Réduire les risques liés au changement climatique

01 novembre 2012

par Chiemi Hayashi1 et Thomas Kerr2

Le changement climatique a des effets aussi désastreux sur l’économie que sur la société. Certains phénomènes météorologiques ou climatiques extrêmes ont été lourds de conséquences ces dernières années; ils ont provoqué la mort de centaines de milliers de personnes et causé plus de 380 milliards de dollars É.-U. de pertes économiques – et ces chiffres pourraient doubler tous les 12 ans3. Mais au-delà de ces terribles statistiques, les effets d’une «convergence catastrophique» sont encore bien plus dévastateurs lorsque des sécheresses, des inondations ou d’autres phénomènes climatiques viennent directement se superposer à des explosions de violence ou des bouleversements politiques, voire à une guerre civile.

Dans son rapport intitulé «Risques mondiaux 2012», le Forum économique mondial indique que les ressources en eau, les pénuries alimentaires et l’extrême volatilité des prix de l’énergie et des produits agricoles représentent trois des cinq risques les plus graves du point de vue de leurs conséquences mondiales. Déterminés par près de 500 experts issus du secteur privé, des pouvoirs publics, du milieu universitaire et de la société civile, ces risques arrivaient également en tête en termes de probabilité. Loin d’être de simples inconvénients, l’irrégularité de l’approvisionnement en nourriture et la volatilité des prix constituent des causes directes d’agitation sociale. Dans les régions où la production céréalière nationale est insuffisante, et qui dépendent donc des importations, le problème devient rapidement critique quand le prix des céréales augmente. Ainsi, les manifestations causées par des pénuries alimentaires en 2007 et 2008, notamment en Tunisie, au Yémen, en Égypte et au Maroc, sont considérées comme un facteur essentiel du Printemps arabe.

Cette année, la faiblesse record des précipitations aux États-Unis a eu des conséquences désastreuses sur certaines récoltes, en particulier celles de maïs et de soja. Le prix de ces produits a plus que doublé au cours de l’année passée, ce qui pourrait avoir de graves répercussions dans le monde en développement.

Une meilleure gestion des risques environnementaux contribuerait à améliorer la résilience, que le Forum a définie comme la capacité d’une organisation, d’une communauté ou d’un pays à évoluer en permanence et à s’adapter à des changements progressifs comme à des chocs brutaux tout en restant capable de remplir sa fonction principale. Or les progrès dans ce domaine ont été ralentis par une collaboration insuffisante entre les spécialistes des données climatologiques et les scientifiques, ainsi qu’entre les secteurs public et privé. Cette coordination est d’autant plus importante que le climat concerne tout le monde. Une meilleure collaboration entre les parties prenantes est également nécessaire pour améliorer l’accès aux données climatiques et aux outils de prédiction.

Si les météorologues sont très efficaces actuellement pour ce qui est des prévisions à courte et à très longue échéance, les techniques de prévision à moyenne échéance (six à neuf mois) n’ont pas été suffisamment développées. Si l’on parvenait à progresser dans ce domaine, les entreprises et les pouvoirs publics pourraient gagner un temps précieux qui leur permettrait de mettre en place des mesures d’atténuation des risques. Les algorithmes et les mécanismes complexes permettant de recueillir ce type de données existent, mais la société a besoin de coopérer de manière plus rationnelle et de partager les investissements pour pouvoir en tirer parti.

Compte tenu de l’interdépendance de notre monde, la première ligne de défense consiste à développer ensemble la résilience. Le cadre le plus propice pour réussir ce projet doit être multilatéral et interdisciplinaire; c’est précisément le cas du Risk Response Network (Réseau d’intervention face aux risques) du Forum économique mondial, qui se compose de plus de 1 000 dirigeants et spécialistes internationaux issus des pouvoirs publics, du secteur privé, du milieu universitaire et des organisations internationales. Au demeurant, étant donné l’interconnexion des risques mondiaux, aucun organisme ou acteur isolé n’aurait les ressources et la capacité requises pour mener des travaux exhaustifs permettant de comprendre cette interdépendance. Dans son rapport annuel intitulé «Risques mondiaux», le Risk Response Network cartographie les 50 risques mondiaux les plus courants et analyse leur probabilité d’occurrence et leur incidence à un horizon de dix ans. Selon sa définition, les risques mondiaux sont ceux «qui ont une portée géographique mondiale et une pertinence pour tous les secteurs économiques, qui apparaissent d’une manière et à un moment incertains et qui ont une forte incidence économique et/ou sociale». Le Réseau insiste sur le fait que les risques mondiaux doivent être gérés de manière multilatérale.

