Vers des services météorologiques, environnementaux et climatologiques intégrés en milieu urbain

Par Sue Grimmond 1 et le Secrétariat de l’OMM
Le mouvement de la population vers les villes observé depuis quelques siècles fait que les centres urbains comptent aujourd’hui plus d’habitants que les zones rurales. De taille variable, les villes occupent 1 à 3 % de la superficie de la planète. Le nombre de mégapoles de plus de 5 millions d’habitants croît sans cesse: de 4 dans les années 1950, elles devraient être 59 en 2015. Beaucoup se trouvent dans les pays en développement, et beaucoup souffrent de problèmes de pollution atmosphérique. En 2009, 16 % de la population mondiale vivait dans des agglomérations de plus de 5 millions d’habitants.2 Ce sont surtout les personnes de moins de 35 ans qui se dirigent vers les centres urbains, attirées par le bouillonnement d’innovation, d’échanges culturels et d’activité économique, ainsi que par les possibilités d’étudier et de travailler qu’elles offrent.
Des ensembles aussi vastes sont largement tributaires de l’infrastructure sous-jacente, dont les voies de circulation (routière, ferroviaire, piétonne, cyclable, etc.), les systèmes d’approvisionnement en eau et en électricité, les installations d’assainissement et d’évacuation des eaux et les réseaux de communication. La complexité, et la vulnérabilité, de l’infrastructure augmente avec son ampleur, mais pas de façon linéaire. Quand une ville double de taille, sa complexité et, par conséquent, sa vulnérabilité peuvent tripler ou plus. Les mégapoles en forte croissance sont pour beaucoup dans l’essor de l’économie mondiale (80 % de la croissance future)3, mais cette prospérité rapide est souvent mal répartie, car beaucoup de nouveaux venus sont pauvres.
Les vastes changements démographiques liés à l’urbanisation ont des conséquences très diverses. L’une des plus évidentes pour les citadins est la détérioration de la qualité de l’air. Dans les pays en développement pauvres, rares sont les villes qui restreignent les émissions comme on le fait assez couramment en Amérique du Nord et en Europe. Londres et Los Angeles, par exemple, ont adopté des politiques et des stratégies de lutte contre la pollution atmosphérique. Les modifications de la qualité de l’air dues à la densité croissante des agglomérations sont mesurées avec soin depuis peu de temps et leurs effets sur les climats régionaux et sur le réchauffement mondial ne sont toujours pas analysés de façon systématique.
L’empreinte des villes sur le temps et le climat
Il existe deux grands mécanismes par lesquels les villes accentueront la perturbation du climat local, régional et mondial. Tout d’abord, les caractéristiques du milieu urbain, tels la morphologie et le dégagement de chaleur, continueront d’avoir un impact sur les températures, la circulation de l’air, les précipitations et la fréquence et l’intensité des tempêtes locales. Ensuite, les émissions de substances chimiques et les rétroactions imputables aux polluants atmosphériques modifieront le temps et le climat, tant localement qu’à distance.
De nombreuses particularités des villes sont de nature à influer sur la circulation atmosphérique, le régime de turbulence et le microclimat. Elles peuvent modifier le transport, la dispersion et le dépôt des polluants atmosphériques à l’intérieur des zones urbaines comme dans les régions situées sous le vent (les pluies acides en font partie). Voici quelques exemples:
• La répartition des immeubles et autres obstacles (ou, plus généralement, de tous les éléments à surface rugueuse) agit sur le régime de turbulence, la vitesse et la direction de la circulation;
• Le recours généralisé à des matériaux imperméables et la réduction fréquente de la végétation en milieu urbain agissent sur le régime hydrométéorologique et le dépôt des polluants;
• Le dégagement de chaleur d’origine anthropique (transports, chauffage et refroidissement des bâtiments, etc.) agit sur le régime thermique;
• Le rejet de polluants (dont les aérosols) agit sur le transfert de rayonnement, la formation de nuages et les précipitations;
• La géométrie des rues (formant des «canyons urbains») agit sur le régime de circulation et sur l’échange de chaleur entre différentes surfaces (chaussées et murs, etc).
Il peut en résulter un effet marqué d’îlots de chaleur (zones plus chaudes); la température de l’air dans les villes excède parfois de plusieurs degrés celle des zones rurales proches. De tels écarts de température peuvent perturber la circulation atmosphérique à l’échelle régionale. La multiplication d’immeubles de grande hauteur accentue encore l’impact sur la configuration des vents. Ces dérèglements risquent eux-mêmes de modifier la hauteur des précipitations, le degré de pollution atmosphérique et la fréquence des tempêtes.
