Tirer les leçons du passé pour comprendre l’avenir: observations historiques des changements dans l’océan

22 mars 2021
  • Author(s):
  • Rob Allan, Kevin Wood, Eric Freeman, Clive Wilkinson, Axel Andersson, Andrew Lorrey, Philip Brohan, Martin Stendel, John Kennedy

On assiste à une demande croissante de bases de données sur les conditions météorologiques sur terre et en mer couvrant des périodes plus longues et ayant une résolution plus élevée, qui permettent de mieux anticiper les impacts futurs du temps et du climat sur le système terrestre et la société. La construction de ces corpus de données climatiques de référence nécessite un effort massif: il s’agit en effet de récupérer des enregistrements manuscrits et de les convertir au format numérique, de contrôler la qualité d’énormes quantités de données météorologiques historiques, de les intégrer, puis de les soumettre à une nouvelle génération de systèmes de modélisation et d’analyse rétrospective (réanalyse) fonctionnant sur les ordinateurs les plus puissants du monde.

Au cours de la dernière décennie, on a pris progressivement conscience de l’importance que revêtent les données de météorologie maritime anciennes pour combler les principales lacunes dans la couverture des données existantes. Les données maritimes, qui portent sur les 70 % de la surface de la Terre recouverts par les océans, sont un moyen essentiel (et, pour la majeure partie de l’histoire, le seul moyen) de quantifier les différents rôles que l’océan mondial a exercé dans la régulation du climat au fil du temps; elle sont donc également le meilleur moyen de prévoir la trajectoire future du climat et son impact probable sur tous les aspects de la vie. De fait, le besoin urgent d’anticiper le climat futur, conjugué à l’existence de modèles de plus en plus performants et à des systèmes de réanalyse fondés sur des données, ont modifié du tout au tout la valeur des données météorologiques anciennes pour la climatologie.

La principale source de données maritimes anciennes est constituée par les anecdotes météorologiques, les remarques et les observations consignées dans les livres de bord et les journaux rédigés à bord des navires qui ont sillonné les mers locales ou traversé les océans du monde pendant des siècles. Des tableaux normalisés d’informations et de mesures non instrumentales du temps maritime ont fait leur apparition au début du XVIe siècle, puis le milieu et la fin du XVIIIe siècle ont marqué l’émergence d’observations plus systématiques, effectuées avec des instruments météorologiques de haute qualité. Les premières initiatives visant à établir une coordination et une normalisation internationales dans le domaine de la météorologie maritime remontent à la Conférence maritime de Bruxelles de 1853. C’est à partir de cette période que les navires militaires et marchands de nombreuses nations ont commencé à recueillir et enregistrer systématiquement des millions d’observations météorologiques et d’observations effectuées à la surface de la mer. Aujourd’hui, ces archives fournissent les données dont nous avons besoin pour alimenter les modèles et les réanalyses les plus en pointe.

 

De COADS à ICOADS

Dans le domaine du sauvetage des données maritimes, une opération de grande ampleur a été menée dans les années 1980 dans le but de produire le recueil le plus complet d’observations de météorologie maritime en surface. Ces efforts ont abouti à la constitution de «l’ensemble de données détaillées océan-atmosphère» (Comprehensive Ocean Atmosphere Data Set, COADS), qui comprenait de nouveaux répertoires d’observations de météorologie maritime numérisées issues de sources multiples, souvent produites et stockées sur des cartes perforées à cette époque. Le soutien et les contributions de la communauté internationale au développement de l’ensemble de données s’étant intensifiés au fil des ans, le projet a été rebaptisé «ensemble international intégré de données sur l’océan et l’atmosphère» (International Comprehensive Ocean-Atmosphere Data Set, ICOADS) en 2002, afin de mieux rendre compte des contributions importantes apportées par les partenaires internationaux et les gestionnaires de données mondiaux.

