L’échange des données hydrologiques

07 octobre 2021
  • Author(s):
  • Robert Argent, Jan Daňhelka, Marcelo Medeiros and Dominique Berod

Ce sont les inondations et les sécheresses qui viennent aussitôt à l’esprit lorsqu’on pense aux problèmes liés à l’eau. Or l’eau a des incidences directes ou indirectes sur notre vie quotidienne par l’utilisation que nous en faisons à des fins domestiques et de consommation, pour l’agriculture, l’industrie, l’hydroélectricité, la navigation, les loisirs, la gestion des écosystèmes et bien d’autres domaines. Une mauvaise gouvernance ou gestion de l’eau peut se solder par des crises socio économiques et environnementales. Il existe de nombreuses utilisations contradictoires ou concurrentielles de l’eau entre les personnes, entre les pays partageant des bassins fluviaux ou entre les générations – et ce, d’une manière générale, pour les eaux souterraines dont le processus de recharge est lent.

Selon le Forum économique mondial, l’eau représente l’un des risques mondiaux les plus élevés pour l’humanité en termes d’impact. Elle constitue le sixième des 17 objectifs de développement durable (ODD) et a des effets sur 15 d’entre eux. La demande en eau augmente en raison de la croissance démographique et économique. Les changements climatiques rendent l’approvisionnement en eau moins prévisible et plus épisodique dans de nombreuses régions. La qualité de l'eau est menacée par les eaux usées non traitées, les pratiques agricoles plus intensives, la pression exacerbée de l'industrie et l'intrusion d'eau salée. De fait, les problèmes sont trop nombreux pour être énumérés.

L’ODD6, le Cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe (2015-2030) et l’Accord de Paris adopté en vertu de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), recommandent l’identification et la mise en œuvre de solutions durables aux problèmes liés à l’eau. Les inondations impressionnantes survenues dans le monde au cours de l’été 2021 nous rappellent cruellement que personne n’est à l’abri de tels événements. La situation actuelle a des origines diverses, l’une étant que de nombreux processus hydrologiques sont inconnus et difficiles à prévoir.

Irrawaddy Delta Myanmar.pngDelta de l’Irrawaddy au Myanmar. (Crédit: Le document contient des données modifiées du satellite Sentinel du programme Copernicus (2017), traitées par CC BY-SA 3.0 IGO) Mucum Hydrology Station.pngMesures du niveau des eaux à la station de Muçum. (Source: Agence nationale des eaux et de l’assainissement de base (ANA))

Complexité de l’eau

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USGS Station de mesure des eaux souterraines, comté de Tolland, Connecticut (Credit: USG)

L’étude de l’hydrologie englobe l’ensemble du cycle hydrologique: évaporation, précipitations, écoulement de surface et de subsurface, humidité du sol, flux des eaux souterraines et qualité de l’eau. Les interactions complexes entre ces processus hydrologiques ne sont pas entièrement comprises à toutes les échelles de temps et d’espace. En 2017, l’Association internationale des sciences hydrologiques a lancé un «Appel aux armes»1 exhortant tous les hydrologues du monde à identifier et à résoudre les 23 problèmes non résolusen hydrologie2. Le Conseil de la recherche de l’OMM élabore actuellement une stratégie de recherche appliquée en matière d’hydrologie opérationnelle.

La complexité de l’hydrologie est encore amplifiée par les changements climatiques et les activités humaines. Les barrages, les prises d’eau, l’urbanisation et d’autres incidences humaines transforment le régime hydrologique, ce qui rend nécessaire, mais difficile, l’adaptation des pratiques de gestion de l’eau et des accords de partage de l’eau. De surcroît, dans le domaine de l’eau, les groupes d’intérêt ont tendance à être très diversifiés et les fournisseurs de services hydrologiques et de produits connexes sont souvent fragmentés et non coordonnés, ce qui nuit à l’efficacité de la prestation de services.

