La pandémie mondiale actuelle de COVID-19 a démontré que l’OMM est bien plus que l’organisme scientifique des Nations Unies qui fait autorité dans le monde pour les questions relatives au temps, au climat et à l’eau – c’est aussi une famille dont les membres se serrent les coudes lorsque les temps sont durs. Ainsi, une enquête initiale a été menée par le Secrétariat de l’OMM pour évaluer les impacts des restrictions liées à la COVID-19 sur les capacités opérationnelles de ses Membres. L’une des questions complémentaires de cette enquête était libellée de la façon suivante: «Votre Service météorologique et hydrologique national (SMHN) serait-il en mesure d’apporter un soutien à d’autres SMHN si nécessaire pendant la pandémie?» La réponse a été massivement positive!
D’ailleurs, les SMHN ont honoré cet engagement. Lorsque le cyclone Amphan s’est formé dans le golfe du Bengale en pleine première vague de la pandémie, l’Administration météorologique chinoise a pris contact avec ses homologues du Bangladesh pour leur offrir un soutien en matière de modélisation. À la suite d’un tremblement de terre survenu en Croatie fin mars, certaines des infrastructures clés du Service météorologique et hydrologique croate (DHMZ) ont été endommagées, mais le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme a réussi, avec l’appui de l’Organisation européenne pour l’exploitation de satellites météorologiques, à maintenir la capacité de production du DHMZ, assurant ainsi la continuité de ses services durant les mois qui ont suivi.
L’empressement des Membres de l’OMM à soutenir leurs collègues n’est pas né de la pandémie. Cet esprit de corps a été nourri et s’est renforcé pendant les 70 années d’existence de l’OMM, et il animait déjà l’entité qui l’a précédée, l’Organisation météorologique internationale. Une approche familiale prévaut dans l’ensemble de l’OMM et se manifeste dans tous ses domaines d’activité.
Soutien bilatéral et multilatéral
Dans les moments difficiles, l’aide n’est jamais loin. C’est ainsi que pendant et après le cyclone Idai, en 2019, plusieurs SMHN ont épaulé leurs collègues mozambicains. Lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, le Service météorologique de la Sierra Leone a été soumis à une épreuve sans précédent, et le Service météorologique nigérian lui a apporté un soutien en ligne afin de garantir le maintien des services qu’il fournit aux autorités locales et à la population. À la suite du tremblement de terre qui a dévasté Haïti en 2010, Météo-France a mis en place un service de prévision dédié au Service haïtien afin de s’assurer de la disponibilité des prévisions et alertes vitales tout au long de la phase d’intervention et de rétablissement. Ces partenariats bilatéraux ne représentent qu’une fraction des activités collaboratives de la famille OMM.
Au niveau multilatéral, l’Irlande, le Royaume-Uni et les États-Unis d’Amérique ont établi un mécanisme de collaboration officiel qui s’active lorsqu’une tempête tropicale est susceptible de menacer les eaux territoriales irlandaises et britanniques. De plus, à l’approche de leurs saisons respectives de cyclones tropicaux, les Membres se réunissent par régions pour s’assurer que les plans collectifs d’intervention, d’atténuation et de soutien mutuel restent adaptés à la saison à venir. Sur le plan opérationnel, les centres météorologiques mondiaux, les centres régionaux d’appui à la prévision et le réseau des centres météorologiques régionaux spécialisés fournissent des analyses et des conseils d’un niveau à l’autre et en font la synthèse pour leurs collègues au niveau national.
Appui aux opérations humanitaires
Les Membres coopèrent également afin d’apporter une réponse plus large en cas de crise. Au cours de l’hiver 2015/16 de l’hémisphère Nord, des milliers de réfugiés ont fui la Syrie pour l’Europe de l’Ouest, parcourant plus de 1 000 kilomètres. Les Membres de l’OMM de toute l’Europe, en particulier ceux de l’Europe du Sud-Est, ont uni leurs forces pour communiquer aux organismes de secours des Nations Unies des prévisions météorologiques et des informations essentielles pour leurs dispositifs d’intervention. Cependant, l’élément le plus important fut probablement leur connaissance locale très spécifique, qui leur a permis de traduire les prévisions en impacts possibles sur le terrain. Sans l’expertise des Membres de l’OMM, il aurait été plus difficile d’obtenir de tels renseignements.
Autre exemple, le partenariat ARISTOTLE, au titre duquel les SMHN d’Europe s’associent avec des spécialistes des sciences géophysiques pour offrir au Centre de coordination de la réaction d’urgence de la Commission européenne un service dédié d’intervention d’urgence multidangers 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.