L’Afrique souffre de l’un des taux de vulnérabilité au climat les plus élevés au monde. Selon l’Alliance panafricaine pour la justice climatique4, plus de 50 % de la valeur totale des exportations du continent et 21 % de son PIB total dépendent de l’agriculture. Compte tenu de la fréquence croissante des événements météorologiques et climatiques extrêmes, les villes côtières d’Afrique sont exposées à un risque toujours plus grand d’inondation et de décès causés par des chaleurs extrêmes ou des maladies. Simultanément, la Corne de l’Afrique et d’autres régions dont la production agricole est essentielle sont toujours plus menacées par de graves sécheresses et des inondations. Le Kenya, par exemple, en a récemment subi les effets désastreux sur sa production de denrées alimentaires, ce qui a eu des conséquences à la fois sur sa population et sur son économie. Les entreprises de la région vont connaître une augmentation des coûts en raison de la baisse de productivité des travailleurs, des interruptions dans les chaînes d’approvisionnement et des pertes subies par les compagnies d’assurance. Le Forum économique mondial pour l’Afrique, qui s’est tenu à Addis–Abeba en mai 2012, a réuni des représentants de différents secteurs économiques qui souhaitaient mieux comprendre les risques auxquels ils sont confrontés et partager de nouvelles idées; les collaborations de ce genre vont jouer un rôle de plus en plus crucial à l’avenir.


Cartographie des risques mondiaux 2012


Améliorer la gestion des risques et atténuer leurs conséquences

Dans une publication intitulée «Une vision pour la gestion des risques de catastrophes naturelles», le Forum économique mondial a formulé en 2011 un certain nombre de recommandations visant à améliorer la gestion des risques et à atténuer les conséquences des catastrophes naturelles. Ce rapport, élaboré en collaboration avec Arup Group Ltd., Lloyds of London et SwissRe, entre autres sociétés, encourage toutes les mesures de préparation financées aussi bien par le secteur public que le secteur privé. Lorsqu’on examine les conséquences des catastrophes naturelles et du changement climatique, notamment du point de vue de la sécurité alimentaire, plusieurs problèmes doivent être pris en compte. Beaucoup de pays n’ont pas les connaissances, la capacité et les ressources nécessaires pour gérer les catastrophes naturelles. Malheureusement, lorsque ces catastrophes se produisent, le secteur public est souvent paralysé par les dommages causés aux infrastructures et s’avère incapable de couvrir les coûts des mesures d’urgence et de secours.

L’absence de planification générale des risques et d’investissement dans des mesures de renforcement de la résilience et une focalisation excessive sur les mesures postérieures aux catastrophes conduisent à une aggravation des pertes en vies humaines, des souffrances et desdommages. Les populations des pays en développement sont généralement plus exposées aux catastrophes naturelles, notamment parce qu’elles dépendent davantage de l’agriculture et qu’elles sont plus vulnérables aux effets de leur environnement naturel. Or ces pays ne sont pas en mesure de se protéger eux-mêmes car ils sont moins bien préparés du point de vue des infrastructures comme du point de vue financier, en raison de leurs revenus plus réduits et du faible taux de pénétration des assurances.

La mise en oeuvre des mesures de prévention et d’atténuation suivantes pourrait permettre de réduire considérablement les souffrances après une catastrophe naturelle:

1. éduquer et sensibiliser davantage la population dansnson ensemble, ainsi que le secteur privé et les décideurs pour réussir à modifier les comportements;

2. prendre des mesures préventives pour réduire les risques en agissant sur les infrastructures, et notamment en améliorant la résilience. C’est le seul moyen de réduire directement les pertes en vies humaines et le nombre de personnes souffrant des effets des catastrophes;

3. atténuer les risques résiduels grâce à différentes méthodes financées par des fonds aussi bien publics que privés;

4. mettre en oeuvre des processus de reconstruction après les catastrophes pour rétablir la situation plus vite et réduire les effets «domino».

Le Cadre mondial pour les services climatologiques, pour lequel l’atténuation des risques de catastrophes est une priorité, aura un rôle important à jouer à cet égard. Sa plateforme d’interface utilisateur offrira la structure nécessaire pour que l’ensemble de la population, le secteur privé, les décideurs, les climatologues et les prestataires de services climatologiques puissent collaborer et réussissent à faire évoluer la situation. Ce type d’échanges est essentiel pour mieux se préparer aux catastrophes et coordonner les efforts et les initiatives entre les secteurs public et privé.