Nécessité d’une approche holistique du système Terre

L’intégralité du système Terre intervient dans le cycle hydrologique. L’océan et la terre fournissent l’eau évaporée, l’atmosphère et la cryosphère produisent des apports aux systèmes terrestres, et ces derniers, encore une fois avec la cryosphère, façonnent la répartition spatio-temporelle de l’eau au niveau de l’écoulement et du stockage de surface et de subsurface, ainsi que de la dynamique des eaux souterraines, jusqu’à ce que l’eau retourne vers l’océan, quelques minutes ou siècles après l’avoir quitté. Il est impossible de saisir la dynamique de l’une de ces composantes sans comprendre les autres et leurs interactions.

Cela est particulièrement vrai pour des systèmes comme les estuaires, les régions côtières et polaires, et les zones de haute montagne. Les processus combinés dans ces systèmes peuvent générer des phénomènes dévastateurs tels que les inondations côtières, la salinité des eaux souterraines, l’érosion, la vidange brutale de lacs glaciaires, la dynamique de la glace de mer, la destruction des mangroves ou la prolifération des algues bleues. L’analyse du climat et la prévision numérique du temps (PNT) doivent donc être reliées à la surveillance et à la modélisation hydrologiques afin d’améliorer la capacité de prévision. Les données hydrologiques mesurées et calculées permettent également de valider et de vérifier les modèles atmosphériques. Il s’agit là du cœur de l’approche du système Terre par l’OMM.

Les données hydrologiques partagées: une opportunité mondiale à l’impact local

En hydrologie, le partage des données est depuis longtemps problématique, tant du point de vue technologique que politique. Les problèmes technologiques sont liés aux systèmes de surveillance et de gestion des données sur mesure aux formats de données uniques ou particuliers, à la multiplicité de normes incomplètes ou incompatibles pour le stockage et l’échange de données, et à l’incapacité de publier et de gérer les données d’une manière publiquement accessible. Quant aux difficultés politiques rencontrées aux niveaux régional, national et international, elles ont trait à des désaccords sur les priorités, à des institutions en situation de concurrence ou déconnectées les unes des autres, à des vides politiques et à l’idée selon laquelle les données étant synonymes de pouvoir, leur partage peut entamer les fondements mêmes de ce pouvoir. De plus, certains gouvernements estiment que leurs Services hydrologiques nationaux (SHN) sont censés couvrir une partie de leur budget par la vente à leurs clients des données ou des services à valeur ajoutée, ce qui risque d’entraver l’accès aux citoyens qui pourraient bénéficier davantage d’un accès ouvert.

Il n’en reste pas moins que le partage des données hydrologiques enregistre nombre de succès remarquables. Tel est, par exemple, le cas de l’échange international de données sur le ruissellement au sein de la communauté universitaire et par l’intermédiaire de centres internationaux tels que le Centre mondial des données sur le ruissellement. Aux niveaux régional et national, les ingénieurs et les scientifiques reconnaissent depuis des décennies l’immense intérêt du partage des données et soutiennent des approches manuelles et sur mesure en matière de partage des données qui contribuent à la sûreté, à la sécurité et à la prospérité de la population.

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10 359 stations GRDC avec des données mensuelles, y compris des données dérivées de données quotidiennes - Statut: 1 octobre 2021 (Koblenz: Global Runoff Data Centre, 2021)

Ces dix dernières années, les technologies et les politiques sont parvenues à un degré de maturité en matière de données ouvertes qui renforce les possibilités de partage des données hydrologiques. En 2017, l’OMM et le Bureau météorologique australien (BOM) ont publié un ensemble de lignes directrices sur les bonnes pratiques en matière de politique de gestion des données sur l’eau (BOM, 2017) compte tenu de ces progrès et des possibilités qu’ils offrent en vue d’avancées pratiques et efficaces en matière de partage des données hydrologiques.

Ces lignes directrices soulignent la valeur qui peut être dégagée d’un partage efficace des données hydrologiques et recensent sept bonnes pratiques interdépendantes qui intéressent à la fois la technologie et la politique:

  1. Identifier les objectifs prioritaires de la gestion de l’eau;
  2. Renforcer les institutions en charge des données sur l’eau;
  3. Établir des systèmes durables de surveillance des données sur l’eau;
  4. Adopter des normes relatives aux données sur l’eau;
  5. Souscrire à une approche de données ouvertes en matière d’accès aux données sur l’eau et d’octroi de licences s’y rattachant;
  6. Mettre en œuvre des systèmes d’information efficaces relatifs aux données sur l’eau;
  7. Utiliser des processus de gestion de la qualité des données sur l’eau.

