2002, de ce qui est devenu le Groupe sur les données de température de surface de la mer en haute résolution (GHRSST).
La deuxième conférence internationale sur le système d’observation de l’océan pour le climat (OceanObs’09) s’est tenue à Venise (Italie), en septembre 2009, et l’OOPC en a été l’un des chefs de file. Les participants à OceanObs’09 ont reconnu que les observations océaniques n’étaient pas seulement utiles pour le climat et qu’il était nécessaire d’intégrer, en plus des variables physiques, des variables biogéochimiques et écosystémiques dans le système d’observation de l’océan. Ainsi, l’une des recommandations principales d’OceanObs’09 portait sur l’intégration et la coordination internationales des observations océaniques interdisciplinaires. À cette fin, des engagements solides ont été pris auprès des différents milieux océanographiques participant aux observations de l’océan et des utilisateurs finals. Les instigateurs d’OceanObs’09 ont également chargé une équipe spéciale de répondre à ce défi, ce qui a conduit à la publication en 2012 de «A Framework for Ocean Observing» («Un cadre pour l’observation de l’océan», FOO) (Lindstrom et al., 2012); Tanhua et al., 2019)
2010-2019: Aller au-delà des variables physiques pour répondre aux besoins de la société
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État des réseaux qui composent le Système mondial d’observation de l’océan (GOOS), supervisés par le Centre de soutien aux programmes d’observation in situ OMM/COI‑UNESCO (OceanOPS), ainsi que d’autres réseaux tels que le GLOSS et Argo
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Le FOO a appliqué une approche systémique à l’observation régulière de l’océan mondial. Il a utilisé les Variables océaniques essentielles (VOE) comme axe central commun et défini le système sur la base des exigences, des observations, et des données et informations, qui en sont les composantes clés. Il a notamment intégré des observations sur les zones côtières et sur la haute mer. L’évaluation de la faisabilité, des capacités et des impacts pour chacune des trois composantes clés du système s’est fondée sur les niveaux de préparation, à savoir la phase conceptuelle, la phase pilote et la phase de maturité. Le FOO fournit des lignes directrices pour faire évoluer le système d’observation au bénéfice d’un large éventail d’applications et d’utilisateurs. Pour favoriser l’expansion du système d’observation de l’océan, le GOOS s’est élargi en intégrant trois groupes d’experts spécialisés: l’OOPC est devenu le Groupe d’experts des observations océaniques pour l’étude du climat; le Projet international de coordination des données sur le carbone océanique (IOCCP) s’est consacré à la biogéochimie des océans; et un nouveau Groupe d’experts pour la biologie et les écosystèmes (BioEco) a été mis sur pied. L’OOPC conserve la double casquette de groupe d’experts du SMOC pour l’océan et de groupe d’experts du GOOS pour la physique. Pour s’acquitter de sa mission vis-à-vis du SMOC, l’OOPC doit travailler sur toutes les composantes du GOOS, en coordonnant les données relatives à l’océan et en interagissant avec ses groupes d’experts «jumeaux» du SMOC, le Groupe d’experts des observations terrestres pour l’étude du climat (TOPC) et le Groupe d’experts des observations atmosphériques pour l’étude du climat (AOPC).
La conférence OceanObs’19 avait pour but d’améliorer l’harmonisation des capacités scientifiques, technologiques et humaines en matière d’observation de l’océan pour répondre aux besoins croissants et urgents de la société. Elle a montré combien l’observation de l’océan était importante en tant que source d’information principale sur les risques naturels – de la prolifération des algues et des bactéries nocives aux tsunamis, en passant par les ondes de tempête, les vagues de chaleur et tempêtes marines, et d’autres phénomènes météorologiques extrêmes – ainsi que sur la santé et la biodiversité des écosystèmes, la pollution des océans et le changement du niveau de la mer. Elle a souligné que les observations étaient indispensables pour appuyer la gestion fondée sur les écosystèmes, les prévisions maritimes et météorologiques, les prévisions et projections climatiques, la sécurité et la navigation maritimes, l’aide à la décision pour l’adaptation aux changements climatiques, l’exploration des grands fonds et la cartographie des fonds marins, entre nombreux autres domaines. La nécessité d’intégrer les programmes d’observation et de recherche sur l’océan pour répondre aux besoins de la société devient plus impérieuse que jamais (Visbeck, 2018).
