Surveiller le climat de la planète

01 avril 2008

par Xiaolan L. Wang1, Thomas C. Peterson2, Jay Lawrimore2, Manola Brunet-India3, Randall Cerveny4, Craig Donlon5, Fatima Driouech6, Wan A. Wan Hassan7, Rainer Hollmann8, Mark D. Schwartz9, Zuqiang Zhang10


Introduction

La surveillance de l’évolution du climat de la planète s’appuie sur des observations de l’atmosphère et des océans réalisées aux échelles décennale et centennale. Il s’agit notamment de mesures instrumentales de la température superficielle et des précipitations effectuées sur un siècle, ainsi que de relevés de données d’observation quotidiennes permettant de comprendre l’évolution de la fréquence et de l’intensité des extrêmes tels que les épisodes de fortes précipitations, les sécheresses et les vagues de chaleur.

Les changements climatiques observés au niveau du globe ont été décrits en détail dans de nombreuses études nationales et internationales. Les relevés paléoclimatologiques laissent supposer que les températures moyennes relevées dans l’hémisphère Nord durant la seconde moitié du XXe siècle ont été plus élevées que lors de toute autre période de 50 ans au cours des 1 300 dernières années. La hausse des températures s’est poursuivie à l’échelle planétaire au début du XXIe siècle, pour atteindre des valeurs records sous l’influence de l’épisode El Niño marqué de 1997/98. Parmi les autres changements observés au siècle dernier, on peut citer la multiplication des épisodes de précipitations abondantes et extrêmes dans de nombreuses régions du monde, l’élévation du niveau des mers, le recul des glaces de mer dans l’Arctique, la fonte du permafrost et l’augmentation de la fréquence des sécheresses. D’après les projections, ces changements ainsi que d’autres se poursuivront sans doute durablement à l’avenir et, dans certains cas, des évolutions plus rapides interviendront au cours du XXIe siècle.

Grâce à sa Commission de climatologie (CCl), l’Organisation météorologique mondiale (OMM) encourage et coordonne les activités de surveillance du climat dans le monde entier et contribue à renforcer les capacités en la matière dans les pays en développement et les pays les moins avancés.

Afin de relever les différents défis qui se présentent dans le domaine de la surveillance du climat , la CCl a mis sur pied, à sa quatorzième session tenue à Beijing (Chine) en novembre 2005, l’Équipe d’experts pour la surveillance du climat, y compris l’utilisation des données
et des produits satellitaires et maritimes (ET2.2)
( http://www.wmo.int/pages/prog/wcp/ccl/opags/documents/ET2_2.pdf),
qui est en fait l’une des deux équipes d’experts relevant du Groupe d’action sectoriel ouvert de la surveillance et de l’analyse de la variabilité du climat et des changements climatiques de la Commission, coprésidé par Thomas C. Peterson (États-Unis d’Amérique) et Manola Brunet-lndia (Espagne). Cette équipe est chargée d’encourager, de faciliter et de coordonner les activités relatives à la surveillance du climat dans le monde, et d’aider à renforcer les capacités nécessaires dans les pays en développement.

Lors de sa première réunion de planification tenue à Tarragone (Espagne) en septembre 2006, l’ET2.2 a défini un plan de travail pour 2006-2009, dans lequel elle a pris l’engagement ferme de promouvoir l’utilisation de données et de produits satellitaires et mari-
times dans le cadre de la surveillance du climat.

Pourquoi surveiller le climat et les phénomènes météorologiques?

Du fait qu’il se modifie à diverses échelles temporelles, le climat terrestre a de nombreuses répercussions sociales, économiques et écologiques, notamment dans les domaines de la sécurité—y compris la sécurité alimentaire—, de la santé, du tourisme et de l’énergie. Pour pouvoir faire face à ces changements et s’y adapter, il importe d’en comprendre les causes, l’intensité et l’ampleur, et d’en prévoir les effets. La surveillance du climat permet de fournir aux utilisateurs les informations dont ils ont besoin pour planifier et appliquer avec efficacité des mesures de lutte contre les variations du climat ainsi que de la fréquence, de l’intensité et de la répartition géographique des événements climatiques et météorologiques extrêmes. Cette surveillance est particulièrement utile en cas de vagues de chaleur, de sécheresse, de fortes précipitations, de crues et de cyclones tropicaux (y compris les ouragans et les typhons), car ces phénomènes ont souvent des répercussions catastrophiques sur le système socio-économique (voir figure 1).