Figure 1: Major historical digitized and external archive marine data sources

Figure 1: Principales sources anciennes de données maritimes numérisées et d’archives externes ajoutées à ICOADSv3, 1800‑2014. Les lignes noires horizontales indiquent la période couverte par les sources de données maritimes originales. Les nombres annuels de rapports sont représentés sous forme de courbes (échelles logarithmiques sur l’axe vertical), en bleu pour la version précédente d’ICOADS, ICOADS R2.5, et en rouge pour la version la plus récente ICOADS R3.0. La couverture des données maritimes avant 1800 est très lacunaire, et celle postérieure à 2007 continue de croître chaque année. Source: Freeman et al., 2017.

Par ailleurs, depuis sa création, ICOADS s’est progressivement imposé comme le principal répertoire d’observations anciennes de météorologie maritime issues de travaux de numérisation de petite ou grande ampleur, et comme le principal point d’accès à ces observations. Il comprend notamment les données météorologiques anciennes récupérées et numérisées dans le cadre des projets CDMP (Climate Database Modernization Program: 2000-2011), CLIWOC (Climatological Database for the World’s Oceans 1750-1850: 2001-2003), RECLAIM (RECovery of Logbooks And International Marine data: 2004–>), International Atmospheric Circulation Reconstructions over the Earth (ACRE), 2007–>) (Allan et al., 2016) et CoRRaL (UK Colonial Registers and Royal Navy Logbooks: 2008-2009).

La version la plus récente d’ICOADS est ICOADS R3.0 (période 1662-2014) (Freeman et al., 2017), qui comprend des extensions mensuelles en temps quasi réel de 2015 à aujourd’hui. La figure 1, qui est tirée de cette publication, compare les versions R2.5 et R3.0 d’ICOADS pour la période 1800-2014, ce qui permet de constater les progrès réalisés grâce aux nombreuses initiatives de récupération des données. Ces initiatives de sauvetage, dont on mesure l’importance tant en termes de volume que de couverture temporelle, sont essentielles pour continuer à développer cet important répertoire d’observations et permettre au public d’accéder à davantage de données sur l’océan. Compte tenu du fait qu’ICOADS souhaite moderniser et étendre ses collections dans l’avenir proche pour publier un nouveau jeu de données, les opérations de sauvetage et de numérisation seront essentielles pour fournir de nouvelles sources de données pouvant alimenter le jeu de données; cela contribuera à améliorer encore la compréhension scientifique des conditions environnementales qui ont régné sur les océans mondiaux dans l’histoire.

Depuis la parution d’ICOADS R3.0, des efforts concertés ont été menés pour étendre la récupération, le scannage et la numérisation des données de météorologique maritime anciennes mondiales. D’importants travaux ont d’ores et déjà été entrepris dans le cadre d’un ensemble de projets de sauvetage de données, nouveaux ou en cours, et d’activités scientifiques participatives sous l’égide du Deutscher Wetterdienst (DWD, service météorologique allemand), de l’Administration américaine pour les océans et l’atmosphère (NOAA) et de l’Université de Washington (en collaboration avec les Archives nationales des États-Unis), ainsi que du projet GloSAT (Global Surface AirTemperature) (2019–>), ou des travaux liés à l’initiative internationale ACRE et à son chapitre ACRE Oceans (par exemple, le service de sauvetage des données [DRS] Copernicus C3S de l’UE et les projets du Climate Science for Service Partnership China (CSSP Chine) du UK Newton Fund au titre d’ACRE Chine, d’ACRE/C3S DRS/WCSSP Afrique du Sud, d’ACRE/C3S DRS Argentine et d’ACRE/C3S DRS Antarctique). Ces initiatives ont permis d’intégrer de nouveaux points focaux interconnectés de sauvetage de données maritimes relevant des sciences participatives, dans le cadre de Old Weather (2013–>), Weather Detective (2014-2017) et Southern Weather Discovery (2018–>). Les Archives nationales danoises ont également repéré une collection de plus de 7 000 boîtes d’archives de données météorologiques recueillies par des navires à partir de 1650, qui se prêtent à la numérisation et à la transcription. Toutes les données maritimes qui ont été numérisées dans le cadre des initiatives sus-décrites seront mises à la disposition d’ICOADS et du nouvel ensemble de données d’observations terrestres et maritimes mondiales Copernicus de l’UE (GLAMOD) (Thorne et al., 2017).