En outre, la famille OMM soutient plusieurs initiatives nationales et régionales d’action précoce et de financement reposant sur des prévisions. Pour ce faire, elle collabore avec des organisations gouvernementales et non gouvernementales ainsi qu’avec les organismes des Nations Unies pour s’assurer que les décideurs et les communautés locales reçoivent en temps utile des avis de phénomènes météorologiques violents axés sur les impacts. Par exemple, au Bangladesh, le Service météorologique et le Centre national de prévision et d’alerte relatives aux crues ont fourni un soutien technique à l’équipe de pays pour l’action humanitaire des Nations Unies (incluant le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, le Programme alimentaire mondial, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture et le Fonds des Nations Unies pour la population) et à la Société nationale du Croissant-Rouge afin qu’elles prennent des mesures anticipées pour les inondations de mousson de 2020. Ainsi, l’ONU a pu débloquer en un temps record 5,2 millions de dollars É.‑U. du Fonds central pour les interventions d’urgence et apporter une assistance à ceux qui en avaient désespérément besoin.
Les SMHN se réunissent également avec des experts d’autres disciplines techniques dans le cadre de forums régionaux sur l’évolution probable du climat afin d’établir des déclarations sur les prévisions saisonnières par consensus. Ces déclarations aident les gouvernements et les partenaires pour le développement à prendre à l’avance des mesures d’atténuation des dangers et à réduire ainsi les risques que des situations de crise se produisent.
Investissements dans les partenariats comme dans les services
Les exemples précédents ne représentent que quelques-uns des nombreux types de collaboration étroite au sein de la famille OMM. Une telle coopération permet de proposer des informations plus fiables sur le temps, le climat et l’eau au public, aux décideurs politiques et aux autres responsables chargés de veiller, quel que soit le défi à relever, au maintien des services vitaux et à la sécurité des personnes.
Qu’est-ce qui fait que cette collaboration fonctionne? Quelles en sont les caractéristiques principales? Et surtout, comment entretenir ce dispositif formel, et parfois informel, de soutien et de collaboration?
Une caractéristique commune essentielle est qu’autant de temps et d’énergie sont consacrés à créer et entretenir des partenariats qu’à mettre au point et conserver des services. Dans notre monde complexe, chaque institution a des objectifs, une déclaration de principes et des plans stratégiques qui lui sont propres. Ainsi, sa «vision» du monde, légèrement différente de celle des autres institutions, influence ses engagements et ses partenariats. Il faut donc établir des modes de communication clairs et transparents. Avec le temps, grâce à des contacts et des échanges renouvelés, des relations personnelles se développent et la confiance s’instaure. Les partenaires se sentent alors plus libres d’exprimer leurs idées et l’on trouve des solutions pour s’entraider afin d’avancer ensemble. L’ingrédient principal reste néanmoins un investissement égal dans le développement de partenariats et la prestation de services.
Établir des partenariats durables peut être difficile dans les meilleurs moments – et davantage encore pendant la crise de la COVID-19. Nous ne nous rencontrons plus en personne et il y a moins d’occasions de nouer des relations par des conversations informelles autour d’un café ou d’une boisson fraîche. Il n’y a pas de discussions en marge de réunions pour régler des problèmes, et donc aucune chance d’expliquer ce que vous voulez «réellement» dire lorsque vous faites une déclaration au nom de votre organisation lors d’une réunion officielle. À l’ère de la COVID, tout est organisé à l’avance. Les plates-formes de vidéoconférence comme Teams et Webex sont de rigueur (j’ai actuellement 10 «applis» de ce genre sur mon téléphone). Il faut déployer plus d’efforts et consacrer encore plus de temps à l’établissement de liens solides – peut-être en utilisant le temps gagné en ne voyageant pas autour du monde en avion, en train et en voiture?
Avec le Secrétariat de l’OMM comme facilitateur, les Membres de l’OMM ont collaboré en toutes circonstances. Naturellement, comme dans tout partenariat, il y a eu des disputes et des désaccords. Cependant, ces 70 dernières années, notre communauté a continué de progresser, de faire avancer la science et de mettre en place des services améliorés et plus rapides. L’une des réalisations les plus significatives de cette famille est l’échange libre et gratuit, entre tous les Membres, des données d’observation, dont de grands volumes sont nécessaires pour établir des prévisions météorologiques au plan mondial.
Alors que nous continuons d’avancer, le développement du Système mondial d’alerte multidanger de l’OMM permettra d’ajouter à cette riche mine de données des alertes faisant autorité. Nos collègues d’organismes du système des Nations Unies et d’organisations humanitaires intègrent de plus en plus d’informations hydrométéorologiques axées sur les impacts dans leur système de prise de décisions – et l’OMM entretient la dynamique en développant de meilleurs produits pour les aider. Le mécanisme de coordination de l’OMM garantira que les connaissances spécialisées de nos météorologues puissent facilement leur servir.
Cependant, alors que nous envisageons les 70 prochaines années, nous pouvons imaginer que le changement climatique planétaire augmentera les risques hydrométéorologiques et rendra les populations encore plus vulnérables. Il est donc plus important que jamais que la famille OMM «retrousse ses manches» pour fournir les services et les conseils qui contribueront à protéger les moyens de subsistance et à sauver des vies. À la lumière de cet article et de ma carrière de plus de trente ans dans le domaine de l’hydrométéorologie, je suis convaincu que notre communauté relèvera ce défi haut la main.