En outre, les villes alimentent fortement le réchauffement de la planète dû aux émissions de gaz à effet de serre, en raison surtout du rejet de dioxyde de carbone (CO2) par le milieu urbain lui-même et les zones industrielles voisines, même si l’intensité des émissions par habitant pourrait être légèrement moindre que dans les régions rurales.
Qualité de l’air dans les mégapoles et changement climatique
Plusieurs études internationales de ces questions ont été entreprises récemment.6 Elles cherchent à évaluer les impacts des mégapoles et des vastes zones de forte pollution atmosphérique sur la qualité de l’air à l’échelle locale, régionale et mondiale, à quantifier les mécanismes de rétroaction qui existent entre la qualité de l’air dans les mégapoles, les climats locaux et régionaux et l’évolution du climat mondial et à affiner les outils de prévision des niveaux de pollution atmosphérique dans les mégapoles.
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Densité moyenne de la colonne troposphérique de NO2 (1 015 molécules/cm2) selon les mesures effectuées par le spectromètre SCIAMACHY à bord du satellite ENVISAT de l’ESA, de 2003 à 2007.
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Malgré des progrès notables, de nouvelles recherches interdisciplinaires sont requises pour mieux saisir les interactions entre les émissions, la qualité de l’air et le climat régional et mondial. Elles doivent comprendre des recherches fondamentales et des recherches appliquées et unir les échelles spatiales et temporelles qui relient les émissions, la qualité de l’air et les conditions météorologiques locales au climat et à la chimie de l’atmosphère du globe. L’OMM a lancé, au sein de la Veille de l’atmosphère globale (GAW), le Projet de recherche sur la météorologie et l’environnement en milieu urbain (GURME)7 afin que les Services météorologiques nationaux puissent mieux intégrer les aspects météorologiques et connexes de la pollution urbaine.
Les mégapoles et les autres zones à forte densité de population rejettent énormément de polluants dans l’atmosphère. Les conséquences sautent aux yeux dans les mégapoles très polluées, comme Beijing et Delhi. Les substances en cause ont des répercussions sur l’environnement qui sont nocives pour la santé. Elles proviennent essentiellement des transports urbains, de la production d’énergie et d’autres secteurs industriels. Toutefois, cette forme de pollution ne se cantonne pas aux mégapoles, elle est transportée sur de grandes distances et contribue à la pollution de fond globale qui est mesurée à l’échelle des hémisphères.
Dans les milieux urbains et les zones environnantes complexes, il est difficile de connaître précisément les sources et les processus qui sont responsables de fortes concentrations des principaux polluants, tels l’ozone, le dioxyde d’azote et les particules. Notre capacité de prévoir avec exactitude la qualité de l’air s’en trouve restreinte. Trois grands inventaires des émissions mondiales et deux inventaires des émissions en milieu urbain ont été comparés dans le cadre de l’étude MEGAPOLI.8 On a découvert que l’origine et l’ampleur des émissions varient considérablement d’une mégapole à l’autre, notamment selon la région considérée. Ainsi, la circulation routière est liée à une bonne partie des rejets urbains en Europe et dans les Amériques, tandis que l’énergie domestique est principalement en cause dans les pays d’Asie et d’Afrique.
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Inondation des rues de Copenhague en août 2010
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Il faut, pour anticiper l’impact du changement climatique sur les villes, réaliser des études sur les processus qui se déroulent à une grande échelle temporelle et spatiale, dont les températures et les courants océaniques, la transformation de la couverture terrestre et les variables atmosphériques qui évoluent lentement. La modification des paramètres de l’océan et de la surface terrestre risque de provoquer des fluctuations climatiques que l’on pourrait prévoir à l’échéance d’une saison et de plusieurs années. Il convient de mettre au point des modèles de prévision des températures, des précipitations et des événements à fort impact, comme les vagues de chaleur et les inondations, pour pouvoir fournir des produits de prévision climatologique ciblés. Il est possible de répondre aux besoins particuliers des villes en établissant des produits plus fins sur le changement climatique, par la réduction d’échelle au niveau régional des modèles intégrés climat-chimie ou système terrestre.
Recherche et stratégie pour l’avenir
Les besoins et les attentes de chaque ville doivent être étayés par un inventaire complet des impacts et des dangers, de manière à cartographier les vulnérabilités propres à l’agglomération et déterminer quels services seraient les plus utiles. Les villes établies sur le littoral n’ont pas les mêmes problèmes que les villes situées à l’intérieur des terres; de même, les besoins d’une agglomération sous les tropiques diffèrent des besoins d’une agglomération exposée à de rudes hivers. Il est primordial que les autorités bénéficient de mécanismes d’échange de données entre les institutions municipales lorsqu’elles définissent les services prioritaires et lorsqu’elles élaborent et mettent en place des réseaux urbains d’observation pour mesurer les phénomènes d’intérêt aux échelles spatio-temporelles requises.