Un partage efficace des données hydrologiques peut bénéficier à de nombreux secteurs de la société pour toute une série de questions qui couvrent des échelles de temps allant de quelques minutes à plusieurs décennies. À titre d’exemples, citons la prévision du rendement des eaux souterraines, l’aide à la navigation et les usages récréatifs, le tourisme et bien d’autres encore, dont certains sont énumérés dans le tableau ci-contre. La sécurité de l’eau constitue aussi un défi majeur pour de nombreux pays car elle requiert une bonne information sur la disponibilité de l’eau et l’efficacité de la gestion des choix au niveau de la demande.

Tableau 1. Intérêts sociétaux étayés par un partage efficace des données hydrologiques (données du Bureau météorologique australien, 2017)

Intérêt sociétal

Utilisation efficace des données partagées

Réduire les risques d’inondation 

  • Exploiter des systèmes d’alerte précoce
  • Concevoir des structures efficaces de contrôle des inondations

Fournir un approvisionnement fiable en eau potable

  • Identifier les sources d’eau durables
  • Estimer les fluctuations de l’offre et de la demande

Fournir des services d’assainissement efficaces

  • Concevoir des systèmes de drainage efficaces
  • Sélectionner des chaînes de traitement de l’eau appropriées

Fournir des services d’assainissement efficaces

  • Estimer les relations entre intensité, durée et fréquence (IDF) des précipitations 
  • Estimer la crue maximale probable (PMF)

Assurer la sécurité de l’eau pour l’agriculture  

  • Concevoir des systèmes d’irrigation efficaces
  • Fixer des limites durables à la répartition de l’eau

Assurer la sécurité de l’eau pour les écosystèmes aquatiques

  • Identifier les écosystèmes tributaires de l’eau qui sont de grande valeur
  • Définir les régimes de flux environnementaux pour maintenir la fonction écosystémique

Assurer la sécurité de l’eau pour la production d’électricité 

  • Identifier des bassins versants dont l’approvisionnement en eau est très fiable
  • Dimensionner le stockage des eaux à utiliser durant les séquences de sécheresse prolongées

Les mises en œuvre pilotes du Système d’observation hydrologique de l’OMM (SOHO) dans le bassin de La Plata et dans l’Arctique sont de bons exemples des efforts fructueux menés à l’échelon international en matière d’échange de données hydrologiques et qui bénéficient à l’ensemble de la société. Ces systèmes fonctionnent comme des plates-formes communes réunissant des données produites par des fournisseurs nationaux de données météorologiques et hydrologiques. Au moyen de ces plates-formes communes, il est possible d’avoir accès à des données opérationnelles et historiques étayant et éclairant des décisions d’ordre hydrologique aux niveaux national et international, par exemple pour la gestion des inondations ou des sécheresses.

Besoins et contribution des parties prenantes

Au niveau national, les Membres de l’OMM permettent d’assurer avec efficacité un échange des données hydrologiques grâce à leurs politiques et à leurs investissements dans la chaîne de valeur de la collecte, de la gestion, de la conservation, de la publication et du partage des données. Les Membres établissent le cadre politique nécessaire au bon fonctionnement des nombreuses institutions nationales et locales qui participent aux activités relatives à l’eau. Sur le terrain, les Membres soutiennent aussi directement ou fournissent des cadres d’investissement à l’appui des systèmes de surveillance et de gestion des données durables et de haute qualité. Les Membres peuvent légiférer sur l’adoption de normes et de politiques de partage des données qui maximisent les retours sur investissement au niveau des systèmes de surveillance, de gestion des données et de partage des informations. Ils favorisent également l’adoption et la mise en œuvre de processus de gestion et d’assurance qualité afin de garantir que les données sont fiables et peuvent être utilisées en toute confiance pour contribuer à la sécurité et à la prospérité de la population de leur pays.