ACRE Oceans

La grande majorité des données récupérées (c’est-à-dire numérisées/scannées et répertoriées) par ACRE Oceans l’ont été grâce aux efforts de seulement deux personnes, qui ont utilisé principalement trois archives du Royaume-Uni – les archives du Service météorologique du Royaume-Uni (UKMO), du Service hydrologique du Royaume-Uni (UKHO) et des Archives nationales (TNA) – et consulté un certain nombre d’autres répertoires à travers le monde (Afrique du Sud, Argentine, Australie, Chili, États-Unis, Nouvelle-Zélande et Scandinavie). Depuis lors, certaines de ces données maritimes anciennes ont été numérisées, soit de manière classique par saisie, soit dans le cadre d’initiatives scientifiques participatives. En 2019, ACRE Oceans a scanné 2,6 millions d’observations maritimes anciennes, et en avait numérisé 1,5 million. Le tableau suivant dresse un panorama complet des opérations de scannage et de numérisation qui ont été entreprises pour les seules régions de l’Antarctique et de l’océan Austral. Il convient de noter qu’une grande partie des données récupérées l’ont été à partir de quelques archives seulement, et que de nombreuses archives ont été découvertes mais n’ont pas été scannées. Il existe plusieurs autres archives dans le monde qui pourraient contenir ce type de données, mais elles n’ont pas encore été explorées.

Il est important de savoir que les journaux de bord de la marine militaire et de la marine marchande ne sont pas les seules sources de données maritimes anciennes. On trouve également des données météorologiques et océanographiques dans les documents hydrographiques et de topographie marine (par exemple, les livres de notes), les textes liés à la réglementation de la chasse à la baleine et de la pêche, à la pose de câbles marins, au transport du courrier (bateaux-paquets), aux yachts, aux navires transportant des condamnés et des colons, ainsi que de nombreux autres types de documents autres que les journaux de bord des navires. La majeure partie de ces données doit encore être traitée – c’est-à-dire scannée et/ou numérisée, répertoriée et archivée.

Il faut également savoir que de nouvelles archives et de nouveaux types de documentation sont constamment mis au jour. Par exemple, à l’UKHO, ACRE Oceans a trouvé des cahiers d’exercices qui étaient utilisés pour compiler les observations des distances méridiennes et établir ainsi les longitudes des lieux, et dans lesquels la pression et la température de l’air étaient consignées deux fois par jour. Ces dernières données avaient été négligées, car les observations correspondantes étaient noyées sous la masse des autres chiffres.

 

Service météorologique allemand (Deutscher Wetterdienst, DWD)

L’Office de météorologie maritime de Hambourg (Seewetteramt) du DWD possède dans ses archives plusieurs collections de relevés météorologiques mondiaux anciens originaux provenant de navires ainsi que de stations côtières allemandes et de stations terrestres d’outre-mer. Cette archive provient du Deutsche Seewarte (Observatoire maritime allemand), organisme prédécesseur du DWD établi à Hambourg, qui a existé de 1868 à 1945. Avec un stock de plus de 37 000 livres de bord météorologiques, il s’agit de l’une des archives de ce type les plus vastes au monde.

Monday, 14 December 1733. At the marker it says that there was wind from the west with a strength of bramsejls kuling (i.e. topgallant sail).

Sur la frégate Hummer (‘homard’), qui naviguait de Nyborg, sur l’île de Fyn, à Copenhague, une brise d’ouest (Beaufort 3) a été notée le lundi 14 décembre 1733.

L’archive de livres de bord comprend plusieurs collections de livres de bord, dont les plus anciens remontent à 1828. Les premières observations proviennent des livres de bord réguliers des bateaux. Toutes les autres collections sont constituées de livres de bord météorologiques normalisés, qui ont été introduits par Matthew Maury (de 1840 à 1860). À partir de 1868, l’Observatoire maritime allemand a fourni ses propres journaux météorologiques aux navires marchands allemands. Les observations météorologiques consignées dans ces journaux étaient utilisées pour produire des cartes du temps, des vents et des courants. Sur la base de ces connaissances climatologiques et de l’expérience des marins, l’Observatoire maritime allemand a compilé un ensemble d’instructions de navigation à l’intention des navires marchands, en échange de leurs observations volontaires – un système toujours pratiqué au travers du Programme international de navires d’observation bénévoles.