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Figure 1 — Dans le sens des aiguilles d’une montre, en partant du haut à gauche: les conséquences des inondations en Angleterre (juillet 2007), du cyclone Sidr au Bangladesh (2007), de l’ouragan Katrina aux États-Unis d’Amérique (2005) et du cyclone Larry en Australie (2006)
 

À titre d’exemple, les sécheresses peuvent faire chuter le niveau des réservoirs et des lacs, au point même de les assécher complètement (voir figure 2), entraînant ainsi une diminution considérable du rendement des cultures et du cheptel reproducteur et, par suite, une hausse des prix des denrées alimentaires, des pénuries alimentaires, la famine, voire des conflits politiques. Parallèlement, la sécheresse cause souvent une dégradation de la qualité de l’eau potable et un épuisement des ressources en eau, qui représentent de nouveaux risques pour la santé humaine. Durant les périodes de sécheresse, il est fréquent que les feux de brousse et les tempêtes de poussière se multiplient et menacent les habitations, les cultures, les hommes et le bétail. La sécheresse accentue le manque de ressources en eau, déjà fortement sollicitées par des populations et des sociétés qui s’accroissent et consomment toujours plus d’eau et de nourriture.

D’autres phénomènes extrêmes que la sécheresse peuvent avoir de profondes répercussions sur la société et l’économie—par exemple, les grands cyclones tropicaux, les vagues de chaleur et les épisodes de pluies abondantes. La fréquence et l’intensité de ce type de phénomènes devraient augmenter sous l’effet du réchauffement de la planète. La surveillance du climat est d’une importance cruciale pour comprendre la rapidité des changements climatiques et leurs impacts. Ainsi, lorsqu’une ville est touchée par un épisode de sécheresse ou une vague de chaleur intense, les pouvoirs publics ont besoin de savoir s’il s’agit d’un événement rare (c’est-à-dire se produisant une fois tous les 100 ans en moyenne) ou relativement fréquent (se produisant une fois tous les 10 ans), et si des phénomènes bien plus graves risquent de se produire dans les décennies suivantes, afin de pouvoir mettre en place des mesures de parade plus efficaces (par exemple, augmenter la capacité des réservoirs, améliorer le rendement hydraulique et modifier les règles de consommation de l’eau).

Les quatre objectifs prioritaires des experts de la CCl

La surveillance du système climatique de la planète dans tous ses aspects revêt une importance croissante, car les signes se multiplient qui démontrent que le climat a évolué au cours des dernières décennies et les projections laissent entrevoir des changements climatiques durables, peut-être même plus rapides, dans les décennies à venir. En outre, l’évolution et le développement des sociétés (par exemple, l’augmentation croissante du nombre de personnes dépendant des mêmes ressources, ou la hausse des densités de population dans les centres urbains existants et en construction ainsi que dans les environnements vulnérables tels que les zones côtières), qui contribuent à accroître leur vulnérabilité, mettent aussi en évidence la nécessité de surveiller et de comprendre l’évolution du climat.

Au cours des dernières décennies, les progrès majeurs réalisés dans les techniques et les systèmes d’observation ont permis à la communauté scientifique de se constituer un éventail de jeux de données locales, satellitaires et maritimes qui s’étoffe rapidement. Utilisés dans le cadre de programmes opérationnels de surveillance du climat menés dans toutes les régions, ces jeux de données ont largement contribué à améliorer les capacités permettant de connaître, en temps réel, les conditions climatiques à l’échelle du globe. Grâce à l’offre accrue de produits et d’outils nouveaux, conjuguée à la collaboration et au partage des données au plan international, les scientifiques du monde entier peuvent livrer aux responsables politiques et aux décideurs du secteur privé des informations de meilleure qualité, plus rapidement que par le passé. Il existe toutefois des disparités entre les capacités des pays développés et celles des pays en voie de développement.

En collaboration avec Randall Cerveny, rapporteur de la CCl pour les extrêmes climatiques, et Mark D. Schwartz, expert invité spécialiste de la phénologie, les experts de l’ET2.2 ont inscrit quatre objectifs prioritaires en matière de surveillance du climat dans leur plan de travail pour 2006-2009, à savoir:

  • Le développement d’applications pour les jeux de données satelli-taires, maritimes et locales: il s’agit ici de favoriser la mise au point d’applications de bout en bout de données de télédétection et in situ aux fins de surveillance du climat et de détection des changements climatiques en mer, à terre et dans l’atmosphère;
  • L’amélioration de la surveillance des extrêmes aux niveaux planétaire et continental: la première mesure à prendre à cet égard consiste à créer et à tenir à jour une base de données ouverte portant sur les extrêmes à l’échelle de la planète et des continents, sous la houlette du rapporteur pour les extrêmes climatiques;
  • La promotion et la coordination des travaux de phénologie et la sensibilisation à l’utilisation de données phénologiques pour la surveillance du climat;
  • Le renforcement des capacités en matière de surveillance du climat dans les pays en développement.