Après 2020:
Dans cet article, nous avons relaté l’histoire et évoqué quelques-uns des succès de l’OOPC, qui exerce de multiples responsabilités à l’égard du SMOC, du GOOS et du PMRC. Compte tenu de la complexité croissante des combinaisons de plates-formes d’observation et de technologies de détection, ainsi que de l’augmentation constante du nombre d’utilisateurs, aux exigences différentes quand elles ne sont pas divergentes, l’OOPC doit relever de nouveaux défis. Pour y parvenir, il devra répondre aux questions suivantes (Sloyan et al., 2019):
- Comment faire évoluer le système d’observation pour qu’il réponde aux besoins d’un éventail plus large d’applications, allant des phénomènes extrêmes (par exemple la prévision des cyclones, tempêtes, vagues de chaleur marines et inondations côtières) à la surveillance du climat en passant par l’appui aux services écosystémiques?
- Quelles actions devons-nous entreprendre pour continuer à «entraîner» le système, en menant des examens, en mettant les utilisateurs à contribution, en innovant, et en élargissant la participation?
- Comment évaluer et moderniser continuellement le système d’observation pour s’assurer qu’il fonctionne en système véritablement intégré?
- Comment entretenir l’intérêt et la dynamique des observations durables, quand une grande partie du financement s’effectue sur des cycles de courte durée5?
La Décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030) a été lancée en janvier. Elle offre une occasion unique de rechercher des solutions pour améliorer les connaissances sur l’océan et lui donner un autre statut, plus conforme aux Objectifs de développement durable (ODD). La Décennie a une thématique scientifique, et plusieurs pistes ont été proposées pour les activités de recherche et développement. Toutefois, les connaissances théoriques ne sont pas suffisantes. Il est nécessaire de déterminer qui doit faire quoi et d’encourager la transposition des connaissances scientifiques en solutions exploitables. En cherchant à répondre à ces questions, l’OOPC continuera à apporter son soutien au GOOS, au SMOC et au PMRC en association avec le secteur de l’observation de l’océan et d’autres parties prenantes, pour prendre part à des programmes transformationnels dans le cadre de la Décennie et défendre ainsi la cause d’un système intégré d’observation de l’océan qui réponde à l’ensemble des besoins de la société.
Footnotes
1 Cartographier la totalité des fonds marins est l'objectif très ambitieux que poursuit le projet Seabed 2030 de la Nippon Foundation-GEBCO (General Bathymetric Chart of the Oceans - Carte générale bathymétrique des océans).
2 L'OOPC a remplacé le Groupe d'experts pour le développement d'un système d'observation de l’océan (OOSD, 1990-1994), qui avait eu pour mission de concevoir un système d'observation de l’océan pour le climat.
3 Le GOOS et le SMOC ont un coparrain supplémentaire: le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE).
4 https://argo.ucsd.edu/
5 Contrairement aux observations satellitaires (qui bénéficient de financements publics, ainsi que de financements de l'industrie) et aux observations de météorologie maritime (intégrées dans les programmes d'observation opérationnelle régulière des Services météorologiques et hydrologiques nationaux), les observations in situ de l'océan sont financées principalement par des projets de recherche de durée limitée (l'engagement le plus long étant généralement de 5 ans), ce qui hypothèque grandement la continuité des séries chronologiques.
Références
Lindstrom, E., Gunn, J., Fischer, A., McCurdy, A., and Glover, L. K. (2012). “A Framework for Ocean Observing,” in Proceedings of the Task Team for an Integrated Framework for Sustained Ocean Observing, UNESCO 2012 (revised in 2017), IOC/INF-1284 rev.2, Venice.
Sloyan, BM. et al (2019). Evolving the Physical Global Ocean Observing System for Research and Application Services Through International Coordination. Front. Mar. Sci. 6:449. doi: 10.3389/fmars.2019.00.
Tanhua, T. et al., (2019). What We Have Learned From the Framework for Ocean Observing: Evolution of the Global Ocean Observing System. Front. Mar. Sci., 20 August 2019. doi.org/10.3389/fmars.2019.00471.
Visbeck, M. (2018). Ocean science research is key for a sustainable future. Nat Commun 9, 690. doi. org/10.1038/s41467-018-03158-3.