Les SHN, notamment ceux qui relèvent également des Services météorologiques nationaux, peuvent jouer un rôle de premier plan dans le partage local, national et mondial des données hydrologiques. Les SHN peuvent prendre l’initiative et influer sur une meilleure connaissance et l’adoption des normes et des lignes directrices, telles que le volume III du Règlement technique de l’OMM (OMM-N° 49), dans les pays où les données hydrologiques sont réparties entre de nombreuses entités. Lorsque le contrôle des données hydrologiques est centralisé au sein du SHN, il incombe à ce dernier de veiller à ce que les investissements soient bien orientés et que les avantages soient maximisés au moyen de politiques, de systèmes et de relations de qualité, notamment avec les pays voisins.

On compte dans le monde 145 pays qui se partagent 263 bassins transfrontaliers, couvrant la moitié de la surface terrestre. Lorsque les cours d’eau ou les systèmes aquifères longent ou traversent les frontières nationales, les intérêts nationaux au regard d’un partage efficace des données deviennent régionaux ou multinationaux. Une organisation internationale régionale est généralement créée pour faciliter les activités communes dans la plupart des bassins transfrontaliers, et le partage des données est un élément important des activités convenues. Un partage efficace et opportun des données entre pays voisins peut présenter de nombreux avantages sociétaux, tant en termes de planification et de gestion à long terme qu’en période de crises, telles que les inondations et les sécheresses. Dans sa version la plus simple, le partage des données relatives aux précipitations et au débit des cours d’eau par un pays situé en amont permet aux pays situés en aval de disposer de prévisions, d’alertes et d’une gestion de l’eau plus précises et plus rapides.

Sur le plan mondial, l’élan donné au partage des données hydrologiques est semblable au raisonnement qui sous-tend le partage d’autres données du système Terre et que l’on peut résumer par l’expression «partage mondial pour le bien local». Tous les pays peuvent tirer avantage du partage mondial des données sur l’eau. À tout le moins, ils ont accès à des ensembles de données plus importants pour vérifier et améliorer les systèmes de prévision hydrologique et atmosphérique. Le partage des données relatives aux phénomènes extrêmes permet d’améliorer les statistiques nationales sur d’autres bassins versants aux caractéristiques similaires. D’autres avantages sont à mentionner comme le suivi et la compréhension de la dynamique du climat, l’étalonnage et la validation des satellites, ainsi que la surveillance des progrès accomplis dans la réalisation des cibles de l’ODD6. De plus, sur le marché mondial, d’importants volumes d’eau virtuelle sont transférés d’une partie du monde à l’autre par l’échange de biens, ce que l’on appelle l’empreinte hydrique. Le partage mondial des données peut aider à quantifier ces transferts d’eau.

Un grand nombre de services et d’initiatives liés aux Nations Unies contribuent au partage des données hydrologiques et/ou peuvent en bénéficier. Nous ne pouvons en citer que quelques exemples:

  • Le Système mondial d’information sur l’eau (AQUASTAT) de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) pour le partage des données sur les ressources en eau;
  • L’action menée par la Commission Économique des Nations Unies pour l’Europe (CEE-ONU) dans le cadre de la Convention sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontières et des lacs internationaux (Convention sur l’eau);
  • Le rôle joué par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) à la fois dans le Système mondial de surveillance de la qualité de l’eau (GEMS/Eau) et dans l’Alliance mondiale pour la qualité de l’eau;
  • Le Bureau des Nations Unies pour la prévention des catastrophes (UNDRR), la CCNUCC et l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) ont dirigé le Programme mondial pour l’évaluation des ressources en eau.

Types de données

L’hydrologie est pratiquée comme une science quantitative depuis le XVIIe siècle. Aujourd’hui, l’expression «données sur l’eau» englobe un grand nombre de variables physiques, chimiques, biologiques, sociales, économiques et administratives liées à l’eau et à la gestion de l’eau. Dans le contexte de l’OMM, les données hydrologiques sont celles qui décrivent le cycle hydrologique. Elles sont nécessaires à la prestation de services hydrologiques et à la recherche. Elles comprennent les mesures effectuées à partir de plates-formes satellitaires et in situ ainsi que les résultats des modèles hydrologiques. Il peut s’agir de données en temps réel (ou quasi réel), de séries chronologiques historiques, de valeurs ponctuelles ou de données agrégées.

La liste complète des variables se trouve dans le volume III du Règlement technique de l’OMM et dans les lignes directrices du BOM. Les variables les plus importantes sont regroupées dans le tableau 2.

