Restrictions liées à la COVID-19: Impacts sur les observations et la surveillance

18 novembre 2020
  • Author(s):
  • Lars Peter Riishojgaard, Secrétariat de l’OMM

L’actuelle crise de la COVID-19 a des répercussions sur une large palette d’activités dans des domaines qui sont loin des préoccupations immédiates et évidentes liées à la santé publique. Les activités de l’OMM dans les domaines de la météorologie, de la climatologie et de l’hydrologie en font partie. Plus tôt dans l’année, lorsque les premières restrictions liées à la COVID-19 ont été introduites, les médias ont accordé beaucoup d’attention à leur effet potentiel sur nos activités. Aujourd’hui, quelques mois plus tard, en pleine deuxième vague de COVID-19 et alors que des restrictions sont toujours en vigueur dans de nombreux pays, le présent article donne un bref aperçu des principales répercussions de cette situation sur les systèmes d’observation et inclut quelques éléments de discussion, pour la plupart spéculatifs, sur les conséquences pour la qualité des produits et des services.

Observations d’aéronefs

Figure 1: Monthly mean observations per day on larger WMO Information System (WIS) programs since 2018

Figure 1: Moyenne mensuelle des observations quotidiennes sur les grands programmes du Système d’information de l’OMM (SIO) depuis 2018

L’impact le plus immédiat et le plus spectaculaire a été la diminution rapide de la disponibilité globale des observations aériennes (voir la figure 1). Les avions commerciaux mesurent systématiquement la vitesse du vent et la température de l’atmosphère à intervalles de quelques secondes. Ils le font pour leur propre équipement technique, et non pour des raisons météorologiques. Toutefois, un nombre croissant de compagnies aériennes commerciales participent au Système d’observation aéroporté de l’OMM (ABOS), l’un des grands réseaux du Système mondial intégré des systèmes d’observation de l’OMM (WIGOS). À ce titre, elles mettent un sous-ensemble de leurs mesures à la disposition de la communauté de l’OMM en temps quasi réel à des fins opérationnelles. Au début de la crise, pendant deux semaines, fin février et début mars, le nombre total d’observations d’aéronefs reçues par les centres mondiaux de prévision numérique du temps a été inférieur d’environ 15 % à la normale. Au-delà de ce nombre, on a observé de très grandes variations géographiques. Au-dessus de l’Europe, dont la plupart des frontières nationales étaient fermées et où seule une petite minorité de vols était effectuée, la fourniture d’observations aériennes est restée pour ainsi dire clouée au sol. Au-dessus des États-Unis d’Amérique, en revanche, beaucoup de vols intérieurs ont continué d’être effectués. Le nombre des observations reçues s’est donc stabilisé à environ 50 % de celui qui était atteint avant la COVID.

De telles mesures renseignent sur les profils de variables météorologiques – principalement la température ainsi que la vitesse et la direction du vent – pendant les phases de montée et de descente des aéronefs. Ces observations complètent les sondages en altitude effectués par le réseau de radiosondes. Elles sont particulièrement utiles pour la prévision numérique du temps, car, en général, les profils concomitants du vent et de la température tendent à améliorer sensiblement la qualité des prévisions météorologiques ainsi obtenues. En plus des mesures des profils en cours de montée et/ou de descente, les avions commerciaux communiquent des observations pendant le vol en palier à l’altitude de croisière. Ces observations en vol sont particulièrement précieuses lorsqu’elles sont recueillies au‑dessus des océans, dans l’hémisphère Sud et dans d’autres régions où les observations in situ ont tendance à être rares. Les observations fournies dans le cadre d’ABOS ont des répercussions très positives sur la fiabilité de la prévision numérique du temps.

Figure 2: 7-day rolling average of radiosondes by WMO Region

Figure 2: Moyenne mobile sur 7 jours du nombre de radiosondages par Région de l’OMM

En termes de mesures d’atténuation, divers Membres de l’OMM et leurs centres du Système mondial de traitement des données et de prévision (SMTDP), y compris les centres météorologiques mondiaux, ont tenté de compenser le manque d’observations d’aéronefs en intégrant des données d’observation supplémentaires dans leurs systèmes de prévision. Par exemple, certains SMHN, notamment en Europe, ont lancé des radiosondes supplémentaires en plus d’effectuer leurs vols biquotidiens réguliers (voir la figure 2). En outre, les données de mesure du vent provenant du satellite de recherche Aeolus-ADM de l’ESA sont maintenant assimilées de façon régulière par certains centres. Enfin, au moins deux entreprises privées ont mis gratuitement des données supplémentaires à la disposition de certains centres de prévision numérique du temps pendant le pic de la crise, au printemps 2020. Ces observations, qui ne sont normalement disponibles que sur une base commerciale, sont les observations d’aéronefs TAMDAR et un ensemble de sondages par occultation radio GPS (GPSRO) obtenus par une constellation de petits satellites exploités par SPIRE Inc.