Les services municipaux ont grandement besoin des produits de modèles couplés de prévision environnementale à haute résolution qui incluent de façon réaliste les processus, les conditions et flux d’énergie aux limites et les propriétés physiques qui caractérisent la ville. On doit disposer de systèmes d’observation axés sur le milieu urbain pour alimenter ces modèles et établir des prévisions de grande qualité destinées aux nouveaux services. Il faut recourir à des moyens modernes, ciblés et adaptés de communication avec les utilisateurs si l’on veut que les services, avis et alertes déclenchent les réactions appropriées et que le retour d’information permette d’apporter les améliorations voulues. De nouvelles compétences et capacités devront être acquises afin d’exploiter au mieux les technologies modernes pour produire et fournir des services novateurs dans un milieu urbain difficile et changeant.
Les Services météorologiques nationaux sont encouragés à tisser de bonnes relations avec les autorités municipales, afin de définir ensemble l’action conjointe à engager et les ressources nécessaires pour assurer durablement la prestation et l’amélioration des services requis. Vu l’importance mondiale que revêt l’urbanisation et le nombre croissant de mégapoles et de grands complexes urbains, il serait bon que les Membres de l’OMM accordent un degré élevé de priorité à ce phénomène. Ils devraient étudier la meilleure façon d’intégrer les besoins particuliers du milieu urbain dans le Cadre mondial pour les services climatologiques (CMSC). Ils pourraient également faire connaître leur expérience en la matière et définir les meilleurs moyens de servir les citadins, qui deviennent rapidement les principaux intéressés par les services sur le temps, le climat, l’eau et l’environnement connexe en milieu urbain.
Services météorologiques, environnementaux et climatologiques intégrés en milieu urbain
Une large palette de concepts interviennent dans le développement de services météorologiques, environnementaux et climatologiques intégrés en milieu urbain. Ils se rattachent aux éléments suivants: conditions de vie des citadins, effets des paramètres environnementaux sur les mégapoles et les sociétés urbaines, nécessité d’établir un cadre juridique et de définir avec soin les interactions entre les organismes publics pour créer et assurer la pérennité des services, et progrès scientifiques et technologiques requis pour élaborer et mettre en œuvre ces services.
La manière de fournir l’information météorologique et climatologique en milieu urbain mérite également qu’on s’y arrête. Les jeunes, par exemple, recourent beaucoup aux nouveaux moyens de communication; en conséquence, l’élaboration et la prestation des services météorologiques et environnementaux connexes devront accorder une plus grande place aux médias sociaux.
Les modèles à domaine limité de la nouvelle génération, qui comportent des modules couplés sur la dynamique et la chimie (dits modèles intégrés météorologie-chimie – IMCM), conviennent particulièrement bien à la prévision opérationnelle du temps, de la qualité de l’air et du climat en milieu urbain. Ils ont bénéficié de l’expansion rapide des moyens de calcul et de vastes recherches en science fondamentale.9
Les IMCM les plus perfectionnés incluent des processus chimiques et physiques interactifs (aérosols-nuages-rayonnement, par exemple) couplés à un noyau dynamique non hydrostatique et totalement compressible qui comprend le transport monotone pour les scalaires, autorisant les rétroactions entre la composition chimique et les propriétés physiques de l’atmosphère. Toutefois, les simulations sur de longues périodes avec des résolutions fines, des domaines étendus et une chimie détaillée pour la phase particulaire et gazeuse/aqueuse exigent encore de trop longs calculs étant donné l’énorme complexité des modèles. Les applications des IMCM au temps et au climat doivent donc trouver un compromis entre la résolution spatiale, l’étendue du domaine, la durée de simulation et le degré de complexité des mécanismes chimiques et particulaires.
Un modèle exploité à l’échelle météorologique sur un domaine urbain utilise en général un nombre réduit de réactions et d’espèces chimiques, en raison de sa fine résolution horizontale et verticale; à l’échelle climatologique, il considère plutôt des mécanismes chimiques assez détaillés avec une résolution horizontale et verticale grossière.10 Certaines initiatives visent à étendre les services correspondants offerts par les grands centres de prévision. Ainsi, le projet MACC-II (surveillance de la composition de l’atmosphère et du climat – phase intermédiaire)11 tient actuellement lieu de service atmosphérique pré-opérationnel à l’échelle du globe et de l’Europe; par réduction d’échelle, il pour- rait s’appliquer aux mégapoles et aux agglomérations.