Tableau 2. Principales variables hydrologiques

Composantes du cycle hydrologique

Entité physique

Exemple de variables

Surface du sol

Cours d'eau

Niveau (hauteur) de l’eau des rivières, débit (écoulement), vitesse du courant, remous; zone inondable et profondeur; caractéristiques et étendue de la couverture de glace et de neige, y compris l’équivalent en eau de neige.

Transport solide et/ou dépôt (débit solide en suspension et charge de fond); paramètres de la qualité de l’eau (physiques et biologiques).

Lacs et réservoirs

Bathymétrie et niveau du volume stocké, volume stocké accessible, débits entrants, sortants et évacuations du stockage, étendue d’eau.

Température (à différentes couches), transport et dépôt de matériaux en suspension, paramètres de la qualité de l’eau (physiques et biologiques).

Zones humides et sources

Niveau et vitesse de l’eau, température, pH, oxygène, paramètres biologiques.

Estuaires et regions côtières

Niveau de l’eau des deltas et estuaires, courbes de remous et dynamique des marées, algues, paramètres biologiques.

Salinisation, algues

Sol et eaux souterraines

Couche supérieure du sol

Perméabilité et réserve, écoulement de subsurface, humidité du sol.

Eaux souterraines

Niveau (hauteur) de l’eau et pression; épaisseur aquifère, direction et vitesse de l’écoulement; recharge des eaux superficielles et des eaux souterraines.

Température, propriétés chimiques et biologiques des eaux souterraines.

Atmosphère

Pluie, vitesse du vent, humidité, température, rayonnement, évapotranspiration.

Il faudra du temps pour la collecte et l’analyse de certaines données qui devront être soumises à de longues procédures de post-traitement et de validation. Elles ne pourront donc pas être partagées en temps réel ou, auquel cas, elles ne le seront qu’à titre de donnéespréliminaires, non validées et susceptibles d’être corrigées avant la publication des versions finales.

Si le volume III du Règlement technique de l’OMM (OMM-N° 49) et le Manuel du Système mondial intégré des systèmes d’observation de l’OMM (WIGOS) identifient certains ensembles de données hydrologiques qui doivent être partagés, un nouveau cadre et une approche plus unifiée s’imposent cependant. Les experts seront chargés de rédiger des amendements au Règlement technique de l’OMM afin d’intégrer ces nouveaux principes et de proposer une liste de données considérées comme fondamentales (c’est-à-dire essentielles à la protection de la vie, des biens et de l’environnement) et recommandées (importantes pour la compréhension du système et le soutien à la gestion de l’eau), à l’instar des autres domaines.

Données fondamentales et recommandées

Il est nécessaire de disposer de données hydrologiques fondamentales pour s’assurer que l’hydrologie opérationnelle peut éclairer efficacement la gestion des inondations, des sécheresses et des ressources en eau, et peut contribuer à améliorer la connaissance globale du cycle hydrologique. Certaines de ces données fondamentales, comme le débit des rivières ou le niveau des eaux souterraines, peuvent faire l’objet de restrictions quant à leur échange. Afin de surmonter ces contraintes, on envisage la création de stations de référence à l’échelle mondiale. Les pays désigneront ces stations sur une base volontaire en s’engageant à échanger leurs données. Un réseau de ces stations hydrologiques pourrait se voir accorder un statut officiel par l’intermédiaire de l’OMM, à l’instar de ce qui a été fait ou est en train d’être fait pour les stations à long terme ou centenaires.

Les données recommandées sont celles qui sont nécessaires pour améliorer notre compréhension du cycle hydrologique, pour aider à déterminer les bilans hydrologiques à différentes échelles temporelles et spatiales et pour permettre la fourniture de services hydrologiques. Les données de cette nature sont essentielles pour étayer la recherche scientifique et la quantification des indicateurs de l’eau relatifs aux ODD. Elles ne sont toutefois pas essentielles pour la protection de la vie, des biens et de l’environnement. Par exemple, le niveau d’eau des zones humides, le transport des sédiments ou la température de l’eau.

