par David Goodrich1 et William Westermeyer2
Le mois d’avril 2012 marque le vingtième anniversaire du Système mondial d’observation du climat (SMOC), un programme destiné à fournir des informations et des données d’observation à l’appui du processus de prise de décisions dans ce domaine. Ce Système s’appuie sur les systèmes opérationnels et scientifiques actuels d’observation, de gestion des données et de diffusion de l’information. Il prend en compte les composantes climatiques du Système mondial d’observation de l’OMM, du Système mondial d’observation de l’océan, du Système mondial d’observation terrestre et de différents programmes de surveillance d’autres éléments essentiels du système climatique, par exemple les constituants de l’atmosphère. Le SMOC est parrainé par l’OMM, la Commission océanographique intergouvernementale (COI) près l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et le Conseil international pour la science (CIUS). Il a officiellement vu le jour lors de la première réunion du Comité scientifique et technique mixte pour le SMOC, qui s’est tenue à Genève en avril 1992.
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Réunion inaugurale du Comité scientifique et technique mixte pour le SMOC, 13-15 avril 1992, siège de l’Organisation météorologique mondiale, Genève, Suisse
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Dans les années 1980 et au début des années 1990, plusieurs initiatives de recherche ont été lancées à l’échelle de la planète en vue d’aider les scientifiques à mieux appréhender les différents phénomènes climatiques et à en améliorer ainsi la prévision. Mais les chercheurs ont rapidement pris conscience des problèmes majeurs que pouvaient poser les relevés d’observations du climat à long terme, relevés pourtant indispensables à une bonne compréhension des changements climatiques et à la prise en compte de leurs conséquences. Le premier Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), publié en 1990, aborde cette question. Aux conclusions portant sur l’état du système climatique vient s’ajouter la déclaration suivante à propos du système d’observation:
Des observations systématiques à long terme du système sont indispensables pour mieux comprendre la variabilité naturelle du système climatique de la planète, déterminer si les activités humaines modifient ce système, paramétriser les processus clés pour les introduire dans des modèles et vérifier les simulations établies à l’aide de modèles. Il faut accroître la précision et le champ de nombreuses observations. Parallèlement à l’augmentation des observations, il faut élaborer des bases d’information adéquates et complètes sur le plan global en vue d’assurer une diffusion et une utilisation rapides et efficaces des données.
En outre, la deuxième Conférence mondiale sur le climat (CMC-2, 1990) a invité le Congrès météorologique mondial à améliorer la surveillance et la recherche dans le cadre du Programme climatologique mondial (PCM). Comme suite à cette invitation, une réunion d’experts s’est tenue en janvier 1991 dans les locaux du Bureau météorologique du Royaume-Uni pour définir le principe d’un système mondial d’observation du climat et mettre au point des accords de parrainage. Au début de l’année 1992, le protocole d’accord pour la création du Système mondial d’observation du climat était signé entre les différentes organisations de parrainage pressenties. Un Bureau de planification mixte (ultérieurement rebaptisé Secrétariat du SMOC) était alors mis en place au siège de l’OMM à Genève, un Comité scientifique et technique mixte pour le SMOC (qui deviendra le Comité directeur du SMOC) était constitué et, à la mi-1995, un plan complet pour le SMOC était mis au point.
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Le principe de base du SMOC s’appuie sur les différents volets des systèmes d’observation existants pour l’étude du climat
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Le Système mondial d’observation du climat appuie l’ensemble des activités du Programme climatologique mondial, les travaux d’évaluation du GIEC et l’action internationale menée dans le cadre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Il est plus particulièrement destiné à recueillir sur de longues périodes des données d’observation détaillées sur le climat ou liées au climat en vue de:
• Détecter toute manifestation du changement climatique et en déterminer les causes;
• Établir des modèles et des prévisions relatives au système climatique;
• Évaluer les incidences de l’évolution et de la variabilité du climat;
• Contrôler l’efficacité des politiques d’atténuation des effets du changement climatique;
• Appuyer les mesures d’adaptation au changement climatique;
• Mettre en place des services d’information sur le climat;
• Promouvoir un développement économique durable au niveau national; et
• Satisfaire aux autres prescriptions de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et autres conventions et accords internationaux.