Autres éléments du système d’observation

Figure 3: Variability of surface observations (7 day rolling vs January 2020 average)

Figure 3: Variabilité des observations de surface (moyenne mobile sur 7 jours par rapport à la moyenne de janvier 2020)

Outre l’ABOS, d’autres systèmes d’observation ont été touchés, bien que dans une moindre mesure, du moins au niveau mondial. De nombreux SMHN dans le monde ont dû appliquer des politiques de fermeture ou de travail à domicile. Des répercussions ont été observées en particulier dans les pays en développement, où, dans un nombre important de stations d’observation, une intervention humaine est encore nécessaire pour lire les relevés des instruments et/ou pour encoder et transmettre des données d’observation (voir la figure 3 ci-dessous).

Les systèmes d’observation maritime ont également été touchés par la crise (voir la figure 4). On remarque notamment une diminution des observations effectuées dans le cadre du Programme de navires d’observation bénévoles (VOS) de l’OMM. Le nombre de ces observations semble maintenant stabilisé à environ 80 % des chiffres antérieurs à la COVID. D’une manière générale, le trafic maritime a moins souffert que le trafic aérien pendant la crise, mais l’impact indirect dû aux restrictions liées à la COVID-19 a néanmoins été constaté. Il a été difficile pour les agents météorologiques des ports de visiter les navires à réparer ou d’étalonner les équipements de mesure. On estime qu’il s’agit d’une des causes principales de la diminution du nombre des observations.

Figure 4: Daily observations

Figure 4: Observations quotidiennes

La plupart des autres systèmes d’observation maritime – tels que les bouées dérivantes, les bouées ancrées et les flotteurs ARGO – sont hautement automatisés et autonomes et donc moins susceptibles de subir les impacts de la COVID-19 à court terme. Toutefois, au fil du temps, il faudra remplacer bouées dérivantes et flotteurs et procéder à l’entretien de routine des bouées ancrées, de sorte qu’à plus longue échéance, ces impacts pourraient bien s’accentuer considérablement. La plupart des bouées dérivantes et des flotteurs sont fabriqués par des entreprises relativement petites, dont certaines pourraient ne pas survivre si elles ne reçoivent pas de commandes de clients pendant une longue période. Les inspections non réalisées d’une bouée ancrée pourraient se traduire par la perte totale de la bouée et, comme les heures de navire sont une ressource qui ne peut être facilement récupérée une fois la crise passée, il pourrait falloir des années pour rattraper le retard qu’occasionnerait une crise prolongée.

Dans l’ensemble, les systèmes automatisés et autonomes ont été plus performants pendant cette crise que les systèmes reposant sur des actions humaines directes et régulières. Les systèmes satellitaires devraient donc avoir une très bonne résistance initiale aux crises du type de celle générée par la COVID‑19. Ils sont entièrement automatisés et autonomes et ont généralement une durée de vie opérationnelle de plusieurs années. De plus, les systèmes d’exploitation qui forment la colonne vertébrale de la composante spatiale du WIGOS intègrent généralement des capacités opérationnelles de secours en orbite. Tant que les efforts de développement et de mise en œuvre des programmes sur le terrain se poursuivent assez rapidement pour que les systèmes soient réapprovisionnés en cas de besoin, cette composante spatiale devrait pouvoir continuer à fournir des observations malgré la pandémie. D’ailleurs, le flux des observations satellitaires, qui est actuellement le type prédominant d’observations à la fois par le volume et la qualité des données, n’a guère été affecté par la crise actuelle.

Applications destinées aux utilisateurs finals

Pour évaluer l’effet de la réduction des capacités d’observation sur les applications des utilisateurs finals, les meilleurs outils sont les systèmes mondiaux de prévision numérique du temps exploités par plusieurs Membres de l’OMM dans le cadre du SMTDP. Tous ces systèmes comprennent des méthodes permettant de relier la qualité des prévisions à des types et/ou des lieux d’observation spécifiques. Néanmoins, d’un système à un autre, le classement des types d’observation par ordre de contribution à la qualité des prévisions peut varier.

