Déplacements de population liés aux catastrophes dans un climat en évolution

21 mars 2016
  • Author(s):
  • Michelle Yonetani, Internal Displacement Monitoring Centre (IDMC)

Par Michelle Yonetani, Observatoire des situations de déplacement interne

Le déplacement de population dû aux conditions climatiques est déjà une réalité. Chaque année, la vie de millions de personnes est bouleversée par les conséquences de phénomènes dangereux liés au temps et au climat. Les événements de grande ampleur font la une des nouvelles internationales, mais la plupart des catastrophes ne sont même pas mentionnées par les médias nationaux. Pourtant, même un phénomène météorologique de faible amplitude peut avoir des répercussions considérables sur les familles pauvres et vulnérables qui ont du mal à survivre. L’Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC) a estimé qu’en moyenne, entre 2008 et 2014, au moins 22,5 millions de personnes ont fui chaque année la menace directe ou les conséquences d’inondations, de glissements de terrain, de tempêtes, d’incendies et de températures extrêmes sur leur sécurité, leur logement et leurs moyens de subsistance.

Les chiffres (voir le graphique ci dessous) varient sensiblement d’une année à l’autre, ils vont de 13,9 millions de personnes déplacées en 2011 à 38,3 millions en 2010. Un tel écart s’explique surtout par les catastrophes de grande ampleur, qui sont plutôt rares et imprévisibles mais déclenchent le mouvement de millions de personnes. En 2014, par exemple, les dix événements les plus importants, tous dus à des tempêtes ou des crues en Asie, ont chacun déplacé entre 500 000 et 3 millions de personnes aux Philippines, en Inde, au Pakistan, en Chine, au Japon et au Bangladesh. 

En moyenne, entre 2008 et 2014, au moins 22,5 millions de personnes ont fui chaque année la menace directe ou les conséquences d’inondations, deglissements de terrain,de tempêtes, d’incendies et de températures extrêmes. 

Dix déplacements les plus importants liés aux conditions météorologiques en 2014 

Insuffisance de données sur les déplacements provoqués par un changement graduel 

Si ces estimations couvrent un champ appréciable, elles ne donnent cependant pas une vue complète des déplacements liés aux aléas météorologiques et aux autres impacts du climat. Par exemple, elles n’incluent pas les mouvements de population que provoquent indirectement l’effritement graduel ou la disparition des moyens de subsistance, l’accentuation de l’insécurité alimentaire et la détérioration d’autres éléments essentiels à la survie qui accompagnent la sécheresse, l’élévation du niveau de la mer et d’autres phénomènes climatiques. L’absence de suivi systématique des déplacements de cette nature introduit de graves lacunes dans les informations dont disposent aujourd’hui les décideurs chargés d’élaborer les politiques et les plans. 

Au cœur des risques de déplacement: l’exposition et la vulnérabilité 

La part des événements météorologiques et des changements climatiques graduels dans les risques de déplacement dépend des caractéristiques de l’exposition et de la vulnérabilité des populations, facteurs dont le temps et le climat ne sont pas seuls responsables. Comme le souligne le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans son cinquième Rapport d’évaluation, les degrés variables d’exposition et de vulnérabilité, d’une population et d’un pays à l’autre, résultent «de facteurs de stress non climatiques et d’inégalités multidimensionnelles souvent causés par un développement inégal». En conséquence, les politiques et les mesures qui cherchent à diminuer l’exposition et la vulnérabilité en favorisant le développement durable, la prévention des catastrophes et l’adaptation au changement climatique revêtent une grande importance pour prévenir ou réduire les risques de déplacement.

Beaucoup plus de personnes qu’autrefois vivent dans des zones dangere- uses, comme les plaines d’inondation fluviales et côtières, parce qu’elles veulent s’approcher des lieux où il est possible de gagner sa vie ou parce qu’elles n’ont pas d’endroit plus sûr où s’établir. La population du globe s’est accrue de 96 % depuis 1970 et celle des villes a progressé deux fois plus vite en moyenne. Dans les pays en développement, la population urbaine a augmenté de 326 %. La vulnérabilité s’ampli e elle aussi, à cause surtout d’un manque de plani cation et d’une piètre gestion de la croissance des villes.

Ces tendances générales se manifestent depuis quelques années dans la répartition des déplacements dus aux catastrophes; les pays en dévelop- pement comptent pour plus de 90 % des mouvements de population liés à des dangers météorologiques depuis 2008. Bien qu’aucune région du globe n’ait été épargnée, l’Asie du Sud et de l’Est ainsi que le Paci que ont été de loin les plus durement touchés, tandis que l’Amérique latine et les Caraïbes ont signalé des déplacements massifs relativement à leur population (voir le graphique ci dessous).