Un processus consultatif complet sera mis en place pour identifier les données fondamentales et les données recommandées une fois que la politique unifiée de l’OMM en matière de données aura été adoptée, et le Règlement technique applicable sera adapté au cours des deux prochaines années. Solutions pour le partage des données Le plan d’action sur l’hydrologie qui sera soumis au Congrès météorologique mondial en octobre 2021 renforcera et rationalisera le soutien de l’OMM à ses Membres en matière d’hydrologie. Ce plan d’action contient des innovations techniques et des mesures de politique générale et vise à faire en sorte que ces deux éléments apportent leur contribution à l’approche du système Terre.

La politique est un élément clé qui permet de surmonter les problèmes posés par le partage des données. Les perspectives offertes en la matière concernent quatre grands domaines:

  • De meilleures institutions;
  • Une surveillance adaptée aux besoins;
  • Des données fiables;
  • Des données partagées.

L’OMM aide les pays à élaborer des politiques, des procédures et des directives efficaces dans ces différents domaines. Les lignes directrices sur les bonnes pratiques en matière de politique de gestion des données sur l’eau qui ont été citées plus haut fournissent des orientations pour l’élaboration et la mise en œuvre de politiques efficaces. Dans le cadre du renforcement des institutions chargées des données sur l’eau, il est préconisé que ces politiques efficaces fassent une place à la coordination nationale en vue de créer des synergies, de telle sorte que les données hydrologiques puissent être naturellement acheminées là où elles seront le plus utiles.

Le volume III du Règlement technique de l’OMM (OMM-N° 49) fournit des orientations pratiques sur les réseaux de surveillance hydrologique. Toutefois, ces réseaux fonctionnent plus efficacement dans des conditions qui assurent un soutien à des opérations prolongées et le remplacement des actifs et qui continuent de répondre à l’objectif ou aux objectifs multiples poursuivis au fur et à mesure de l’évolution des circonstances et des priorités.

Les procédures de gestion de la qualité des données hydrologiques nécessitent une politique qui valorise l’investissement dans la qualité des données utilisées dans le cadre des décisions qui touchent aux personnes, à la sûreté, à la sécurité et à la prospérité. Les politiques qui contribuent à de bonnes procédures de gestion de la qualité engendrent la confiance chez les clients et favorisent des gains d’efficacité dans l’organisation des tâches liées à la gestion des données, et peuvent permettre de réaliser des économies.

Enfin, les données de très grande qualité et les mieux gérées sont peu utiles si elles sont inaccessibles – que ce soit au niveau national ou mondial. De nombreux avantages devraient découler des politiques de partage des données au sein des gouvernements, notamment3 :

  • Le renforcement des services publics;
  • L’amélioration de la qualité des données;
  • La mise en place de services novateurs;
  • La création de nouveaux modèles commerciaux;
  • L’amélioration de la transparence et de la responsabilisation;
  • Le renforcement de la participation de la population.

Consciente que la clé du succès réside dans une action combinant technologie, politiques et mobilisation, l’OMM dirige l’Initiative mondiale sur les données relatives à l’eau, en collaboration avec le Gouvernement australien, la Banque mondiale et ONU-Eau. Cette initiative aidera les SHN et les autres acteurs concernés à améliorer et à maintenir les systèmes d’observation et de gestion des données sur l’eau.

Technologie

Le partage des données nécessite une série de systèmes et de solutions techniques permettant de s’assurer que les données sont effectivement collectées, gérées, contrôlées en termes de qualité, stockées et récupérées. Ces solutions doivent également garantir la visibilité et l’accessibilité des données, ainsi que leur partage et leur utilisation sans que cela constitue une charge trop lourde pour leurs fournisseurs ou leurs utilisateurs.

Outre l’Initiative mondiale sur les données relatives à l’eau, l’OMM modernise son approche au regard de trois initiatives majeures de surveillance hydrologique, dans le cadre de sa transition vers une stratégie axée sur le système Terre:

  1. L’initiative menée par le Mécanisme mondial d’appui à l’hydrométrie de l’OMM (HydroHub) et le Système mondial d’observation du cycle hydrologique (WHYCOS) pour des systèmes de surveillance et de collecte de données innovants;
  2. La solution de partage de données du Système d’observation hydrologique de l’OMM (SOHO), en tant que composante hydrologique de la version 2.0 du Système d’information de l’OMM (SIO);
  3. Le Système mondial OMM d’évaluation et de prévision hydrologiques (HydroSOS) qui évalue l’état actuel et futur des systèmes de surface et aquifères.