On estime que les archives historiques du Seewarte recèlent au moins 23 millions d’observations maritimes au total, mais il y en a sans doute encore beaucoup plus. La numérisation des livres de bord a commencé au début des années 1940, et des millions d’observations ont été transférées sur des cartes perforées à cette époque. Depuis lors, le processus de numérisation s’est poursuivi en plusieurs étapes au sein du DWD. Jusqu’à présent, 15 millions d’observations environ ont été numérisées et incorporées dans une base de données numérique.

Un flux de tâches élaboré a été mis en place pour numériser les contenus des livres de bord, suivant un processus en plusieurs étapes: collecte de toutes les métadonnées pour un livre de bord spécifique, balayage optique des livres de bord et enfin transcription (saisie) du contenu. Toutes les données numérisées à chaque étape sont stockées dans un système de base de données. En dernier lieu, après le contrôle de leur qualité, les données sont incorporées dans les archives de météorologie maritime du DWD ainsi que dans ICOADS.

Les initiatives de numérisation, qui ne se limitent pas à celles du DWD, se poursuivent depuis plusieurs décennies dans le cadre de différents projets, dont la plupart ont été présentés dans cet article. Par conséquent, les contenus des diverses archives de données sont morcelés; par exemple, certains livres de bord n’ont été que partiellement numérisés, ou les entrées des bases de données proviennent de phases de numérisation différentes. Pour d’autres ensembles de données, les liens vers les relevés de métadonnées correspondants ont été égarés au fil du temps. Au cours des programmes d’échange de données, certaines données ont été dupliquées dans plusieurs archives.

Par conséquent, parallèlement à l’intégration des nouvelles données numérisées, un autre défi consistera à regrouper et homogénéiser les archives de données existantes. Dans ce contexte, l’une des tâches prioritaires du DWD sera d’attribuer les identifiants de navire manquants à chaque observation. Cela permettra de pointer les lacunes dans les données et d’appliquer un contrôle de qualité amélioré sur l’ensemble des traversées des navires, ce qui améliorera considérablement la qualité des collections de données existantes.

La numérisation du contenu des archives historiques du DWD se poursuit. Outre les livres de bord météorologiques des navires, plusieurs archives de stations terrestres sont en train d’être numérisées, de faire l’objet de contrôles de qualité et d’être soumises aux bases de données internationales (on trouvera ici de plus amples informations sur les activités de sauvetage des données du DWD).

Les opérations de numérisation du DWD continuent de reposer principalement sur la saisie manuelle des observations. Les anciennes écritures allemandes et la présentation inhabituelle de certaines feuilles de données constituent un défi permanent pour les systèmes de reconnaissance automatique de texte. À l’avenir, la transcription informatisée pourrait accélérer considérablement le processus de transcription. Cependant, la gestion des (méta)données récupérées, ainsi que la manipulation et la numérisation des documents anciens et fragiles, demandent encore un travail minutieux, nécessaire pour pouvoir convertir de précieuses sources de données anciennes en ensembles de données modernes de qualité élevée.

Figure 2: Ships’ positions where new-to-science marine-meteorological and sea-ice observations have been recovered from historical records

Figure 2: Positions des navires sur lesquels des observations de météorologie maritime et de la glace de mer nouvelles pour la science ont été récupérées à partir de relevés anciens (a. hémisphère Nord, b. hémisphère Sud). Les données extraites au travers du projet de science participative Old Weather, qui proviennent de sources fédérales américaines, principalement des navires de la Marine et de la Garde côtière des États‑Unis, sont indiquées en jaune. Les positions en orange correspondent aux données extraites des livres de bord par le projet scientifique participatif Southern Weather Discovery (SWD), administré par l’Institut national de recherche sur l’eau et l’atmosphère de Nouvelle‑Zélande (NIWA). Environ 1 à 2 % des quelque 130 000 images contenant des observations de météorologie maritime qui ont été fournies au NIWA ont été codées par le projet SWD, qui devrait s’accélérer dans les années à venir pour améliorer la couverture spatiotemporelle de l’hémisphère Sud.