Dans le cadre de la mise en œuvre de ces objectifs, un site Web consacré à la surveillance du climat (http://www.omm.urv.cat/) a été créé pour faciliter l’échange d’informations, de données et de produits. Ce site, hébergé par l’Université Rovira i Virgili (Espagne), servira ultérieurement de portail ouvrant sur de nouveaux produits ayant trait à la surveillance du climat, destinés aux Services météorologiques nationaux et à leurs usagers. Ce portail offrira par ailleurs un accès à des ressources didactiques et à des programmes de formation professionnelle à distance élaborés par des experts, notamment dans le cadre de programmes spéciaux de l’OMM ou d’autres programmes internationaux.

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Figure 2 — Un berger et son troupeau dans le lit d’un fleuve asséché, au nord de la Chine  

Les grands projets de surveillance du climat de la CCl

Pour atteindre ses quatre objectifs prioritaires, l’ET2.2 a défini 17 domaines d’action regroupés dans trois grands projets:

L’audit des capacités

L’équipe d’experts envisage actuellement de procéder via le Web à un «audit des capacités» des données et des produits satellitaires et in situ, dans le but de recenser:

  • Les descriptions des jeux de données;
  • Les exemples de données de sortie issues de jeux de données;
  • Les questions et les problèmes connus;
  • Les points d’accès aux données;
  • Les responsables compétents chargés du développement ou de la maintenance des jeux de données;
  • Les liens avec les besoins du Système mondial d’observation du climat (SMOC) en matière de relevés climatologiques;
  • Les résumés des relevés climatologiques manquants (c’est-à-dire les jeux de données restant à établir pour répondre aux besoins du SMOC).

La surveillance mondiale du climat

  website
  Figure 3 — Site Web de l’Équipe d’experts OMM/CCl (ET2.2) pour la surveillance du climat, y compris l’utilisation des données et des produits satellitaires et maritimes
( www.senamhi.gob.pe)

Ce projet vise à améliorer les capacités de tous les pays en matière de surveillance du climat grâce à la diffusion de ressources didactiques et à l’échange de produits d’exploitation entre les Services météorologiques et hydrologiques nationaux (SMHN)—deux mesures qui sont d’ores et déjà appliquées par le biais des pages Web de l’OMM consacrées à la surveillance du climat. Celles-ci comportent en effet des liens renvoyant à des informations sur les techniques et les méthodes employées dans ce domaine, ainsi qu’aux sites Web de différents SMHN où sont publiés des produits de surveillance réguliers et des bulletins de veille climatique. Le projet comporte deux volets:

- Le renforcement des capacités par la démonstration: le site Web de l’ET2.2 permettra l’échange d’informations sur les méthodes appliquées par différents groupes pour surveiller le climat, présentera divers indices (comme l’indice de sécheresse de Palmer) et proposera des liens vers les sites Web présentant les mesures adoptées dans d’autres pays;

- La promotion des études sur la phénologie des végétaux et la mise à jour des connaissances grâce à la publication de documents techniques pertinents de l’OMM. Il convient de tenir compte, à cet égard, de la nécessité d’établir des normes internationales (notamment en ce qui concerne les espèces-témoins) et de renforcer la collaboration internationale. Dans le cadre de ce projet, les experts tiendront la Commission informée des difficultés rencontrées par les spécialistes de la phénologie et proposeront une stratégie pouvant permettre d’y faire face.

L’amélioration du suivi du climat assuré par l’OMM

L’ET2.2 s’attachera également à parfaire la compréhension, du point de vue scientifique, de l’état du climat mondial par le biais des rapports publiés chaque année par l’OMM sur ce sujet. Ces rapports illustrent les avantages que les Membres de l’Organisation ont à coopérer pour surveiller le climat mondial et améliorer les connaissances scientifiques dans ce domaine. Ils présentent les conditions climatiques actuelles et les changements intervenus dans le passé pour plus de 20 variables climatologiques essentielles, dans des chapitres consacrés aux conditions atmosphériques observées à l’échelle mondiale, aux conditions relevées à la surface de la mer et en profondeur, à l’activité des cyclones tropicaux dans tous les bassins et aux conditions prévalant dans les régions polaires.