Ainsi, le programme du SMOC vise à fournir des informations complètes sur l’ensemble du système climatique, mettant en oeuvre une série multidisciplinaire de variables physiques, chimiques et biologiques liées à l’atmosphère, à l’océan et aux terres émergées, notamment aux cycles de l’eau et du carbone et à la cryosphère. L’objectif est de satisfaire à l’ensemble des exigences nationales et internationales en matière d’observations du climat ou liées au climat à toutes les échelles spatiales (nationale, régionale et mondiale).
Le SMOC célébrera officiellement son vingtième anniversaire le vendredi 29 juin 2012, lors de la soixante-quatrième session du Conseil exécutif de l’OMM à Genève. Cette célébration sera l’occasion de passer en revue les raisons qui ont présidé à la mise en place d’un Système mondial d’observation du climat, de dresser un bilan des réalisations du Programme au cours de toutes ces années et de planifier les mesures à prendre pour faire face aux nouveaux défis et perspectives qui s’ouvrent à nous.
Progrès réalisés à ce jour
De nombreuses lacunes et insuffisances demeurent au sein des réseaux d’observation du climat, mais on enregistre toutefois quelques avancées notables au cours des deux premières décennies d’existence du Système mondial d’observation du climat. Dans le domaine atmosphérique, le réseau de surface (GSN) et le réseau aérologique (GUAN) du SMOC ont été créés à partir du vaste réseau de la Veille météorologique mondiale. Le GSN et le GUAN sont dotés de stations très performantes d’observation à longue échéance, particulièrement adaptées aux besoins dans le domaine climatologique. En 2001, le Secrétariat du SMOC a mis en place un mécanisme de coopération destiné à appuyer la modernisation ou la rénovation des stations de ces réseaux. Ce mécanisme permet aux pays développés d’aider les responsables des principales stations climatologiques des pays en développement à résoudre les problèmes qui se posent à eux. En conséquence, le programme spécial d’amélioration du SMOC a permis de rénover plus d’une trentaine de stations GSN et une vingtaine de stations GUAN, et de fournir plus de 25 années-stations de radiosondage à ce jour. La mise en place du Réseau aérologique de référence du SMOC (GRUAN), consacré aux observations en altitude, constitue une autre avancée remarquable dans ce domaine. Il s’agit d’un réseau d’observation hydride associant des sites opérationnels de mesure en altitude et des sites de recherche et fournissant des données de référence de grande qualité susceptibles d’être exploitées pour définir des profils atmosphériques.
Dans le domaine océanographique, la création du réseau mondial de flotteurs profilants Argo, par exemple, témoigne des progrès accomplis. Le programme Argo a atteint l’objectif fixé de 3 000 flotteurs en 2007 et compte actuellement plus de 3 500 flotteurs déployés dans les océans. Il fournit l’un des principaux jeux de données de surveillance de la température et de la salinité des océans. Sur le modèle du réseau Argo, le réseau mondial de bathythermographes non récupérables (XBT) a été repensé et consiste désormais en une série de lignes à haute densité de mesures et à échantillonnage fréquent. En plus de ces réseaux à large couverture, un système mondial de stations de référence, connu sous le nom d’OceanSITES, a été mis en place pour réaliser des observations sur toute la profondeur de l’océan et enregistrer plusieurs dizaines de variables sur 60 sites. Le nombre total de relevés océanographiques in situ est passé d’environ 4,5 millions en 1999 à plus de 16 millions en 2009. Dans l’ensemble, ces plates-formes offrent une vue d’ensemble riche et complémentaire des océans à l’échelle de la planète.
Les réseaux terrestres d’observation du climat se sont également améliorés depuis la création du Système mondial d’observation du climat, même si les progrès enregistrés n’ont pas été aussi rapides que dans d’autres domaines. En témoignent par exemple l’engagement accru des agences spatiales à produire des relevés de données climatologiques essentielles transmises par les systèmes existants, renforçant ainsi la disponibilité de jeux de données de portée mondiale (surfaces brûlées, fraction du rayonnement photosynthétiquement actif absorbé ou couverture terrestre, par exemple); l’amélioration des performances globales des réseaux de surveillance in situ des glaciers; et l’augmentation du nombre de données recueillies sur l’état du pergélisol, lequel constituait l’un des grands enjeux de l’Année polaire internationale 2008-2009.