NOAA/Université de Washington/Archives nationales des États-Unis

The United States Steamer “Powhatan” in a cyclone of Hatteras – From a sketch by G.T. Douglass, U.S.N. – [See Page 374.] in Harper’s Weekly, May 12, 1877.

Le bateau à vapeur américain «Powhatan» dans un cyclone à Hatteras – D’après une gravure de G.T. Douglass, U.S.N. – [Voir page 374.] dans le Harper’s Weekly du 12 mai 1877.

La NOAA et l’Université de Washington (Cooperative Institute for Climate, Ocean & Ecosystem Studies) collaborent avec les Archives nationales des États-Unis depuis 2011. Au cours de cette période, cette collaboration a généré des images numériques à haute résolution de 4 618 volumes de livres de bord de navires fédéraux, datant de 1844 à 1955. Ces documents sont tous librement accessibles partout dans le monde via le catalogue des Archives nationales. Jusqu’à présent, ces ressources ont permis d’obtenir quelque 1,5 million de relevés météorologiques horaires nouveaux pour la science, au travers du projet scientifique participatif Old Weather. Comme le montre la figure 2 a), plus de 600 000 observations sur le temps et les glaces de mer dans l’Arctique ont pu être enrichies grâce à une reconstruction minutieuse des routes des navires selon une résolution horaire, pour laquelle on s’est appuyé sur le point estimé du navire et les informations de pilotage contenues dans les livres de bord (données sur la course et la distance parcourue du navire, relèvements et distances par rapport à des points de repère connus).

La création de substituts numériques, la transcription de données météorologiques à partir de ces substituts et le contrôle de leur qualité, et la transmission des données ainsi obtenues à ICOADS et à la Banque internationale de données sur la pression de surface (ISPD) se poursuivent. Les données sur la glace de mer récupérées par le projet Old Weather ont été utilisées pour valider une reconstruction du volume des glaces de mer de l’Arctique au cours du dernier siècle, effectuée à l’aide d’un modèle (Schweiger et al., 2019; Wood et al., 2019), et les données météorologiques transcrites peuvent également être exploitées pour la recherche en apprentissage machine automatique sur la reconnaissance de l’écriture manuscrite (HCR).

La taille de la collection américaine qui reste à ce jour encore largement inexploitée donne une idée des possibilités immenses existant en matière de récupération de données. À partir de 1847, les livres de bord de la Marine, de la Garde côtière/Revenue Cutter Service des États-Unis et du Coast Survey Office contiennent des relevés météorologiques quotidiens effectués toutes les heures et consignent 7 à 10 variables par heure, même si, en réalité, les variables n’ont toutes été uniformément acquises qu’après la guerre civile des États-Unis (1861-1865). Les Archives nationales comptent environ 22 700 livres de bord datant de 1801 à 1941. Jusqu’en 1915, la plupart des volumes contiennent environ une année d’observations, puis de 1915 à 1941, les livres de bord sont généralement rassemblés en volumes mensuels. Dans l’hypothèse – prudente – où seule la moitié de ces livres de bord contiendrait la totalité des observations sur 24 heures, cela représenterait 75 500 000 relevés météorologiques à récupérer. Il existe sans doute des dizaines de millions de relevés météorologiques supplémentaires non récupérés datant de la période à partir de la Seconde Guerre mondiale.

Institut météorologique danois/Archives nationales du Danemark

Les Archives nationales du Danemark contiennent d’énormes collections de livres de bord. Dès le milieu du XVIIe siècle, il a été possible de mettre la main sur plus de 7 000 boîtes d’archives, dont le contenu – des livres de bord et d’autres données maritimes – garnit plus de 700 mètres d’étagères. Seule une très petite partie de ces données a été numérisée à ce jour.

