par Tillmann Mohr 1 et Mark Dowell 2
La demande de services climatologiques a énormément augmenté ces dernières décennies. D’importantes sphères d’activité du secteur public et privé, par exemple les assurances, l’agriculture, la santé, l’énergie et les transports, doivent pouvoir compter sur des informations et services climatologiques fiables pour établir leurs, plans stratégiques, orienter leurs investissements et prendre des décisions quotidiennes. Le Cadre mondial pour les services climatologiques (CMSC) offre une structure pour élaborer de tels services.
Un solide système d’observation et de surveillance, également appelé «pilier» dans le plan de mise en oeuvre du CMSC, constitue une assise cruciale pour les services climatologiques à l’échelon mondial, régional et national. La fourniture de données d’observation en plus grand nombre et de plus grande qualité, alliée aux progrès de la science du climat, affinera la prévision des phénomènes extrêmes tels la sécheresse, les crues et les cyclones tropicaux. Il sera possible, grâce à une meilleure anticipation et préparation, de sauver des vies humaines, de protéger des biens matériels et d’accroître la résilience des systèmes économiques et le bien-être et la sécurité de la population.
Une bonne partie des observations nécessaires ne peut être fournie qu’à l’échelle synoptique par les systèmes de satellites. Les grands centres de prévision numérique du temps utilisent jusqu’à 80 millions de données satellitaires chaque jour dans le cadre de la Veille météorologique mondiale (VMM), mais il en faudra beaucoup plus pour le climat. De fait, les besoins du CMSC font partie des raisons pour lesquelles on entreprend d’améliorer l’architecture spatiale pour la surveillance du climat (même si cette nécessité a été formulée avant la rédaction du plan de mise en oeuvre du CMSC). En 2011, le Seizième Congrès météorologique mondial a estimé qu’il convenait de «mettre en place une architecture […] afin d’assurer un cadre pour la surveillance suivie et coordonnée du climat de la Terre depuis l’espace».
Une grande partie des capacités d’observation requises pour surveiller le climat existent déjà ou seront bientôt disponibles. Il reste néanmoins quelques lacunes importantes et la coordination doit être améliorée pour que le système soit efficace, présente la robustesse voulue et vienne soutenir les applications et la prise de décisions dans le domaine du climat.
Des satellites plus puissants
Les réflexions que suscite aujourd’hui la surveillance du climat sont très similaires aux discussions sur une «architecture» de surveillance du temps qui ont entouré la création de la VMM, en 1963, et qui ont abouti au système de surveillance météorologique coordonné à l’échelle mondiale dont nous bénéficions aujourd’hui. Depuis cette époque, les quelque 240 missions de satellites environnementaux qui ont été menées à bien composent l’un des grands volets du système mondial d’observation. Les différents instruments embarqués ont permis d’observer la Terre sur une large partie du spectre électromagnétique. Plus de 160 satellites météorologiques sont en orbite actuellement, beaucoup au sein de séries opérationnelles de cinq satellites ou plus. Ils font partie intégrante du segment spatial du Système mondial des systèmes d’observation de l’OMM (WIGOS) qui remplace progressivement la VMM.
Ces systèmes d’observation sont généralement optimisés pour la surveillance et la prévision météorologique en temps réel, mais l’expansion progressive de leurs capacités rend possible l’établissement de longs relevés climatologiques de paramètres atmosphériques essentiels. Par exemple, le réseau géostationnaire international, qui réunit actuellement sept exploitants de satellites, sera bientôt doté d’imageurs perfectionnés dans le visible et l’infrarouge, de sondeurs hyperspectraux dans l’infrarouge et de détecteurs de foudre. D’ici à la fin de la décennie, quelques séries comprendront une charge utile additionnelle pour analyser la composition de l’atmosphère.