Le Programme du SMOC a non seulement contribué à perfectionner certains réseaux particuliers, mais il a également joué un rôle actif à bien des égards dans l’amélioration des relevés climatologiques à long terme. L’élaboration par le SMOC des Principes pour la surveillance du climat en constitue un exemple marquant. À l’heure actuelle, ces principes servent de cadre à la mise au point et à l’exploitation de réseaux d’observations climatologiques par satellite et in situ à l’échelle du globe. Le Programme du SMOC a en outre établi des liens importants avec la CCNUCC et fait maintenant figure de porte-parole respecté des spécialistes de l’observation du climat au sein de cette instance. Les responsables du Programme transmettent régulièrement des rapports à l’Organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique relevant de la CCNUCC et sont souvent sollicités par la Conférence des Parties à la CCNUCC pour évaluer la situation des réseaux d’observation du climat et présenter des rapports d’avancement sur les améliorations apportées. Ainsi, le Programme du SMOC s’est appuyé sur son vaste réseau d’experts pour rédiger en 1998 un rapport intitulé Report on the Adequacy of the Global Climate Observing Systems (Rapport sur l’efficacité des systèmes mondiaux d’observation du climat), qui a été actualisé en 2003. La CCNUCC lui a ensuite demandé de préparer un plan de mise en oeuvre destiné à répondre aux besoins recensés dans ledit rapport. Le Plan de mise en oeuvre du Système mondial d’observation à des fins climatologiques dans le contexte de la CCNUCC a ainsi été élaboré en 2004, puis actualisé en 2010, à la suite du rapport d’activité publié en 2009. La CCNUCC a considéré que ces documents lui étaient très utiles, et le Programme du SMOC a donc prévu de les mettre à jour à intervalles réguliers, à savoir tous les cinq ou six ans.
En 1999, la CCNUCC a en outre demandé au Programme du SMOC de mettre en place un programme d’ateliers régionaux destiné à recenser les besoins prioritaires des pays en développement en matière de systèmes d’observation Ce programme (2000-2006) a abouti à l’élaboration de plans d’action régionaux dans dix régions du monde. Toutefois, la mise en oeuvre des projets proposés s’est avérée plus difficile que la mise au point desdits plans, et seuls quelques projets ont été menés à bien. Afin d’aider les régions d’Afrique à trouver des financements pour la réalisation des projets, le Secrétariat du SMOC a contribué à l’organisation d’une réunion en Éthiopie en 2006, qui a conduit à la création du programme ClimDev Afrique (le climat au service du développement en Afrique). Cet important programme s’apprête à appuyer le financement d’initiatives visant à répondre aux besoins de l’Afrique en matière de systèmes d’observation. Le Programme du SMOC poursuivra sa collaboration avec d’autres régions afin de les aider à mobiliser les ressources nécessaires à la satisfaction de leurs besoins prioritaires.
Enfin, le Programme du SMOC peut s’enorgueillir de son action en faveur du développement de systèmes d’observation par satellite à des fins climatologiques. Une coopération directe et très active s’est mise en place entre le Programme du SMOC et les exploitants de satellites au cours des vingt années d’existence du Système mondial d’observation du climat. En témoignent en particulier les relations de travail étroites qui se sont établies entre le Programme du SMOC et le Comité sur les satellites d’observation de la Terre, premier forum international de coordination des observations de la Terre depuis l’espace En 2006, par exemple, les agences spatiales ont répondu, par l’intermédiaire du Comité, aux besoins du SMOC en matière de variables climatologiques relatives à l’atmosphère, à l’océan et aux terres émergées, ce qui a permis de définir un éventail de 58 actions distinctes à entreprendre. En outre, le Comité a demandé une analyse plus détaillée des besoins en matière d’observation du climat par satellite. Les conclusions de cette étude ont fait l’objet d’un supplément sur les satellites dans le Plan de mise en oeuvre du SMOC en 2006, puis en 2011, à la suite de la publication de la version actualisée du Plan de mise en oeuvre.
Défis et perspectives
En dépit des importants résultats obtenus ces vingt dernières années, il reste encore beaucoup à faire pour satisfaire tous les besoins. Ceci est particulièrement vrai dans les pays en développement, où certains réseaux ne se sont pas améliorés, bien au contraire, malgré les actions entreprises dans le cadre, entre autres, du Programme du SMOC.