De nombreuses nations maritimes ont récemment rendu leurs données accessibles, mais les données danoises, outre qu’elles sont très anciennes, présentent deux spécificités:

  1. Il existait des liaisons maritimes régulières entre le Danemark et les autres régions du royaume du Danemark. Pour cette raison, nous disposons d’une foule d’informations sur les vents, le temps, les températures et l’étendue des glaces que rencontraient les navires sur leurs trajets allers et retours entre le Danemark et le Groenland ou l’Islande.
  2. Les droits du Sund étaient des droits de douane que devaient payer tous les navires traversant l’Øresund entre le Danemark et la Suède actuelle (qui était danoise à l’époque). Certaines années, ces droits représentaient environ un tiers du budget national danois. Le roi a donc décrété qu’un navire ne pourrait pas traverser s’il ne s’acquittait p as des droits de douane, et des navires ont été postés en divers points le long du détroit et du Grand-Belt pour faire respecter cette obligation. Les livres de bord de ces navires sont intéressants dans la mesure où ils ont une résolution temporelle élevée et remontent au XVIIe siècle.

Les Archives nationales et l’Institut météorologique danois sont en train de mettre sur pied un projet baptisé ROPEWALK (Rescuing Old data with People’s Efforts: Weather and climate Archives from LogbooK records), qui a pour objectif de numériser cette énorme quantité de données. Les techniques d’apprentissage machine automatique seront exploitées dans toute la mesure du possible, puis les données restantes seront numérisées par des volontaires, comme cela a été le cas dans d’autres projets comparables. Les données numérisées feront l’objet d’un contrôle de qualité et seront mises à la disposition de la communauté scientifique.

 

Institut national de recherche sur l’eau et l’atmosphère (National Institute of Water and Atmospheric Research) de la Nouvelle-Zélande

L’Institut national de recherche sur l’eau et l’atmosphère (NIWA) de la Nouvelle-Zélande récupère des données météorologiques dans le cadre de sa contribution au projet ACRE (via ACRE Pacifique et ACRE Antarctique) depuis 2009. Il a également transmis des données à l’ISPD par ce biais. Au cours de la dernière décennie, il a fait porter ses efforts principalement sur la récupération d’observations météorologiques dans les hautes latitudes du Pacifique Sud-Ouest et de l’hémisphère Sud, sur la période 1800-1950.

Le NIWA détient des millions d’observations remontant au milieu des années 1850 et s’emploie actuellement à créer des substituts numériques et un catalogue de métadonnées qui lui permettront de vérifier ses fonds de documents physiques et les données saisies dans les archives numériques. Il existe en Nouvelle-Zélande plusieurs autres documents météorologiques historiques de grande valeur (Lorrey et Chappell, 2016), qui ont été mis à profit pour reconstruire des modèles météorologiques synoptiques et comparés aux observations maritimes récupérées par d’autres organisations scientifiques.

Depuis quelques années, le NIWA pilote la plate-forme scientifique participative Southern Weather Discovery (SWD), hébergée sur Zooniverse (southernweatherdiscovery.org), ce qui lui a permis de récupérer de l’ordre de 250 000 observations de météorologie maritime pour l’hémisphère Sud, de promouvoir le sauvetage des données météorologiques et d’achever l’expérimentation relative à la saisie répétée des données (voir la figure 2 b)). Il collabore également activement avec Microsoft sur un projet d’intelligence artificielle (IA) pour laTerre, qui compare les observations transcrites manuellement et celles réalisées par des moyens automatiques.

Défis et actions

Les principaux défis auxquels les parties prenantes au sauvetage des données maritimes sont confrontées se divisent en deux catégories: l’accès aux documents anciens et la conversion des données du format manuscrit au format numérique.

En ce qui concerne la première catégorie, les livres de bord des navires – la source qui, de manière générale, contient les quantités les plus importantes de données de météorologie maritime de grande qualité – ont souvent 100 ans ou plus et sont considérés comme des documents d’importance nationale. Les services publics d’archives, auxquels incombe généralement la responsabilité d’entretenir et de conserver ces documents parfois fragiles, font preuve d’une prudence compréhensible. Cependant, il n’est pas rare de rencontrer d’autres obstacles, tels que la monétisation de l’accès (qui vient s’ajouter au coût de la numérisation elle-même), ou d’autres restrictions d’accès qui limitent de facto les possibilités d’utiliser ces documents à l’échelle requise pour récupérer leurs données.