Les satellites météorologiques opérationnels placés sur orbite basse héliosynchrone, dont les missions sont axées sur l’imagerie multispectrale et le sondage vertical, présenteront des capacités plus étendues: sondeurs hyperspectraux dans l’infrarouge, capteurs à occultation radio pour les systèmes mondiaux de navigation par satellite, instruments pour le bilan radiatif de la Terre et capteurs de l’environnement spatial et de la composition de l’atmosphère. Ces satellites contribuent notablement à la surveillance du climat au sein de la composante spatiale du WIGOS, mais ils n’offrent pas toujours l’exactitude requise pour cela et ne mesurent pas toutes les variables qui interviennent dans les processus climatologiques.
Une trentaine de missions ont déjà été réalisées dans le but précis d’observer les éléments du climat, d’étudier les processus en cause ou de faire la démonstration de nouvelles technologies de surveillance. Elles sont une précieuse source d’information pour les futures missions d’appui à la surveillance continue du climat depuis l’espace. L’augmentation de la fréquence des mesures, le perfectionnement de la technologie des satellites et des capteurs, l’élargissement de la diffusion des données d’observation de la Terre et la simplification de l’interprétation aideront à préciser la place des données satellitaires dans l’étude du climat.
Cent quarante missions satellitaires – transportant plus de 400 instruments différents de mesure des paramètres du système climatique – auront lieu au cours des quinze prochaines années. Elles recueilleront de nouvelles données sur la chimie, la teneur en aérosols et la dynamique de l’atmosphère terrestre. La technologie lidar fournira davantage d’informations sur les vents, en plus d’observer les nuages et les aérosols. Des missions spécialisées de météorologie opérationnelle et de climatologie enrichiront l’analyse du bilan radiatif de la Terre, mesuré au sommet de l’atmosphère par une combinaison de paramètres. Les capacités développées depuis plus de dix ans serviront à affiner la surveillance mondiale du cycle hydrologique grâce à des radars de mesure des précipitations et des capteurs passifs à hyperfréquences embarqués, dont le fonctionnement sera coordonné par un large réseau international de satellites.
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Élévation du niveau de la mer à l’échelle du globe entre 1992 et 2012, selon les données des satellites TOPEX/Poseidon et Jason
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Des missions de suivi renforceront la mesure de la topographie de la surface océanique par altimétrie radar et la mesure des vecteurs vent à la surface des océans par diffusiométrie, deux techniques lancées il y a vingt ans de manière expérimentale. De nouvelles capacités de mesure surgiront également en ce qui concerne la salinité des océans.
Les séries de satellites métrologiques opérationnels et de satellites de surveillance des terres émergées procureront des observations continues de la surface terrestre, de la végétation et des nappes glaciaires. Les systèmes de radars perfectionnés à synthèse d’ouverture donneront de nouvelles indications sur les propriétés de la surface des terres émergées, tandis que les détecteurs actifs et passifs à hyperfréquences mesureront l’humidité en surface. Une nouvelle génération de capteurs affinera la télédétection de la surface terrestre, de l’océan et de l’atmosphère, ainsi que de leur composition chimique.
Initiatives conduites parallèlement
Plusieurs initiatives en cours visent à améliorer les mesures effectuées au profit de la science du climat. Toute stratégie portant sur l’observation depuis l’espace doit tenir compte de ces activités et des questions de cohérence et de compatibilité de la surveillance au sein d’une architecture mondiale.
Par exemple, le Service sur le changement climatique qui s’élabore au sein du programme Copernicus de l’Union européenne donnera accès à des informations utiles pour suivre et prévoir l’évolution du climat, à l’appui des mesures d’adaptation et d’atténuation. Il bénéficie d’un vaste réseau d’observation in situ et par satellite, ainsi que de réanalyses des données climatologiques et des scénarios de modélisation. Il sera possible d’obtenir par ce biais des indicateurs climatiques – hausse des températures, élévation du niveau de la mer, fonte des nappes glaciaires, réchauffement des océans – et des indices climatiques – basés sur les relevés de température, de précipitation et de sécheresse – qui décrivent les facteurs d’évolution du climat que l’on connaît et les impacts que l’on anticipe.