Alors que le Programme du SMOC se projette dans l’avenir, de nouveaux grands défis à relever ont suscité l’attention. Le segment expert de la troisième Conférence mondiale sur le climat (2009) a considéré que le Système mondial d’observation du climat constituait l’une des composantes essentielles du nouveau Cadre mondial pour les services climatologiques. De nouveaux services climatologiques font l’objet d’une demande de la part de groupes importants d’utilisateurs, notamment dans les domaines de l’eau, l’agriculture, la santé et la gestion des risques de catastrophe. Le SMOC doit pouvoir y répondre à l’échelle tant locale que régionale ou mondiale. En effet, la qualité des services climatologiques dépendra, du moins en partie, de l’efficacité des réseaux d’observation sur lesquels repose le Système mondial d’observation du climat.
Un flotteur Argo est déployé dans l’océan Austral (à gauche). Il émerge à la surface pour transmettre les données (à droite).
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Station d’observation terrestre à
Mazatlan, Mexique (à gauche).
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Mesures de densité dans une coupe de neige dans la zone d’accumulation d’un glacier .- M. Hoelzle/University of Zurich |
Le Programme du SMOC a participé activement à l’élaboration du Plan de mise en oeuvre du Cadre mondial pour les services climatologiques. En collaboration avec le Département des systèmes d’observation et d’information de l’OMM, d’autres organisations du système des Nations Unies et les parties intéressées, il participe à la rédaction de l’annexe du Plan portant sur les observations et la surveillance. Le Plan de mise en oeuvre du Cadre mondial pour les services climatologiques et ses annexes seront soumis à approbation lors de la session extraordinaire du Congrès météorologique mondial qui se tiendra en octobre 2012.
Aux nouveaux besoins en matière d’observations climatologiques à l’appui du développement et de l’exploitation des services climatologiques viennent s’ajouter les demandes en matière de gestion des risques liés au climat et d’adaptation aux changements climatiques. L’accès à des informations fiables sur l’ampleur probable des variations du climat régional à l’échelle saisonnière et interannuelle ou de ses changements à l’échelle décennale, voire davantage, constitue une condition préalable à une gestion efficace des risques liés au climat et à l’adaptation aux changements climatiques. Dans un proche avenir, le Programme du SMOC envisage d’organiser un atelier de grande envergure qui permettra de mieux appréhender les besoins en systèmes d’observation en vue de mettre au point des mesures efficaces d’adaptation. À plus long terme, il veillera à la satisfaction des besoins ainsi définis.
En résumé, le Programme du SMOC a déjà réalisé de grandes choses au cours de ces vingt dernières années à l’appui du Système mondial d’observation du climat. Reste toutefois le défi que posent la mise en place et l’exploitation d’un système d’observation du climat complètement opérationnel et susceptible de répondre aux besoins en matière d’observations du climat à des fins scientifiques, d’élaboration de politiques, de prestation de services et d’évaluation.
Bibliographie
Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC), 1990 Climate Change: The IPCC Scientific Assessment (Policymakers Summary). Rapport rédigé pour le GIEC par le Groupe de travail I sous la direction de J T Houghton, G J Jenkins et J J Ephraums, Cambridge University Press, Cambridge, Grande-Bretagne; New York, NY, États-Unis d’Amérique; et Melbourne, Australie.
Organisation météorologique mondiale, Rapport de la troisième Conférence mondiale sur le climat (OMM-N°1048), Genève.
SMOC, octobre 1998, Report on the Adequacy of the Global Climate Observing Systems (GCOS-48), Genève.
SMOC, avril 2003, Second Report on the Adequacy of the Global Observing Systems for Climate in Support of the UNFCCC (GCOS-82), Genève.
SMOC, octobre 2004, Implementation Plan for the Global Observing System for Climate in support of the UNFCC (GCOS-92), Genève.
SMOC, septembre 2006, Systematic Observation Requirements for Satellite-based Products for Climate (GCOS-107), Genève.
SMOC, août 2009, Progress Report on the Implementation of the Global Observing System for Climate in support of the UNFCCC 2004-2008 (GCOS-129), Genève.
SMOC, août 2010, Implementation Plan for the Global Observing System for Climate in Support of the UNFCCC (mise à jour 2010) (GCOS-138), Genève.
SMOC, décembre 2011, Systematic Observation Requirements for Satellite-based Products for Climate (mise à jour 2011) (GCOS-154), Genève.
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1 Ancien Directeur, Secrétariat du SMOC (juin 2005-juillet 2008)
2 Fonctionnaire scientifique principal, Secrétariat du SMOC (jusqu’au 31 décembre 2011)