Concernant la deuxième catégorie, la conversion dans un format numérique exploitable est un autre facteur de blocage important. À l’heure actuelle, cette étape repose sur la transcription manuelle des données, qui sont saisies suivant une méthode en double aveugle ou dans le cadre de projets scientifiques participatifs. Ces approches sont tout à fait intéressantes lorsqu’elles portent sur des régions ou des périodes particulières pour lesquelles les données sont rares, comme l’Arctique ou l’océan Austral, ou visent à répondre à une question de recherche particulière. Toutefois, la conversion à grande échelle des vastes quantités de données de météorologie maritime inutilisées dont on a établi l’existence nécessitera l’adoption d’une solution efficace d’IA/apprentissage machine automatique.

Enfin, les registres numérisés doivent être aussi complets que possible, et accompagnés de métadonnées détaillées (si possible). Ce point est particulièrement important lorsque l’on doit traiter les biais de données, qui dépendent de la connaissance de paramètres tels que le rayonnement solaire, la vitesse et la direction du vent, l’humidité et la température de l’air. Pour les métadonnées, des informations telles que l’endroit où les thermomètres sont stockés ou abrités, l’emplacement des écrans, les plates- formes d’observation et les caractéristiques détaillées d’autres instruments peuvent être importantes. Pour les températures de la mer en surface, on dispose rarement d’informations sur les instruments utilisés pour les mesures dans la salle des machines ou sur le type de seau d’échantillonnage employé pour prélever l’eau, et l’on ignore souvent comment les mesures ont été effectuées (Kent et Kennedy, 2021). Il est également important de disposer d’une documentation sur les méthodes, que l’on peut parfois trouver dans les guides d’observation maritime, entre autres. Parallèlement à ce qui précède, il est nécessaire de retraiter les données collectées par le passé afin d’en tirer le maximum, mais aussi d’évaluer ce qui est complet et ce qui ne l’est pas. La possibilité d’accéder à des sources de financement plus durables serait un énorme avantage pour toutes ces initiatives.

Un certain nombre de mesures ont d’ores et déjà été adoptées pour tenter de répondre à ces besoins:

  • Aux États-Unis, la NOAA favorise l’essor des initiatives scientifiques participatives et de la transcription machine automatique depuis peu, en octroyant des financements ciblés aux entreprises et au travers de l’Incubateur de technologies de l’information de son Programme de calcul et de communication à haute performance
  • La philanthropie privée est de plus en plus engagée dans le soutien à la climatologie, en intervenant dans des domaines traditionnellement confrontés à des difficultés de financement
  • Le programme Copernicus de l’UE, l’OMM, ACRE, le DWD, le Newton Fund au Royaume-Uni, la NOAA, le NIWA et autres initiatives et mécanismes de financement similaires, qui tous travaillent de plus en plus régulièrement avec les services météorologiques nationaux, unissent leur forces pour reconstruire et améliorer les infrastructures de données fondamentales et répondre ainsi aux besoins de la réanalyse à haute performance et des applications d’IA qui se font jour dans ce domaine.

Une fois converties au format numérique, toutes les observations de météorologie maritime recueillies par chaque navire, chaque jour, au cours des deux derniers siècles pourront être assimilées grâce aux technologies déjà disponibles. Les enseignements que nous livreront ces réanalyses extrêmement complètes sur l’état à long terme et l’avenir du système terrestre pourraient s’avérer de la plus haute importance pour l’avenir.

Auteurs: 

Rob Allan, Responsable du projet ACRE (Atmospheric Circulation Reconstructions over the Earth – Reconstitution de jeux de données sur la circulation atmosphérique), Centre Hadley du Met Office, Royaume-Uni

Kevin Wood, Institut coopératif pour les études sur le climat, l’océan et les écosystèmes de l'Université de Washington, et Laboratoire de l'environnement marin du Pacifique de l’Administration américaine pour les océans et l’atmosphère (NOAA), États-Unis

Eric Freeman, University of Maryland, Cooperative Institute for Satellite Earth System Studies, and NOAA National Centers for Environmental Information, U.S.