Recenser et combler les lacunes
L’adéquation des données actuelles et des capacités projetées dans le domaine spatial est examinée de près par les experts du Système mondial d’observation du climat (SMOC) et évaluée dans le rapport intitulé Systematic Observation Requirements for Satellite-Based Products for Climate (GCOS-154). Les lacunes ou les déficiences sont répertoriées ou anticipées tout au long de la chaîne de valorisation qui s’étend des capteurs aux relevés climatologiques.
Des mesures propres à combler ces lacunes de manière concertée ont été prises par les agences spatiales, au sein du Comité sur les satellites d’observation de la Terre (CSOT) et du Groupe de coordination pour les satellites météorologiques (CGMS), ainsi que par l’OMM afin de mieux répondre aux besoins indiqués par le SMOC.
Définir une architecture commune
En janvier 2011, le SMOC et le Programme spatial de l’OMM ont organisé un atelier à l’intention des décideurs et des experts techniques. Les participants ont proposé de charger une équipe spéciale, formée de représentants du CSOT, du CGMS et de l’OMM, d’établir une, stratégie pour une architecture destinée à surveiller le climat à partir de l’espace. Le rapport final paru en 2013, intitulé Strategy Towards an Architecture for Climate Monitoring from Space, porte sur les observations à effectuer au moyen des satellites et sur l’architecture internationale à créer pour que ces observations soient disponibles à des échelles adaptées à l’analyse du système climatique sur une longue période.
Le rapport présente une stratégie résolument générale, conceptuelle et inclusive afin de recueillir une large adhésion et de permettre aux instances concernées de repérer leur contribution éventuelle. Mais la stratégie ne suffit pas en soi. Elle décrit simplement une architecture logique qui définit les activités et les fonctions nécessaires pour créer un système de bout en bout. Ses quatre composantes sont la détection, la création de relevés climatologiques, les applications et l’appui à la prise de décisions (voir la figure «Composantes principales d’une conception logique»). L’accent devrait être mis au départ sur les processus situés en amont – la détection et la création de relevés climatologiques – même si les applications et les services situés en aval sont tout aussi importants.
L’architecture physique envisagée requiert des satellites opérationnels et expérimentaux, des politiques de large diffusion des données et des accords et plans d’intervention d’urgence. Ces éléments sont indispensables pour que l’observation continue et durable du climat présente la même continuité que l’observation du temps. La surveillance du climat comporte néanmoins des exigences auxquelles ne peuvent satisfaire les missions ponctuelles de recherche, pas plus que les systèmes de satellites opérationnels actuellement en service.
Comme le souligne le rapport, les agences de recherche et d’exploitation doivent absolument définir un cadre commun pour la gestion de l’information climatologique. Le traitement des relevés exige une connaissance technique poussée des capteurs nouveaux et anciens utilisés et l’exécution d’un ensemble d’activités d’appui, dont l’étalonnage, la validation, l’évaluation et la comparaison des produits, ce qui n’est possible que par une collaboration entre les agences de recherche et d’exploitation.
Les auteurs du rapport estiment capital de renforcer et d’élargir la coordination entre toutes les parties prenantes, sur les aspects d’ordre technique comme sur les questions de politique, si l’on veut optimiser les efforts déployés, garantir la traçabilité et mobiliser les ressources nécessaires à la mise en oeuvre. Du point de vue technique, il convient d’associer davantage les chercheurs, les groupes d’experts et les autres instances concernées à l’analyse de l’approche proposée et au développement de l’architecture physique. Du point de vue des politiques, il convient de soumettre le schéma logique envisagé à une vérification descendante afin de s’assurer que l’information pourra passer comme il convient du niveau décisionnel à celui des capacités et des besoins en matière de détection. Cette étape est cruciale pour que les décideurs perçoivent et soutiennent l’importance d’une architecture intégrée de surveillance du climat capable de répondre à leurs attentes et à celles des autres utilisateurs. Enfin, le rapport présente une feuille de route et décrit les mesures concrètes à prendre.