Les pays en développement comptent pour plus de 90% des mouvements de population liés à des dangers météorologiques depuis 2008. 

Conditions chroniques, problèmes persistants 

Provinces chinoises touchées en 2014 par des déplacements répétés dus aux catastrophes

Un grand nombre de régions et de populations subissent des catastrophes multiples qui provoquent des déplacements répétés, parfois au cours d’une même année. C’est le cas en Chine, par exemple, où les inondations et les tempêtes, mais aussi les séismes, ont déclenché à plusieurs reprises des déplacements massifs dans les provinces du sud.

La répétition des cycles de départ et de retour peut finalement amener les personnes vulnérables à chercher ailleurs une protection durable et des moyens de subsistance plus sûrs. Au Bangladesh, par exemple, les familles rurales démunies qui vivent dans le delta du Gange, sujet aux crues et aux cyclones, subissent des conditions extrêmes récurrentes qui les contraignent à fuir et minent leur capacité de se relever entre deux catastrophes. Six mois après que le cyclone Aila a déplacé plus de 842 000 personnes en 2009, 200 000 vivaient encore dans des abris de fortune le long des routes et des digues, «entourées par des eaux turbulentes à marée haute et par des milliers d’hectares de terre boueuse et désolée à marée basse». Six ans plus tard, beaucoup vivaient encore dans des conditions de grande précarité ou avaient quitté la région.

Il arrive aussi que des événements météorologiques extrêmes déclenchent des mouvements massifs dans les pays à revenu élevé, lorsque des sources de vulnérabilité particulières ou des modes d’inégalité et de discrimination préexistants augmentent les risques de déplacement au sein de certaines populations. Le phénomène est plus marqué si la situation se prolonge. Aux États-Unis d’Amérique, par exemple, un nombre disproportionné de personnes de couleur, économiquement défavorisées, font partie des sinistrés qui n’ont toujours pas pu rentrer chez eux après le passage de la terrible tempête Sandy en 20095. Au Canada, les peuples autochtones membres des Premières Nations ont dû abandonner leur domicile et leur mode de vie sur les réserves lors des inondations survenues au Manitoba en 2011, problème qui n’est toujours pas résolu.

Même s’il est couramment admis que les mouvements provoqués par une catastrophe brusque sont temporaires et de courte durée, ces exemples montrent, comme bien d’autres, que le déplacement des populations particulièrement exposées et vulnérables peut devenir un problème chronique et persister pendant des années avant que soit trouvée une solution durable.

La GIEC attribue un degré de cohérence élevé au fait que le changement climatique amplifie au cours du XXIe siècle le déplacement des populations confrontées à des phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents et plus intenses, ainsi qu'à la variabilité du climat à plus long terme.

L’amplification des risques de déplacement

La fréquence et l’intensité grandissantes des phénomènes météorologiques violents, conjuguées aux facteurs socio-économiques d’exposition et de vulnérabilité, ont une incidence indéniable sur les risques de déplacement. Même si les projections quantitatives sont très incertaines «en raison de la nature complexe et des causes multiples» de la mobilité, le GIEC attribue un degré de cohérence élevé au fait que le changement climatique ampli e au cours du XXIe siècle le déplacement des populations confrontées à des phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents et plus intenses, ainsi qu’à la variabilité du climat à plus long terme. Il note également que des dizaines de millions de personnes pourraient quitter définitivement leur région, rendue inhabitable par la montée des eaux.

Le cycle naturel d’épisodes climatiques El Niño et La Niña, comme celui de 2015-2016, accroît aussi l’intensité et la fréquence des événements météorologiques extrêmes. Bien que l’on ne s’entende pas sur la façon dont la succession des phases El Niño et La Niña évoluera avec le réchauffement du climat mondial, plusieurs études donnent à penser que ces épisodes s’intensifient.

L’épisode El Niño le plus fort jamais enregistré, en 1997-1998, est associé à des inondations et des tempêtes qui comptent parmi les plus catastrophiques des deux dernières décennies. Pendant cet épisode, les crues majeures survenues en Asie, la saison des tempêtes tropicales anormalement sou- tenue dans l’Atlantique, les ouragans qui ont balayé l’Amérique centrale et les Caraïbes et d’autres phénomènes encore ont provoqué d’énormes mouvements de population aux conséquences graves et durables sur les groupes vulnérables. Quelque 14 millions de personnes ont été déplacées par les inondations estivales qui ont submergé de vastes parties de la Chine, dont le bassin du Yang-Tsé dans le centre et le sud, et 8 millions d’autres ont fui les inondations qui ont frappé 12 États du nord de l’Inde entre les mois de juin et d’août. L’ouragan Mitch a dévasté plusieurs pays de l’Amérique centrale et des Caraïbes.