Clive Wilkinson, ACRE OCEANS/CSW Associates-Data Services, Royaume-Uni

Axel Andersson, Service météorologique, Allemagne

Andrew Lorrey, Institut national de recherche sur l’eau et l’atmosphère, Nouvelle-Zélande

Philip Brohan, Centre Hadley du Met Office, Royaume-Uni

Martin Stendel, Institut météorologique danois (Groenland)

John Kennedy, Centre Hadley du Met Office, Royaume-Uni

Remerciements: 

Rob Allan leads the international ACRE initiative and is supported by funding from the U.K. Newton Fund [which is managed by the U.K. Department for Business, Energy and Industrial Strategy (BEIS)], under its Climate Science for Service Partnership (CSSP) China (a collaborative climate science initiative between research institutes in the UK and China) and the Weather and Climate Science for Service Partnership (WCSSP) South Africa (a collaborative initiative between research institutes in the UK and South Africa) projects, plus the EU Copernicus C3S Data Rescue Service. He also acknowledges the University of Southern Queensland, Toowoomba, Australia, and the Centre for Maritime Historical Studies, University of Exeter, Exeter, United Kingdom, where he is an Adjunct and Honorary Professor, respectively.

Kevin Wood is supported in part by the Cooperative Institute for Climate, Ocean & Ecosystem Studies (CICOES) under NOAA Cooperative Agreement NA20OAR4320271, and by a Digitizing Hidden Collections grant from the Council on Library and Information Resources (CLIR). This grant program is made possible by funding from The Andrew W. Mellon Foundation.

Eric Freeman’s base funding comes from NOAA, and he would like to thank all ICOADS contributors and users for continued efforts to expand and improve the dataset.

Clive Wilkinson leads the activities of ACRE Oceans which have been funded by various institutions and funding bodies including the National Institute of Water and Atmospheric Research (NIWA), New Zealand, Hokkaido University in Japan, Reading University in the UK, CSSP China and the EU Copernicus Science Programme.

Axel Andersson works for Deutscher Wetterdienst (DWD) which supports several data rescue activities in its Climate and Environment business area. The digitization of marine weather observations is conducted by the Marine Climate Monitoring unit of DWD.

Andrew Lorrey is a Principal Scientist in Climate and Environmental Applications and Programme Leader of Southern Hemisphere Climates and Environments at the National Institute of Water and Atmospheric Research (NIWA), New Zealand.  He is also the Project Manager of both ACRE Pacific and Antarctica, and a Task Leader on analysis of observations.

Philip Brohan is supported by the Joint BEIS and Department for Environment Food & Rural Affairs (DEFRA) Integrated Climate Programme, Department of Energy & Climate Change (DECC)/DEFRA (GA01101) and the Climate Science for Service Partnership China.

Martin Stendel works for and is supported by the Danish Meteorological Institute (DMI).

John Kennedy was supported by the Met Office Hadley Centre Climate Programme funded by U.K. BEIS and DEFRA.

References

Allan, R., Endfield, G., Damodaran, V., Adamson G., Hannaford, M., Carroll, F., Macdonald, N., Groom, N., Jones, J., Williamson, F., Hendy, E., Holper, P., Arroya, P., Hughes, L., Bickers, R.  and Bliuc, A-M., 2016:  Towards integrated historical climate research: the example of ACRE (Atmospheric Circulation Reconstructions over the Earth).  WIREs Climate Change, 7, 164–174. https://research-information.bristol.ac.uk/files/56642601/MELD_Clean_v4.pdf  doi: 10.1002/wcc.379.

Brussels Maritime Conference (1853). Maritime Conference held at Brussels for devising an uniform system of meteorological observations at sea, August and September 1853 = Conférence maritime tenue à Bruxelles pour l'adoption d'un système uniforme d'observations météorologiques à la mer, aout et septembre 1853. https://hdl.handle.net/2027/uc1.$c186788

Freeman, E., Woodruff, S.D., Worley, S.J., Lubker, S.J., Kent, E.C., Angel, W.E., Berry, D.I., Brohan, P., Eastman, R., Gates, L., Gloeden, W., Ji, Z., Lawrimore, J., Rayner, N.A., Rosenhagen, G. and Smith, S.R., 2017:  ICOADS Release 3.0: a major update to the historical marine climate record. Int. J. Climatol., 37: 2211-2232. https://doi.org/10.1002/joc.4775

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