Malgré les scénarios les plus sombres, c’est en améliorant l’évaluation et l’atténuation des risques que l’on parviendra peut-être à réduire au minimum les pertes financières, à accroître la stabilité sociale et à améliorer l’efficacité des secours après une sécheresse, une inondation ou d’autres catastrophes climatiques. Ainsi, un grand projet de reboisement destiné à remettre en état le Plateau des loess, en Chine, où l’environnement avait subi de graves dégradations, a contribué à faire sortir deux millions et demi de personnes de la pauvreté et à garantir l’approvisionnement en nourriture malgré de fréquentes sécheresses.

Des employés de la société Sunburst Dairy récoltent un maïs
Des employés de la société Sunburst Dairy récoltent un maïs qui n’est pas arrivé à maturité en raison d’une chaleur et d’une sécheresse extrêmes à Belleville, dans le Wisconsin (États–Unis).


Que peuvent faire les pouvoirs publics et les entreprises pour gérer les risques et les catastrophes liés au climat, que ce soit en Afrique, en Amérique du Nord ou ailleurs? La situation est grave mais il faut garder espoir, car ne dit-on pas «après la pluie, le beau temps»?

Les dirigeants doivent renforcer les mesures actuelles de gestion des risques pour mieux se préparer à l’avenir. Il convient notamment de mettre en oeuvre des systèmes d’alerte précoce, de planifier l’utilisation des sols, d’élaborer et de faire appliquer des règlementations en matière de construction, d’améliorer les systèmes de veille sanitaire et d’instaurer une gestion des écosystèmes. Il faut aussi établir une meilleure coopération entre les organismes responsables de l’environnement et les services de planification pour dresser un plan exhaustif de gestion des catastrophes climatiques. Par ailleurs, il sera essentiel d’explorer les possibilités d’investir dans les mesures d’adaptation au climat, en particulier pour améliorer la construction et l’efficacité des bâtiments. Il faudrait également mettre en place une planification plus efficace des ressources en eau et élaborer de nouveaux produits d’assurance pour atténuer les risques.

C’est précisément pour régler ces problèmes que de grandes entreprises des secteurs de la finance, des infrastructures, de l’énergie et de l’agriculture ont uni leurs efforts avec des établissements financiers publics pour lancer l’Alliance pour des mesures en faveur d’une croissance verte (G2A2). Cette structure, dont le secrétariat est hébergé par le Forum économique mondial, explore des voies très diverses pour lutter contre le changement climatique, par exemple en soutenant des projets pilotes dans certains pays et en débloquant des fonds pour des développements technologiques ayant une importance primordiale dans les domaines des énergies durables ou renouvelables, des ouvrages hydrauliques, du rendement énergétique et des biocarburants destinés à l’agriculture et à l’aviation. Les activités collaboratives du G2A2 consistent par exemple à réunir des décideurs publics et privés et des membres de l’Alliance pour faire le bilan des progrès accomplis et lancer de nouveaux investissements. Leur prochaine réunion aura lieu lors de la dix-huitième session de la Conférence des Parties de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) organisée au Qatar en décembre 2012, puis à la réunion annuelle du Forum économique mondial qui se tiendra en janvier 2013 à Davos. Par ailleurs, le Conseil sur les priorités mondiales (GAC) liées au changement climatique du Forum économique mondial a proposé une feuille de route pour les investissements publics et privés dans le domaine des stratégies d’adaptation pour contribuer à définir ces priorités au fil de leur évolution.

À mesure que le changement climatique transforme le monde et que nous prenons conscience de ses nombreuses conséquences, nous devons nous souvenir que cette question nous concerne tous. Lorsqu’il sera trop tard pour la prévention, c’est en joignant nos efforts et en les focalisant sur des mesures d’atténuation et d’adaptation que nous pourrons contribuer à alléger la pression résultant de ces risques profondément interdépendants.

 

______________

1 Directeur chargé de la recherche, Risk Response Network, Forum économique mondial.

2 Directeur des Initiatives sur le changement climatique et la croissance verte, Forum économique mondial.

3 GIEC, 2012: La gestion des risques d’événements extrêmes et de catastrophes en vue d’une meilleure adaptation aux changements climatiques [Field, C. B., V. Barros, T. F. Stocker, D. Qin, D. J. Dokken, K. L. Ebi, M. D. Mastrandrea, K. J. Mach, G.-K. Plattner, S. K. Allen, M. Tignor et P. M. Midgley (éd)]. Rapport spécial des groupes de travail I et II du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Cambridge University Press, Cambridge, Royaume-Uni, et New York, NY, États-Unis, pp. 1-19.

4 Alliance panafricaine pour la justice climatique, 2009: «Le coût économique du changement climatique en Afrique» [Practical Action Consulting]

    Partager :