The Global Estimates 2015: People displaced by disasters - Ce rapport rassemble des informations provenant de sources très diverses, dont les gouvernements, les organismes des Nations Unies, les organisations internationales et non gouvernementales et les médias. Il présente des données et des analyses récentes sur les déplacements causés par les catastrophes liées à des phénomènes géophysiques et météorologiques soudains, tels les séismes, les éruptions volcaniques, les crues et les tempêtes.

Au Honduras, où la moitié de la population souffre de dénuement extrême, l’ouragan Mitch a déplacé 2,1 millions de personnes et aggravé la pauvreté et l’insécurité alimentaire, notamment parmi les personnes qui ne sont pas rentrées chez elles. Certaines sont revenues et ont reconstruit leur maison, mais manquaient souvent des matériaux nécessaires pour bâtir de manière plus solide. D’autres n’ont pu rentrer en raison de la gravité des dommages, notamment dans 25 communautés, et ont dû s’établir ailleurs. Dix ans plus tard, certaines personnes sont toujours déplacées.

Lorsque le climat évolue, les stratégies d’adaptation aux variations saisonnières et les mesures de préparation habituelles peuvent être insu santes face aux impacts de conditions météorologiques anormales, en particulier pour les personnes et les familles les plus vulnérables. Les plans d’évacu- ation d’urgence, par exemple, peuvent sous-estimer l’étendue des zones touchées et l’ampleur des besoins des personnes déplacées. Il arrive que les familles et les pouvoirs publics évaluent mal la durée de l’éloignement, parce qu’on a tendance à supposer qu’un retour sera possible peu après l’évacuation. Les besoins de protection, de secours et d’aide au relèvement évoluent tant que les sinistrés sont dans l’impossibilité de retourner dans leur demeure ou de s’installer dans un nouveau logement. Les personnes à mobilité réduite, celles qui doivent recevoir des soins médicaux ou autres, les personnes âgées ou souffrant d’un handicap, les femmes enceintes ou accompagnées de nourrissons et de jeunes enfants doivent faire l’objet d’une attention particulière, car elles ont des besoins précis.

L’élévation du niveau de la mer devrait devenir l’une des principales causes des déplacements futurs, en particulier dans les petits États insulaires et les basses terres littorales où les ressources naturelles se détérioreront de plus au plus, tout comme les moyens de subsistance qui en sont tributaires. La montée des eaux accentuera les e ets des vagues de houle, des ondes de tempête et des autres facteurs qui accélèrent l’érosion et la submersion du littoral. Il est également probable que la pénétration des vagues dans les terres a ectera les eaux douces souterraines. De même, les phénomènes lents tels que le réchau ement de l’océan en surface, l’acidi cation des eaux, la baisse du taux d’oxygène et le blanchissement des coraux pour- raient nuire à la pérennité des moyens de subsistance, dont la pêche et le tourisme. L’agriculture risque aussi de sou rir de la salinisation des eaux souterraines et des sols due à l’élévation du niveau de la mer, ainsi que des inondations ou des sécheresses associées à la variabilité du climat.

Il sera plus que jamais nécessaire, advenant un déplacement inévitable, d’atténuer les conditions de crise et de veiller à ce que les personnes puissent migrer dans la dignité. Cela exigera des stratégies adaptées à chaque situation, qui tiennent compte des valeurs sociales et culturelles et qui prennent soin d’inclure ceux qui risquent, au sens littéral et guré, d’être laissés en arrière, par exemple les personnes âgées, les handicapés et les peuples autochtones. En dé nitive, l’ampleur des déplacements à venir et la gravité de leurs conséquences dépendront de la mesure dans laquelle les populations et les pays vulnérables pourront renforcer leur résilience et leur aptitude à s’adapter dans un monde en mutation. Si les incertitudes qui entourent les changements climatiques et les impacts environnementaux exigent d’approfondir les recherches, la fréquence et l’ampleur des déplacements que l’on observe déjà sur l’ensemble de la planète rendent la nécessité d’agir encore plus pressante.

Il sera plus que jamais nécessaire, advenant un déplacement inévitable, d’atténuer les conditions de crise et de veiller à ce que les personnes puissent migrer dans la dignité. 

    Partager :