Selon le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT), qui est un centre météorologique mondial, les observations d’aéronefs obtiennent la deuxième place de ce classement, juste après les données satellitaires. De toutes les observations utilisées au CEPMMT en 2019, elles ont contribué en moyenne à hauteur de 13 % à la qualité des prévisions. Pour la même période (2019), le Service météorologique du Royaume‑Uni et le Fleet Numerical Meteorology and Oceanography Center (FNMOC) de la marine américaine ont chiffré à 8 % et 9 %, respectivement, l’impact des observations d’aéronefs sur les résultats de leurs modèles mondiaux. On peut donc raisonnablement s’attendre à ce que des lacunes importantes en matière d’observations d’aéronefs aient un effet négatif sur la qualité des prévisions. La diminution du nombre de ces observations pendant la pandémie est très clairement mise en évidence par les graphiques représentant des séries chronologiques, comme celui de la figure 1, mais, compte tenu de la variabilité quotidienne tant des conditions atmosphériques que de la qualité des prévisions, il n’est pas aussi simple de démontrer de manière incontestable l’impact de cette diminution sur les résultats des prévisions. Ces derniers varient d’un jour à l’autre en raison de facteurs qui dépassent le nombre et la qualité des observations disponibles, principalement les types et échelles spatiales des phénomènes météorologiques qui prévalent un jour donné.

Toutefois, une expérience contrôlée d’interruption des données menée avec des données anciennes pendant une période antérieure à celle de la pandémie de COVID‑19 permettrait d’évaluer leur impact de façon quantitative et d’obtenir ainsi des éléments de compréhension. Or, il se trouve que le CEPMMT a réalisé une expérience d’interruption des données d’aéronefs en 2019, en se fondant sur toutes les autres observations disponibles pour générer une série de prévisions. La qualité de cette série a ensuite été comparée à celle des prévisions effectuées à l’aide de l’ensemble des données disponibles, données d’aéronefs incluses. D’après les résultats obtenus, ce sont principalement les prévisions de vent et de température pour l’hémisphère Nord qui sont affectées négativement par l’exclusion des données d’aéronefs. La diminution de la qualité la plus significative est observée au cours des 24 premières heures de l’échéance de prévision, et elle persiste jusqu’à 7 jours. Il est à noter que l’altitude à laquelle les données d’aéronefs sont recueillies est significative puisqu’elle est proche de l’intensité maximale du courant-jet polaire, qui joue un rôle essentiel dans le pilotage des grands systèmes météorologiques. Pour en savoir plus, cliquer ici.

Des scientifiques de plusieurs centres météorologiques mondiaux (Service météorologique australien, CEPMMT, centres de prévision environnementale des États‑Unis d’Amérique et Service météorologique britannique) œuvrent actuellement à évaluer et analyser les répercussions de la diminution, pendant la période de pandémie, du nombre des différents types d’observations. Selon l’hypothèse initiale, un impact pourrait effectivement être ressenti, et on a rapporté des appréciations empiriques faisant état de certaines répercussions sur la qualité des prévisions à court terme. Cependant, en raison des facteurs énumérés au paragraphe précédent, il est difficile de détecter un signal univoque. Lors de la récente session de son comité consultatif technique, en octobre, le CEPMMT a indiqué qu’il n’avait constaté «aucune dégradation manifeste de la qualité des prévisions malgré la diminution des observations due à la COVID‑19». Des informations supplémentaires seront publiées dès qu’elles seront disponibles.

Bilan de l’expérience acquise

En résumé, la crise de la COVID‑19 a clairement eu un impact sur la disponibilité des données d’observation. Cet impact a été très significatif pour certaines composantes, moins pour d’autres. Bien que l’effet global de cette situation sur les produits destinés aux utilisateurs finals soit encore à l’étude, il est déjà possible de dresser un premier bilan.

Premièrement, les systèmes automatisés ont tendance à être très résistants à ce type de crise. Deuxièmement, grâce à différentes combinaisons d’observations, il est possible d’atteindre un certain degré de qualité en matière de prévision. Il convient de se féliciter que diverses entités, des secteurs public et privé, aient offert des observations supplémentaires aux modélisateurs, afin d’atténuer l’effet de la perte des données causée par la crise. Et leçon plus importante encore, cette crise a rappelé qu’il est dangereux de dépendre trop fortement des observations bénévoles, telles que les observations d’aéronefs. Incontestablement, de telles données sont très précieuses pour la prévision numérique du temps, mais la crise de la COVID a montré que leur disponibilité est entièrement soumise aux contraintes commerciales et opérationnelles des compagnies aériennes qui les fournissent, des facteurs qui échappent totalement au contrôle de l’OMM et des SMHN de ses Membres.

Alors que l’utilisation des observations bénévoles continue de croître, il est crucial de maintenir un certain niveau d’investissement dans les observations fondamentales, réalisées avec pour seul et unique but d’étayer les services météorologiques, climatologiques, hydrologiques et environnementaux que fournissent tous les Membres sous l’égide de l’OMM. À tout le moins, cette crise a clairement démontré qu’il est extrêmement précieux de disposer de systèmes d’observation au fonctionnement robuste, c’est-à-dire des systèmes composés d’éléments nombreux et variés, exploités par un large éventail d’entités de différents secteurs et de différentes nations.

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