La représentation de la surface terrestre et de la couche sous-jacente en milieu urbain a grandement progressé, mais aucun schéma n’est capable de prendre en compte la totalité des échanges en surface.12 Qui plus est, la résolution accrue des modèles, alliée aux grandes dimensions des immeubles de nombreuses villes, met à l’épreuve nos connaissances. Certaines questions importantes se posent, dont celles ci: Faut-il utiliser une résolution correspondant à la taille des immeubles? Que peut-on simplifier pour que les calculs soient maniables dans des temps de modélisation réalistes? À quelle échelle peut-on appliquer les schémas de surface et la physique des modèles actuels?
D’autres recherches doivent porter sur les aérosols organiques secondaires et leurs interactions avec les nuages et le rayonnement, l’assimilation des données intégrant les espèces chimiques et les particules, les noyaux dynamiques avec efficacité du transport de plusieurs traceurs et les effets généraux des aérosols sur l’évolution du temps et du climat. L’utilisation rationnelle des modèles sur des systèmes informatiques massivement parallèles concerne tous ces domaines.
Les centres opérationnels dont les produits et services reposent sur les IMCM doivent suivre de près les travaux de recherche-développement consacrés aux modèles couplés et intervenir dans ces activités. La recherche sur les processus physiques et chimiques de base et la mise au point de modèles et d’outils numériques sont indispensables pour des produits et services de prévision fiables et exacts. Puisque cette tâche n’incombera pas uniquement au personnel d’exploitation, des partenariats solides et durables devront réunir les chercheurs et les équipes opérationnelles internes et externes. Ces partenariats devraient chercher à élaborer des méthodes de mesure des progrès réalisés sur le plan de la qualité et de l’utilité des prévisions.
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Exemple de collaboration: Shanghai13
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Contribution du Secrétariat de l’OMM
•Tang Xu, Directeur, Département des services météorologiques et de réduction des risques de catastrophes
•Alexander Baklanov, Bureau de la recherche atmosphérique et de l’environnement, Département de la recherche
1 Département de la météorologie, Université de Reading
2 Nations Unies, World Urbanization Prospects: The 2009 Revision, Département des affaires économiques et sociales, Division de la population, 2010
3 Göbel, B., Urbanization and Global Environmental Change, Programme international sur les dimensions humaines des changements de l’environnement planétaire (IHDP), 2004.
4 Nations Unies, World Urbanization Prospects: The 2011 Revision, Département des affaires économiques et sociales, Division de la population, mars 2012
5 Dans cet article, on désigne par mégapole une ville de plus de 5 millions d’habitants, même s’il est fréquent de fixer le seuil à 10 millions.
6 Voir MILAGRO (http://www.mce2.org/), MEGAPOLI (http://megapoli.info), CityZen (https://wiki.met.no/cityzen/start), ClearfLo (www.clearflo.ac.uk), WISE (Séoul) et SUIMON (Shanghai). Une étude mondiale exhaustive des impacts des mégapoles sur la pollution de l’air et le climat, ainsi que des projets menés dans ce domaine, a été publiée en 2012 par l’OMM/IGAC.
7 http://mce2.org/wmogurme
8 Denier van der Gon, H. et al., «Discrepancies Between Top-Down and Bottom-Up Emission Inventories of Megacities: The Causes and Relevance for Modeling Concentrations and Exposure», in Steyn, D. G. et Castelli, S. T. (responsables de la publication), Air Pollution Modeling and its Application XXI, NATO Science for Peace and Security Series C: Environmental Security, 4:194-204, 2011).
9 Zhang, Y., «Online-coupled meteorology and chemistry models: history, current status, and outlook», Atmos. Chem. Phys., 8:2895–2932, 2008, doi:10.5194/acp-8-2895-2008; Baklanov, A. et al.,«Online coupled regional meteorology chemistry models in Europe: current status and prospects», Atmos. Chem. Phys., 14:317-398, 2014, doi:10.5194/acp-14-317-2014.
10 Barth Barth MC et al.,«Cloud-scale model intercomparison of chemi- cal constituent transport in deep convection», Atmos. Chem. Phys., 7:4709–4731, 2007, doi:10.5194/acp-7- 4709-2007.
11 http://www.gmes-atmosphere.eu/
12 Grimmond C.S.B. et al., «The International Urban Energy Balance Models Comparison Project: First results from Phase 1», J. of Applied Meteorology and Climatology, 49:1268-1292, 2010, doi:10.1175/2010JAMC2354.1; Grimmond C.S.B. et al.,«Initial Results from Phase 2 of the International Urban Energy Balance Comparison Project», International J. of Climatology, 31:244-272, 2011, doi:10.1002/joc.222
13 Kootval, H., «Quel avenir pour le Programme des services météorologiques destinés au public?», Bulletin de l’OMM, 62(2), 2013; Xu Tang, «Gérer les risques de catastrophe dans une grande métropole», Bulletin de l’OMM, 55(4), octobre 2006.