Les rapports sur l’état du climat, établis par un large groupe de scientifiques originaires de toutes les Régions de l’OMM sous la houlette du Centre national de données climatologiques relevant de l’Administration américaine pour les océans et l’atmosphère (NOAA), détaillent aussi les conditions météorologiques et climatiques marquantes ayant touché les Régions. Par ailleurs, ils figurent dans l’édition de juin du Bulletin of the American Meteorological Society.

Bien que d’immenses efforts aient été déployés pour garantir que les rapports annuels sur l’état du climat mondial soient complets, offrent les mêmes perspectives à toutes les Régions et comprennent des contributions de scientifiques du monde entier, l’ET2.2 a défini trois aspects restant à améliorer:

- La traduction des rapports dans toutes les langues officielles de l’ONU (arabe, chinois, espagnol, français et russe), qui a commencé avec «L’état du climat en 2005», publié en juin 2006.

- La recherche d’auteurs et, éventuellement, d’experts supplémentaires pour la rédaction des éditions futures des rapports: compte tenu de l’importance croissante des auteurs et suite aux discussions tenues lors de la dernière session de la CCl (Beijing, novembre 2005), l’ET2.2 a demandé que le processus de sélection des auteurs soit réexaminé et clarifié pour que les futurs rapports puissent bénéficier des compétences, des participations et des contributions internationales adéquates.

Cette étude devrait permettre d’expliciter l’élaboration des rapports et d’identifier les domaines de compétences pouvant contribuer à les améliorer. Elle sera publiée sur les pages du site Web du Centre de données climatologiques des États-Unis consacrées à l’état du climat et comportera un lien renvoyant au site de l’OMM dédié à la surveillance du climat.

Ces initiatives visant à associer davantage de scientifiques internationaux à la rédaction des rapports annuels ont permis de recueillir la participation de plus de 50 nouveaux auteurs à l’édition de 2006, ce qui porte le nombre total d’auteurs à plus de 150.

- L’inclusion de nouvelles données phénologiques dans les futurs rapports: les chercheurs euro-
péens susceptibles d’apporter une contribution en la matière ont été recensés et contactés, et l’édition de 2007 comportera de nouveaux articles consacrés à la phénologie.

Pour que tous ces projets et activités aboutissent, il faudra les mener en coordination avec d’autres programmes internationaux et élaborer des synthèses et des directives scientifiques portant sur la surveillance du climat, la formation professionnelle, l’enseignement et le renforcement des capacités. Toutes les mesures adoptées, les produits qui doivent être fournis par l’ET2.2 et le stade d’avancement des projets seront présentés en détail à l’adresse http://www.omm.urv.cat/work-plan2.html. Des mesures complémentaires pourront être prises au besoin.

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Figure 4 — Les informations recueillies dans le cadre de la surveillance du climat aident les scientifiques à mieux comprendre la variabilité et l’évolution du climat, tout en formant une composante de la prévention des catastrophes et de l’atténuation de leurs effets, de la protection de l’environnement et du développement socio-économique.  

Remerciements

Les auteurs souhaitent remercier Pierre Bessemoulin (président de la CCI), Hama Kontongomde (Secrétariat de l’OMM), Enric Aguilar (Université Rovira i Virgil, Espagne) et Jose Antonio Lopez (chef du Département de climatologie du Service météorologique espagnol) pour leur participation à la première session de l’ET2.2, leur contribution à la mise au point de son programme de travail et leur engagement dans ses activités.


Ils adressent aussi leurs remerciements à Omar Baddour, chef de la Division des applications de la gestion des données, qui a revu cet article, développé le portailWeb de l’ET2.2 et facilité les travaux de l’Équipe.


1. Division de la recherche sur le climat, Environnement Canada, Canada

2. Centre national de données climatologiques, NOAA, États-Unis d’Amérique
3. Université Rovira i Virgili, Espagne
4. Université d’Arizona, États-Unis d’Amérique
5. Service météorologique, Royaume-Uni
6. Direction de la météorologie nationale, Maroc
7. Service météorologique, Malaisie
8. Service météorologique, Allemagne
9. Université du Wisconsin-Milwaukee, États-Unis d’Amérique
10. Centre climatologique national, Chine (président de l’ET2.2)

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