Ces systèmes sont reliés à d’autres activités de l’OMM, telles que le système d’indications relatives aux crues éclair, le Programme associé de gestion des crues (APFM), l’Initiative sur les systèmes d’alerte précoce aux risques climatiques (CREWS) et le programme de gestion intégrée des sécheresses (IDMP), et s’inscrivent dans le cadre général du WIGOS, du SIO et du Système mondial de traitement des données et de prévision (SMTDP).

Mobilisation

Il est certes possible de rassembler suffisamment de données et d’études pour démontrer le bien-fondé de la collecte, de la conservation et du partage de données hydrologiques de haute qualité. Toutefois, les gouvernements ont beaucoup d’autres priorités d’investissement, au demeurant divergentes, à prendre en compte. Il importe donc d’appuyer la mobilisation en faveur du changement sur de solides arguments, étayés eux mêmes par des initiatives telles que la politique unifiée de l’OMM en matière de données, et d’être prêt à poursuivre certaines activités au moment où elles auront le plus de chances d’être efficaces.

La mobilisation en faveur de l’acquisition et du partage des données doit tenir compte de différents éléments (BOM, 2017):

  • Quelles sont les institutions qui participent à la gestion des données sur l’eau et de quelle manière?
  • Quelles sont les lois, les politiques et les impératifs commerciaux qui régissent leur participation?
  • Quels sont les coûts supportés par chaque participant au secteur des données sur l’eau?
  • Quelles sont les faiblesses observées dans la collecte et la diffusion des données sur l’eau?
  • Quelles sont les compétences techniques qui font défaut et les lacunes technologiques à combler?
  • Comment se fait-il que les dispositions actuelles en matière de gestion des données sur l’eau ne parviennent pas à soutenir la réalisation des objectifs prioritaires de la gestion de l’eau?
  • Quels sont les coûts d’opportunité liés au fait de ne pas parvenir à réformer le cadre actuel des politiques?

Les réponses à ces questions devraient être réunies dans une analyse de rentabilité afin d’informer les gouvernements des faiblesses actuelles des politiques et des institutions et de les convaincre que les changements proposés profiteront à leurs électeurs ainsi qu’aux programmes régionaux et mondiaux. Une telle stratégie érige un moyen pragmatique, défendable et justifiable d’aller de l’avant, qui peut également être en adéquation avec les engagements pris par les gouvernements à l’égard de l’OMM, des ODD, du Cadre de Sendai et d’autres initiatives.

L’analyse de rentabilité doit promouvoir le changement de manière à tenir compte des préoccupations des gouvernements et à obtenir le soutien de toutes les sensibilités politiques, au-delà de leurs divergences. Idéalement, ces différents courants devraient avoir joué un rôle actif et avoir été convaincus des vertus du changement par des consultations préalables au stade de l’élaboration de l’analyse.

Le partage des données présente de nombreux avantages qui peuvent être soulignés, à savoir:

  • Les gouvernements et les sociétés amélioreront leurs connaissances sur la disponibilité et la demande en eau, ce qui servira de base à la gestion de la sécurité nationale de l’eau;
  • Les SHN fonctionneront plus efficacement grâce à l’utilisation multiple des données, ce qui leur permettra de contribuer à l’économie de leurs pays et des régions;
  • Grâce à la multiplicité des utilisateurs, les SHN bénéficieront d’une plus grande visibilité et seront considérés comme des partenaires fiables et efficaces, capables d’influencer les décisions relatives à l’allocation des budgets nationaux, et comme des candidats pour les principaux donateurs qui sont plus désireux d’avoir des relations avec des pays qui partagent leurs données;
  • Les SHN peuvent améliorer leur système de sauvetage des données, par exemple en disposant d’une base de données de secours dans l’un des centres de données de l’OMM;
  • La qualité générale des données sera d’un niveau supérieur en raison de leur plus grande utilisation par un plus grand nombre d’organisations et d’une comparaison croisée le long des voies navigables et des systèmes d’eaux souterraines internationaux;
  • Les SHN feront partie intégrante de l’ensemble du système Terre, en contribuant par leurs données hydrologiques à résoudre des problèmes locaux et mondiaux tels que les évaluations du climat, les inondations côtières, les vidanges brutales des lacs glaciaires et de nombreuses autres difficultés nécessitant une approche pluridisciplinaire.