Les éléments ci après sont mis en évidence dans le rapport:
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Il est nécessaire de savoir précisément ce que les systèmes d’observation actuels et projetés pourraient apporter à l’étude du climat, étant donné que la plupart d’entre eux n’ont pas été conçus expressément dans ce but;
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La collaboration entre les agences spatiales est nécessaire à l’échelon international afin de mieux définir les exigences sur le plan de la continuité des missions et des mesures de secours;
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Il est possible que des programmes de gestion des relevés climatologiques à long terme permettent de remplacer les anciens algorithmes et jeux de données par des versions améliorées, après avoir procédé aux démonstrations et validations d’usage;
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Il est indispensable d’intensifier et d’étendre la concertation entre toutes les parties prenantes pour garantir la traçabilité selon des pratiques uniformes.
Le rapport exposant la stratégie envisagée concerne essentiellement les observations effectuées à partir de l’espace; toutefois, il est souhaitable que les agences spatiales et les programmes associés commencent, dès la phase de mise en oeuvre, à chercher une façon d’insérer les composantes in situ de surveillance du climat dans l’architecture. Cette intégration devrait mettre à profit les travaux et dispositifs internationaux qui coordonnent les réseaux d’observation en question. Vu cette ambition à long terme, l’architecture logique présentée dans le rapport ne pouvait être que générale; il sera ainsi possible, le moment venu, de la modifier afin de décrire les éléments fonctionnels du système intégré de surveillance in situ et depuis l’espace.
Le rapport s’adresse aux groupes de coordination qui ont demandé sa rédaction, à leurs membres et organes directeurs ou consultatifs, ainsi qu’aux programmes dont les missions ou intérêts portent sur le climat, en particulier ceux qui ont passé en revue les aspects techniques du document – le Système mondial d’observation du climat, le Groupe sur l’observation de la Terre et le Programme mondial de recherche sur le climat. Il est important que ces instances reconnaissent la nécessité d’une telle architecture et les avantages que la coordination et la collaboration internationales peuvent apporter, en permettant notamment d’optimiser les ressources affectées aux systèmes de satellites. L’ensemble des programmes et cadres d’étude du climat devraient oeuvrer à l’échelle internationale pour renforcer et stimuler les observations et les recherches dans ce domaine. Il sera mieux répondu à leurs attentes si la stratégie de développement d’une architecture spatiale pour la surveillance du climat est soigneusement fondée sur le plan technique et pratique.
Principales composantes d’une conception logique
Détail des quatre piliers de l’architecture (en particulier «création et archivage de relevés climatologiques» et «applications»)
Les étapes de la mise en oeuvre
Le rapport suggère une démarche concrète et le CSOT, le CGMS et l’OMM abordent déjà les étapes suivantes. Il s’agit notamment de concevoir une architecture physique qui corresponde aux stratégies de mise en oeuvre actuelles et futures, en analysant une variable climatologique essentielle après l’autre. La première chose à faire est de dresser l’inventaire de ces variables3 afin d’avoir une idée précise des capacités présentes et projetées. Les agences spatiales membres du CSOT et du CGMS ont rempli dans ce but un questionnaire détaillé, à l’échelon des produits, qui établit les premières bases d’un tel inventaire.
L’un des grands atouts de l’architecture envisagée tient au fait que l’information circule d’un bout à l’autre du processus; si l’on adopte le point de vue de l’utilisateur, on passe du niveau de la prise de décisions aux applications requises, puis aux jeux de données nécessaires et enfin à la capacité d’observation à détenir. On se propose prochainement de vérifier si ce schéma sert bien les applications climatologiques et le processus décisionnel, par exemple en soumettant l’architecture à des études de cas précises, aux diverses échelles qui sont compatibles avec le développement des services climatologiques (monde, région, pays). Les décideurs pourraient ainsi apprécier l’intérêt de disposer d’une capacité intégrée de surveillance du climat qui répond à leurs besoins.
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1 Conseiller spécial du Secrétaire général de l’OMM pour les questions spatiales
2 Institut pour l’environnement et le développement durable, Centre commun de recherche de la Commission européenne
3 La version actuelle de l’inventaire des variables climatologiques essentielles peut être consultée à l’adresse: http://ecv-inventory. com/