Ces avantages doivent être soupesés au regard des risques posés par le partage des données et les obstacles à ce partage. Les risques que l’on cite couramment concernent l’utilisation de données en dehors de leur champ d’application, une mauvaise utilisation ou mise en œuvre de la chaîne de valeur des données et des produits dérivés par des utilisateurs inconnus, la corruption des données ou l’apport de modifications non contrôlées. Il est nécessaire de recourir à des procédures normalisées d’évaluation et de gestion des risques tout au long de la chaîne de valeur afin de garantir l’efficacité et l’efficience continues des investissements et pour que les gouvernements et les autres investisseurs et bénéficiaires ne soient pas exposés à des risques non gérés susceptibles d’assombrir ou de détruire le climat de confiance et de soutien.

Conclusions, perspectives et avantages

Le partage des données a pour objectif principal des informations exploitables. Les catastrophes liées à l’eau, de plus en plus dévastatrices, nécessitent des systèmes d’information efficaces, modernes et durables. L’inaction n’est pas une option. L’OMM contribue à la mise en œuvre d’un nouveau paradigme en matière de données hydrologiques. Il a pour principe directeur l’idée que les données hydrologiques doivent être considérées comme des biens publics mondiaux: si les difficultés posées par l’eau sont mondiales, les données hydrologiques doivent l’être également. L’eau étant un élément clé du système Terre, les données hydrologiques doivent être partagées entre de multiples utilisateurs afin d’aider à la résolution des problèmes liés à l’eau de manière globale.

La surveillance hydrologique est certes coûteuse mais la conception moderne des réseaux permettra une plus grande efficacité, et l’intégration de toutes les sources de données possibles fournira un retour sur investissement élevé. Les SHN pourraient souhaiter collaborer et partager des données avec d’autres fournisseurs de données dans les milieux universitaires, le secteur privé ou les associations citoyennes, afin d’obtenir une meilleure information, une meilleure compréhension de l’eau et du système Terre, et de meilleures prévisions météorologiques, hydrologiques et climatiques.

Les avantages potentiels du partage des données sont énormes, et les risques y afférents peuvent être atténués. La politique unifiée de l’OMM en matière de données est une étape essentielle de la modernisation des services hydrologiques. Une consultation intervenant au cours des deux prochaines années permettra de définir les données hydrologiques fondamentales et recommandées ainsi que les stations de référence et d’adapter les textes réglementaires.

De tels efforts sont rentables, et la nouvelle politique de l’OMM en matière de données offre à ce titre une excellente occasion à la communauté hydrologique. Elle contribue à aider les SHN à assurer l’installation, l’exploitation et l’entretien d’un système d’observation durable et efficace, au service de la communauté de l’OMM au sens large dans le cadre de l’approche du système Terre, en gagnant en crédibilité et en consolidant le climat de confiance. 

Footnotes

1  Blöschl et al, 2019. Twenty-three unsolved problems in hydrology (UPH) – a community perspective dans Hydrological Sciences Journal 64, numéro 10, 2019

2  Sur le modèle des 23 problèmes des mathématiques de David Hilbert, publiés en 1900.

https://www.europeandataportal.eu/en/using-data/benefits-of-open-data

Par Robert Argent, Bureau météorologique australien (BOM), Jan Daňhelka, Institut hydrométéorologique tchèque, Marcelo Medeiros, Agence brésilienne de l’eau (ANA) et Dominique Berod, Secrétariat de l’OMM

 

References

Bureau of Meteorology, 2017. Good practice guidelines for water data management policy: World Water Data Initiative. Bureau of Meteorology, Melbourne

International Network of Basin Organizations (INBO), 2018. The Handbook on Water Information Systems: administration, processing and exploitation of Water related data

Global High-Level Panel on Water and Peace, 2017: A matter of Survival

High Level Panel on Water, 2018: Making Every Drop Count. An Agenda for Water Action

WMO, 2006. Technical Regulations III, Hydrology, no 49.
 
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